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Étienne Mbappé : « Pour être Kylian, il faudrait que je sois Johnny Hallyday »
Étienne Mbappé est un virtuose de la basse depuis plus de 30 ans. Il a joué avec les plus grands, donne des concerts dans le monde entier et ses gants noirs sont devenus une marque. Mais tout le monde le bassine avec un gamin à peine majeur. Ça tombe bien, il l'adore.
Avez-vous aimé la vidéo annonçant votre venue à Paris, au Baiser Salé ?Quand la vidéo est arrivée, mon dieu, les gens m’appelaient en me disant « mais c’est quoi cette histoire, pourquoi ? » Je leur disais « j’en sais rien, moi ! » Mais je trouve ça super ce canular, d’annoncer Mbappé à Paris. (Rires) C’était très bien trouvé, ça a fait du remous, mon dieu ! C’est dingue comment ça a marché sur les réseaux. C’était exquis, inattendu et à vrai dire plutôt sympa de votre part. Il est tellement brillant !
Vous connaissiez donc déjà le joueur ?Oui, évidemment, je ne sais pas s’il y a quelqu’un qui ne le connaît pas ! (Rires) Quand il a commencé à marquer des buts pour Monaco, mon ingénieur du son avec lequel j’ai fait tous mes disques, Bertrand Fresel, m’appelle et me dit « c’est qui ce Mbappé ? » Je lui dis que j’en sais rien, je ne savais même pas qu’il y en avait un. C’était il y a un an, un an et demi (Kylian Mbappé a marqué son premier but en pro le 20 février 2016 contre Troyes, ndlr). Je n’ai pas fait attention à ce moment, j’étais en tournée, je n’étais pas tellement branché sur le championnat de France. Petit à petit, j’ai commencé à entendre parler de lui, de lui, de lui. Donc oui, le footballeur, je le connais. Et je l’apprécie d’autant plus qu’il porte le même nom que moi, donc quand il brille, j’en frime presque un peu ! (Rires)
Savez-vous si vous avez un lien de parenté ?J’ai lu un peu son histoire, mais je ne crois pas qu’on ait de lien direct de parenté, je le saurais sinon. Avec votre canular, j’ai reçu un nombre hallucinant de messages me demandant s’il était de la famille. Je vais finir par dire oui pour qu’on me laisse tranquille ! Il va falloir que je creuse, mais c’est pas évident parce que les noms, en Afrique, quand on n’a pas le village ou le deuxième nom qui va avec, on n’arrive pas à déterminer. On a toujours un deuxième nom qui arrive à indiquer d’où on est. Parce que les Mbappé, il y en a beaucoup, c’est une branche assez élargie à Douala. C’est pas comme Martin, mais tout comme.
Lui, c’est Kylian Mbappé Lottin.Ah bah oui, c’est vraiment un Mbappé alors. Dans ma famille, Mbappé, je le tiens de mon père, mais dans ma famille maternelle, des Lottin, il y en a plein. Le deuxième nom nous dit qu’il est 100 % sawa, enfin son père, puisque j’ai appris que sa mère est algérienne. Mais son père est un Sawa, ce sont les gens de la côte littorale du Cameroun. Est-ce qu’il a un lien de parenté avec le footballeur mythique qu’on appelait Mbappé Leppé, dans les années 1960, 1970 ?
Non, il a affirmé le contraire.Ah, bon. Parce que j’ai vu des comparatifs avec lui, je lui ai trouvé une ressemblance presque physique. Dans la première équipe du Cameroun, il y avait ce mythique footballeur que toute l’Afrique connaît, Samuel Mbappé Leppé. On l’a appelé Leppé pour l’envers de Pelé, à l’époque. Celui-là, c’est une légende de ma génération, il a fait la gloire du Cameroun avant les Lions indomptables (le surnom a été officialisé par décret présidentiel en 1972, ndlr), un avant-centre absolument génial. D’ailleurs, à Douala, il y a deux stades, le stade de la réunification et le stade Mbappé Leppé, c’est pour vous dire l’importance de celui-là.
Kylian ou Samuel auraient pu faire de bons jazzmen ?Il y a les bons joueurs, et puis il y a les grands joueurs, les gens qui restent dans la légende, Roger Milla, Samuel Eto’o, Ibrahimović, etc. Ces gens-là, qui imposent par leur stature, sont pour moi comme des jazzmen. Car le langage du jazz est fait énormément d’improvisation. Or, que vous soyez sur un terrain de football ou sur une scène, un moment donné, quand on vous laisse la place pour parler, il faut que vous ayez un discours. Et ce discours s’appelle l’improvisation. Le joueur ou le musicien, même s’il a travaillé ses gestes, répété ses gammes, un moment donné il se retrouve, entre guillemets, livré à soi-même. Et livré à soi-même, ça veut dire qu’il faut improviser et marquer ! Il y a cette manière de répéter les gestes jusqu’à la perfection, puis de se retrouver dans une situation un peu différente, où il faut être alerte, il faut savoir lire le jeu. Quand on est musicien, surtout quand on fait du jazz, on est tous un peu chef d’orchestre, c’est-à-dire qu’il faut savoir lire la périphérie, c’est l’écoute qui nous dirige, c’est l’écoute qui nous amène à accomplir des choses qu’on n’a peut-être pas faites la veille et qu’on ne fera pas demain. De même qu’un joueur de foot doit savoir lire le jeu. Et il peut arriver qu’on soit en dessous de sa forme, qu’on perde, parfois.
Et puis, vous jouez en public…On a deux passions, deux métiers, deux façons de s’exprimer où il y a, en général, un public. Un public qui nous suit encore plus que naguère avec les réseaux sociaux et tout ça. Donc il sait exactement ce qu’on peut faire, et donc il y a une émulation qu’on retrouve décuplée. J’ai fait quelques festivals avec 30 000, 40 000 personnes. Et on se retrouve autant galvanisé qu’un joueur de foot, sauf que notre but n’est pas de marquer, ce qui va déchaîner un peu plus encore les passions. Mais quand une salle est bien pleine et que l’artiste se donne à fond, ça galvanise les foules et on reçoit une dose d’adrénaline qu’il faut aussi savoir gérer. C’est pas une chose anodine, on ne travaille pas dans un bureau ! On nous observe, on est épiés, critiqués, ça nous oblige, on a envie d’être parfait quoi ! C’est beaucoup de travail en amont, beaucoup de préparation, un peu comme un sportif. Mais peut-être qu’ils transpirent un peu plus que nous ! (Rires)
Vous jouez de la basse avec des gants. Et au foot, vous jouez pieds nus ?Quand on n’a pas le choix… Je pense que des gamins qui ont joué toute leur vie pieds nus, quand vous leur mettez des chaussures de foot, ils ne sont pas très à l’aise ! (Rires) Quant à moi, je pense que je suis un des seuls à jouer avec des gants, j’ai même plutôt fait école, parfois je croise des gens qui me disent que c’est en me voyant qu’ils se sont mis à jouer avec des gants. Ça me donne un son spécial, un son plus épais et feutré, très doux, presque velouté. C’est un son aujourd’hui que les gens reconnaissent. J’ai cultivé ça, j’ai fait des recherches, notamment en studio, ça amène un son que j’adore, un son qui est le mien aujourd’hui. En fait je suis un peu comme ce gardien du Cameroun, Thomas Nkono, de la grande époque de Roger Milla : il avait la particularité de jouer tout le temps en survêtement. Et il expliquait que c’était une habitude pour lui. Bon, là, c’était un peu différent, c’était parce qu’en Afrique les terrains ne sont pas toujours très bons et qu’il fallait se protéger un peu avec ça.
Les joueurs de foot ont souvent des superstitions, des grigris. Et vous ?Bien sûr ! Jouant avec des gants, je mets une catégorie de chaussures qui fait que je me sens bien et dans mes gants, et dans mes chaussures. Il faut que je prenne ma basse avant, que je l’accorde, que j’essaie mes gants, parfois je tombe sur une mauvaise paire… Mais ça, c’est comme l’échauffement d’un joueur ! J’ai aussi tout le temps un petit truc dans ma poche, et puis j’ai mon huile spéciale que je mets pour me masser les mains et pour que les gants adhèrent mieux. Chacun ses petits trucs !
Pour revenir à votre jeune homonyme, n’est-ce pas frustrant que l’on vous parle de lui si rapidement, alors que vous, vous chiffrez 35 ans de carrière ?Évidemment, je suis beaucoup moins connu que sa notoriété aujourd’hui, mais ça me fait très plaisir. Chacun est dans son élément, dans son domaine. Kylian Mbappé, dans les clubs de jazz aux États-Unis, personne ne le connaît ! (rires) Mais nous partageons un même monde où, évidemment, le football n’a pas le même impact. Moi, pour être Kylian Mbappé, il faudrait que je sois Johnny Hallyday ! (rires) Non, ça me fait très plaisir. Le nom circule et c’est tant mieux, on l’entend de plus en plus. Mbappé Leppé, qui a commencé bien avant moi et bien avant Kylian, a fait parler des Mbappé dans toute l’Afrique. Toute mon enfance, on m’a appelé Mbappé Leppé par rapport à ce gars-là. Aujourd’hui, quand je vais dans des pays d’Afrique, les anciens qui ont l’âge de mon père me disent « oh quel footballeur, oh Mbappé Leppé, vous êtes de la même famille ? » Il n’y a aucune forme de jalousie. Au contraire, pour Kylian, c’est un grand bonheur de voir un jeune d’origine camerounaise réussir autant. J’ai la même fierté de voir Yannick Noah gagner Roland-Garros que Kylian Mbappé marquer un but ! Mon âme camerounaise se réveille et dit « wahou, c’est génial ! » Parce qu’il y a un lien avec le Cameroun et que, quelque part, quand on parle d’eux, on parle aussi du Cameroun et même de toute l’Afrique. C’est bien de savoir qu’il y a quelqu’un qui défend les couleurs de la France, mais aussi du Cameroun. On essaie tous de laisser des traces, d’écrire nos pages, comme l’aîné Leppé, comme moi, comme mon fils Swaéli, comme Kylian, pour le plus grand bonheur du sport et de la musique. C’est génial.
Propos recueillis par Eric Carpentier
Pour voir jouer le Étienne Mbappé Quintet, c'est jusqu'à samedi soir, 21h30, au Baiser Salé, 58 rue des Lombards, 75001 Paris.