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États-Unis-Iran : l’impossible « match de la paix »

Par Kevin Veyssière
États-Unis-Iran : l’impossible « match de la paix »

Les manifestations qui affectent l’Iran depuis septembre sont au cœur des prises de position politiques de cette Coupe du monde au Qatar. Cet enjeu vient s’inviter dans un match hautement géopolitique entre l’Iran et les États-Unis, qui doivent s’affronter ce mardi soir pour une place en 8es de finale. Un remake du « match de la paix » lors du Mondial 1998 en France. Pourtant, 24 ans plus tard, les colombes se sont bel et bien envolées.

Le 29/11/2022
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« Nous avons fait plus en 90 minutes que les politiciens en 20 ans. » C’est ainsi que le défenseur américain Jeff Agoos avait résumé la portée symbolique du fameux « match de la paix » entre l’Iran et les États-Unis lors de la Coupe du monde 1998. Le 29 novembre 2022, dans l’Al Thumama Stadium de Doha, le temps ne sera plus aux franches poignées de main. Alors que les prises de position en soutien aux manifestations en Iran se multiplient lors de ce Mondial, des supporters iraniens aux joueurs de la Team Melli eux-mêmes, les États-Unis se sont invités dans ce débat houleux. À quelques jours d’un match crucial, la Fédération américaine de football a en effet modifié dans ses publications sur les réseaux sociaux un symbole national fort : le drapeau de l’Iran. L’inscription centrale « Il n’y a pas d’autre dieu qu’Allah » et les franges blanches du drapeau commémorant le jour de la victoire de la révolution islamique ont été retirées. Une modification justifiée côté américain pour apporter un « soutien aux femmes en Iran qui luttent pour les droits humains fondamentaux ». La réponse de la fédération iranienne de football ne s’est pas fait attendre : elle demande, selon l’article 13 des règles de la FIFA, que ses adversaires reçoivent une suspension de 10 matchs pour « atteinte à la dignité » de leur pays. Une passe d’armes qui renvoie à l’histoire tumultueuse entre les deux pays.

Du chah d’Iran à la rupture diplomatique

Cette féroce rivalité remonte à 1953. L’Iran cherche alors à nationaliser ses moyens de production d’extraction pétrolière, ce qui n’est pas du goût des États-Unis. Ils y voient une politique « socialiste » , qui pourrait rapprocher l’Iran du rival soviétique dans le contexte de la guerre froide. Un coup d’État, orchestré par la CIA, va donc être mené pour renverser le gouvernement et mettre à sa place un autocrate plus enclin aux positions américaines : le chah d’Iran. Le régime se transforme peu à peu en dictature répressive, qui sera de plus en plus contestée, au point d’aboutir à une révolution populaire portée par l’ayatollah Khomeini en 1979. L’Iran devient une République islamique avec une constitution théocratique.

Les États-Unis sont donc chassés de leur ancien pré carré, illustré par un événement douloureux : la prise d’otages de 52 diplomates de l’ambassade américaine à Téhéran pendant 444 jours. Les relations diplomatiques entre les deux pays sont rompues. Les États-Unis sont perçus par l’Iran comme le « Grand Satan » alors qu’à l’inverse la République islamique est vue comme un « État voyou ». Les décennies qui vont suivre ne vont que renforcer ces positions antagonistes. Notamment à l’approche de la Coupe du monde 1998. En 1995, l’administration Clinton a durci les sanctions contre l’Iran, et l’attentat des tours de Khobar en Arabie saoudite en 1996, où des ressortissants américains sont présents parmi les victimes, est suspecté d’être commandité par l’Iran.

1998 : un « match de la paix » orchestré en amont

Dans ce contexte houleux, le hasard du tirage au sort du Mondial en France va pourtant réunir les deux ennemis dans le même groupe. Cette future rencontre fait la Une des journaux et est rebaptisée « Mother of all games ». Pourtant, la FIFA voit d’un bon œil ce duel qui peut lui permettre de promouvoir le rôle de paix que peut apporter le ballon rond, au-delà des tensions politiques. Des tensions qui s’atténuent d’ailleurs. Depuis juin 1997, un changement s’est opéré en Iran avec l’élection du président réformateur Mohammad Khatami. Dans son discours inaugural, il appelle notamment à un « dialogue des civilisations » avec les États-Unis. Du côté américain, la portée médiatique d’un match de Coupe du monde peut effectivement servir les intérêts de la patrie de l’Oncle Sam et être un moyen de se rapprocher d’un grand rival (à l’image de la « diplomatie du ping-pong » opérée entre les États-Unis et la République populaire de Chine en 1970).

Les discours des deux présidents sont méticuleusement préparés pour matérialiser ce nouveau chapitre, qui doit avoir comme apothéose le match de Coupe du monde prévu en juin 1998. Déjà, le 7 janvier de la même année, le président Khatami dévoile sa politique de rapprochement diplomatique avec les États-Unis sur la chaîne américaine CNN. Le jour d’après, Bill Clinton fait de même, avec une diffusion en Iran, et dit que « le match de la Coupe du monde est une magnifique occasion pour rapprocher les deux pays ». Tout est donc fait pour que cette rencontre symbolise au mieux ce match de la fraternité. Malgré de fortes tensions en amont (menaces terroristes, manifestations iraniennes contre la République islamique aux abords du stade et craintes de boycott), la rencontre a bel et bien lieu dans le stade de Gerland, à Lyon, le 21 juin 1998. Un match déjà décisif, puisque l’Iran et les États-Unis se sont inclinés lors de leur premier match, respectivement contre la Yougoslavie et l’Allemagne, et que donc le perdant sera éliminé de la compétition.

Malgré l’enjeu sportif, cela n’empêche pas une cérémonie d’avant-match savamment chorégraphiée. La fédération iranienne donne à ses joueurs des roses blanches, symbole de paix en Iran, pour qu’ils les offrent à leurs adversaires américains. Après la poignée de main entre les deux capitaines Dooley et Abedzadeh, sans doute la plus scrutée de cette Coupe du monde, l’occasion n’est que trop belle pour que joueurs américains et iraniens posent ensemble pour la photo du match. Pour couronner le tout, ce « match de la paix » est arbitré par le « neutre » suisse Urs Meier. Sur le terrain, c’est pourtant bien l’Iran qui l’emporte 2 buts à 1 grâce à des réalisations d’Estili et de Mahdavikia.

Après 1998, le retour du duel États-Unis – Iran au premier plan

Une victoire historique face au grand rival, la première en Coupe du monde pour la Team Melli, fêtée dans tout le pays. Pourtant, ce succès n’est pas récupéré politiquement par le président Khatami qui salue « la victoire de l’unité nationale au-delà de la diversité des opinions », tandis que les Américains, beaux joueurs, par la voix de leur secrétaire d’État Madeleine Albright, espèrent que malgré la défaite, cette rencontre aura permis de « bâtir des liens, faire tomber les murs de la défiance et créer une meilleure compréhension ». C’est effectivement ce qui va se passer, puisque l’équipe d’Iran se rend en l’an 2000 aux États-Unis pour participer à une tournée de matchs amicaux, dont un contre la sélection américaine, à Pasadena en Californie.

Mais l’évolution géopolitique mondiale et la question du nucléaire iranien vont faire ressurgir les tensions avec deux leaders (George W. Bush et Mahmoud Ahmadinejad) qui ne se feront pas de cadeaux. L’administration Bush diabolise l’Iran dès 2002 en le plaçant du côté de l’ « Axe du mal » . Depuis, malgré l’apaisement apporté par l’administration Obama et la signature en 2015 de l’accord de Vienne pour contrôler le programme nucléaire iranien, les relations entre les deux pays se sont tendues. Encore plus sous la présidence de Donald Trump qui s’est retiré unilatéralement de l’accord. Le meurtre du général iranien Soleimani, commandité par les États-Unis, a provoqué en janvier 2022 une nouvelle escalade.

Bien que Joe Biden soit maintenant aux commandes des États-Unis, aucun discours diplomatique n’a été porté pour apaiser les relations, notamment compte tenu du match de Coupe du monde. Même chose du côté du président Raïssi. Le chef d’État iranien a même ironisé récemment le soutien des États-Unis aux manifestations pour « libérer l’Iran » en déclarant que « les États-Unis disent qu’ils veulent libérer l’Iran, mais je dois vous dire que l’Iran s’est libéré il y a 43 ans et ne se soumettra plus à vous ». Fragilisée en interne, la République islamique d’Iran n’hésitera donc pas à instrumentaliser le résultat du match si l’Iran venait à vaincre les États-Unis, pour raviver la flamme nationaliste et masquer les braises des manifestations populaires.

Les citations sont tirés du livre Mondial : 22 histoires insolites sur la Coupe du monde de football (éditions Max Milo)

No Salad, Mia Khalifa, McMessi : les meilleurs flocages des supporters anglais

Par Kevin Veyssière

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