- Tactiques de légende- France-Brésil Quart de finale 2006
Et Zidane dansa sur le Brésil
La Coupe du monde 2006 fut un grand recueillement autour du spectacle offert par les derniers contrôles de Zinedine Zidane. À partir des huitièmes, chaque match de l'équipe de France devenait une pièce à conviction. Une messe à ne pas rater. Il fallait voir. Le plus grand quittait l'univers du football sur la plus grande scène. Il y avait ce côté religieux à chaque touche de balle, comme chaque note du dernier concert d'un virtuose. L'impression d'écouter des sons perdus à jamais. Zidane était le chef d'orchestre du 4-2-3-1 de Domenech. Était-il si seul ?
Il est psychologiquement exigeant d’être sportif de haut niveau. C’est le devoir de ne pas décevoir. Et plus les attentes suscitées sont grandes, plus la performance est difficile. D’où la fascination de la terre entière pour les monstres Nadal et Djokovic, eux qui répondent toujours, sur toutes les surfaces, sur tous les continents. Tout change d’un résultat à l’autre. C’est Maradona le dieu de 1986 et le sale gosse de 1982. LeBron le roi de 2013 et le bouffon de 2012. Le sport, le spectacle du direct, accorde une place immense au jour J. Tu peux réussir une panenka transversale rentrante à l’entraînement. Peut-être. Avec un peu de chance. Mais pas au Stade olympique de Berlin, le jour de la finale de la Coupe du monde, face au meilleur gardien de la planète, pour ton dernier match. Le moment de dire au revoir est encore plus difficile : non seulement il y a la pression du résultat, mais aussi l’absence de seconde chance. Tu regardes l’histoire droit dans les yeux, et tu sais pertinemment qu’elle ne les baissera jamais. Zidane non plus : finale du Mondial 98, finale de C1 en 2002, et enfin 2006. On est le 1er juillet 2006, Zidane a 34 ans et en est à sa 106e sélection quand le Brésil se présente en quarts…
Quand tactique devient psychologique
« Il faut marquer les esprits d’entrée de match ! » Un discours classique d’avant-match. Certains le font par le physique. Les débuts de match de Mark van Bommel étaient d’ailleurs toujours un spectacle. D’autres en affichant un niveau de jeu hors-norme dès leur première touche de balle. Ce jour-là, il suffit de trente-sept secondes pour qu’un pays aussi grand que le Brésil comprenne qu’il est sur le point de subir la loi d’un géant. Après cinq minutes, les Brésiliens réalisent que Zidane a déjà vu le match la veille dans son lit. Contrôles orientés, protection de balle, feintes, balles en profondeur, coups de pied arrêtés… Tout simplement beaucoup trop fort. Et puis Zidane a le 10, le brassard, les Adidas dorées… Dans Gladiator aussi, les barbares montés sur leurs chars comprennent vite qu’ils ne pourront rien faire contre l’aura de Maximus. Après quelques essais, Zé Roberto et Gilberto Silva cessent de « croire » en leur pressing et laissent Zidane demander la balle où il le veut. Évidemment, ils continuent à le suivre dans le dos et l’obligent à contrôler en pivot, mais sa première touche est toujours si efficace que les Brésiliens abandonnent l’idée de faire une faute, de casser son rythme.
Le psychologique devient tactique quand ces touches de balle ont un impact sur le reste du collectif : ses conservations de balle permettent au bloc français de respirer et se replacer, ses dribbles donnent confiance au reste des joueurs offensifs, ses tentatives osées vers l’avant poussent les autres à jouer verticalement et enfin, surtout, il semble qu’il suffise de courir autour de lui pour faire un appel brillant. La France prend l’ascendant psychologique. Comment, sinon, expliquer rationnellement que sur le coup franc qui amène le but de Titi Henry, seuls trois joueurs brésiliens défendent sur cinq français ? Ils étaient perdus.
Le 4-2-3-1 de Domenech : n’y avait-il que Zidane ?
S’il n’y avait pas que Maradona en 1986, n’y avait-il que Zidane vingt ans plus tard ? Forcément, non : Makelele, Vieira, Henry, Thuram… Tous des joueurs légendaires. Et ce 4-2-3-1 de Domenech était harmonieux et compact comme il faut, n’est-ce pas ? La question se pose, car face au Brésil, le show Zidane commence dès la trente-septième seconde. Avant même que le système soit en place et que les autres joueurs touchent le ballon, Zidane prend l’ascendant. Ce n’est que plus tard que le système a fait la différence, Zizou posa la première pierre. Ensuite, et seulement ensuite, pour désosser le Brésil et ses stars, la France se reposa sur quatre principes. D’abord, donner de la logique à la phase offensive en optant pour la solution de facilité, permise grâce aux qualités individuelles des Français : faire trembler le Brésil en soufflant dans son dos. Deux hors-jeu de Henry en cinq minutes, la défense brésilienne a la pression.
De deux, imposer l’intensité défensive de Makelele, Vieira, Ribéry, Malouda et même Zidane dès le coup d’envoi. Physique, envie, coups dans les tibias. Après dix minutes, Makelele a déjà invité l’arbitre à dîner chez lui. Claude, un maître absolu : « Un coup il y a Ronaldinho, un coup Kaká, puis encore Ronaldinho. Et ils n’y arrivent pas. Ils essayent de l’autre côté, mais non. (Avec Patrick) On se les échangeait, quoi. » De trois, prendre le contrôle du jeu, c’est-à-dire conserver le ballon plus longtemps que l’adversaire, et lui prendre le plus vite possible. Makelele et Vieira mettent le pied sur tout, Sagnol et Abidal le ressortent proprement, Zidane gère la conservation. Et le côté gauche Abidal-Malouda-Zidane-Henry est si fluide que la France crée plus de football sur un couloir que le Brésil sur tout le terrain. De quatre, chercher loin et vite les offensifs, à nouveau. La France obtient des fautes sur ses longs ballons vers Malouda, Ribéry, Zidane. Et marque justement là-dessus. Coup du sombrero du 10 sur le 9, puis Cafu défend avec les mains sur Malouda, lancé à gauche. Coup franc. 1-0.
Des Brésiliens sans rythme ?
S’il y a du jeu, mais pas d’occasions, on le doit à la qualité des deux défenses. Il n’y a plus qu’à attendre un déclic. 44e minute : Zidane marche sur l’eau, ouvre la mer et lance Vieira seul vers le but. Faute tactique inespérée de Juan, qui plus est juste avant la mi-temps. Le défenseur du Bayer sauve superbement son pays, mais le Brésil n’y arrive pas. Et pourtant, cette formation avait une telle qualité. Au bout de trois minutes, coup franc pour la Seleção, qui se présente ? Roberto Carlos, Ronaldinho et Juninho. Cafu à droite, Lúcio et Juan dans l’axe, Zé Roberto et Gilberto Silva au milieu, et Ronaldo devant. Mais au contraire du 10+1 français, la création brésilienne est diluée entre les pieds de Ronaldinho, Kaká, Juninho et Ronaldo, et la fusion est un échec. Trop de permutations, pas suffisamment d’ordre. Jusque-là, contre la Croatie, l’Australie, le Japon et le Ghana, le talent avait fait la différence.
Mais ces noms ne suffisent pas contre le double rideau Makelele-Vieira. Le 4-2-3-1 français contient bien la liberté des milieux offensifs brésiliens. Permutations ou pas, Ribéry et Malouda tiennent leur couloir respectif. Kaká, encore irrésistible à l’époque, bute sur Thuram. Et Ronaldinho livre une prestation « bureaucratique » d’après O Globo. Le danger vient finalement des rares courses verticales de Zé Roberto et Gilberto Silva, mais les deux hommes ont déjà la lourde tâche de limiter les mouvements de Zidane. Carlos Alberto Parreira fait entrer Adriano, Robinho et Cicinho. Le match devient une attaque-défense. Des Brésiliens sans rythme échouent sur une défense française expérimentée qui n’attendait que de se refermer. Zidane délivre une dernière passe décisive potentielle à Saha. Une démonstration payée seulement 1-0. Le football est soulagé, il n’a pas encore tout vu.
Par Markus Kaufmann
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