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Et Vadim paya sa dîme…
Dmitri Rybolovlev s'est séparé de son fidèle homme de lumière, Vadim Vasilyev, ce jeudi. Un nouveau rebondissement spectaculaire dans la saison de l'AS Monaco, qui ressemble davantage à un coup tactique qu'à une réelle fracture entre son président et lui.
« Dans deux cas, nous pouvons définitivement dire que vous avez affaire à un menteur : si un homme dit qu’il peut boire du champagne toute la nuit sans être saoul, et s’il dit qu’il comprend les Russes. » Charles Bohlen, ambassadeur américain en URSS aux premières heures de la Guerre froide, n’avait visiblement pas une bonne descente, ce qui ne l’exonérait pas d’un sens de la formule incontestable. « Les Russes » , dans le monde un peu moins sérieux de la Ligue 1, désignaient jusqu’à ce jeudi 14 février le couple Dmitri Rybolovlev/Vadim Vasilyev, qui avait surfé ensemble sur toutes les tempêtes depuis l’été 2013.
Si l’AS Monaco a maintenu sa température malgré les virus auxquels elle a été confrontée toutes ces années, c’est sans aucun doute à cette complémentarité rare entre hommes de pouvoir qu’elle le doit, de celles auxquelles toutes les entreprises sportives aspirent. Une relation de confiance soudée d’une hiérarchie claire. Le froid et le chaud. L’argent et sa parole. L’insondable milliardaire, sa prétendue brutalité dans les affaires, son goût de l’ombre, sa communication minimale – il ne parle que le russe –, et le chaleureux « Vadim » , diplomate certain, polyglotte, toujours à son aise quels que soient les circonstances et les interlocuteurs. C’est donc un couple presque parfait qui a volé en éclats un jour de Saint-Valentin, sans contestation possible le plus marquant et brillant sur le Rocher depuis la doublette de l’ancien monde Campora/Biancheri. Mais pourquoi maintenant ?
Le plus puissant des fusibles
Il serait naïf de croire que Vadim Vasilyev paie simplement sa gestion chaotique post-titre, comme tente de le faire croire le communiqué assez lapidaire de Dmitri Rybolovlev, manière un peu vaine de se dissocier des excès de son bras droit. Ce serait sous-estimer les réseaux complexes qui animent les coulisses du pouvoir en Principauté. Plus encore peut-être qu’au sein des autres grands clubs français, la facette sportive n’est qu’une composante de surface de la vie du club princier. Certes, le désormais ex-vice-président et directeur général de l’ASM a accumulé les erreurs grossières avec autant d’aplomb qu’il avait entassé les succès jusqu’alors.
De la vente précoce de Kylian Mbappé à l’éphémère dauphin – assurément la faute originelle, mais évidemment validée par Rybolovlev – à la dilapidation du trésor de guerre dans des achats douteux, en passant par les divulgations récentes de Mediapart, le meilleur dirigeant européen de l’année 2017 a écorné sous les projecteurs son image de « Monsieur Parfait » . Fragilisant de fait sa légitimité et exposant davantage encore son « N+1 » , déjà pris sous les tirs d’adversaires bien tapis dans l’ombre du Rocher. Empêtré dans « l’affaire Bouvier » , le propriétaire de l’ASM est dans l’obligation de manœuvrer finement avec le Palais, qui aimerait, selon d’insistants bruits de couloir, qu’il cède le club, mais qui ne peut réellement l’y contraindre. Rybolovlev, lui, aurait sans doute souhaité s’affranchir de toute influence émanant du Palais, chose évidemment impossible dans le microcosme monégasque, la Principauté détenant de plus toujours 33% du club. Alors, il semblerait que dans ce magma tactique digne d’une affiche européenne, chacun avance ses pions, pour mieux tempérer les ardeurs adverses.
Une succession éclairante
C’est ainsi qu’il y a quelques semaines, Louis Ducruet, fils de Stéphanie de Monaco, amoureux de l’ASM, 26 ans seulement, mais brillant paraît-il, a pris du galon au sein du club, passant de simple scout à assistant de Vasilyev. Ce qui ressemblait alors à un signe d’apaisement de la part de Rybolovlev. Un signe contraint ? Difficile de l’affirmer tant chaque mouvement dans les coulisses monégasques ressemble à un coup de billard à trois bandes. L’éviction de Vasilyev en fait partie et, si elle ressemble de loin à une perte de confiance entre les deux hommes doublée d’une faveur faite au Palais, elle peut tout autant signifier une réaffirmation d’autorité de la part du boss, qui offrirait la tête de son fidèle soldat à ses ennemis pour mieux protéger la sienne.
« C’est le temps des changements » , assénait ce jeudi Rybolovlev. « Il faut que tout change pour que rien ne change » , dit la maxime. Le profil du successeur de Vasilyev dira beaucoup de ce qui se trame au sein du club princier. S’il s’agit d’un autre homme de confiance du milliardaire tel Oleg Petrov, comme le pressent ce vendredi L’Équipe, cela confirmerait que Rybolovlev rassoit sa mainmise sur le club. Si, au contraire, un proche du Palais (De Bontin ? Ducruet ?) venait à être nommé, cela sonnerait comme la première réelle défaite de Rybolovlev dans sa vie de président de l’AS Monaco et peut-être un premier pas vers une cession du club. En attendant ce nouveau candidat qui sera soumis au conseil d’administration de l’ASM le 22 février, l’attachant Vadim Vasilyev, vierge de tout rapport au football à son arrivée en 2013, s’en va avec son immense réseau tissé au fil des années au sein des instances et auprès de ceux qui comptent dans le milieu, ses succès incontestables, ses quelques échecs, ce fameux modèle, aussi cynique que nécessaire, et cette expérience difficilement remplaçable. Une expérience qui enivre parfois les hommes. Jusqu’à leur faire perdre la tête.
Par Chris Diamantaire