- Espagne
- 40 ans de Raúl
Et si Raúl était resté à l’Atlético ?
De Raúl, les fans de football retiennent avant tout son passage longue durée sous le maillot du Real Madrid. Pourtant, le jeune Raúl González Blanco a commencé sa jeune carrière à l’Atlético de Madrid, avant de quitter le navire. Mais que serait-il arrivé s'il avait refusé les avances de la Maison-Blanche ?
Le sourire du garçon est rayonnant, rien ne semble pouvoir l’arrêter. Vainqueur du championnat cadet face au Real Madrid où il marque un triplé en finale, Raúl Gonzalez Blanco assomme le voisin madrilène, 3-0. Son entraîneur le cajole, et les soucis économiques de l’Atlético de Madrid sont loin d’arriver à l’esprit du gamin de San Cristobal de Los Angeles. Au retour du tournoi en bus, Raúl fait une promesse à son ami Jorge, le gardien de l’équipe avec qui il a l’habitude de rester à la fin des entraînements pour perfectionner ses frappes. « Écoute-moi Jorge, je te promets que tant que je serai ici à Madrid, jamais je ne signerai pour le Real. Nous sommes un club qui cultive l’effort, le combat et la souffrance. Jamais je ne pourrai trahir ce club, parce que ma famille entière estcolchonera. Cela signifie beaucoup trop pour moi à présent. Jorge, si un jour je dois quitter Madrid, ce sera depuis le Vicente-Calderón. En tout cas, c’est mon vœu le plus cher. » Une semaine plus tard, le président Jesús Gil y Gil annonce avec tristesse l’obligation pour le club de dissoudre les catégories de jeunes en raison des soucis économiques que traverse l’Atlético. Encore attaché à sa scolarité, Raúl n’apprend pas la nouvelle directement. C’est son père, Pedro, électricien de formation, qui doit annoncer ce changement de cap radical que doit aborder son fils. Le jour de ses 15 ans, le petit Raúl oublie les festivités avec ses copains et laisse un mot sur la table de chevet de son père au petit matin. « Cher papa, aujourd’hui, c’est mon anniversaire. Pour ce jour, j’ai décidé de m’offrir le plus beau cadeau possible. Non, ce ne sera pas un essai au Real Madrid. Je sais qu’ils me veulent, mais je ne veux pas y jouer. Le Real, ce n’est pas moi. Alors ça y est, c’est décidé : je vais aller passer un essai au Rayo Vallecano. Je suis parti à Vallecas seul, en bus. C’est une nouvelle vie pour moi, j’espère que tu la comprendras. Tu peux passer me voir au stade cet après-midi à 14 h. Bisous, ton Raúlito. »
La légende des Bukaneros
Le stade de Vallecas est en pleine ébullition. Pour ce match de la montée en Liga, le Rayo Vallecano reçoit Las Palmas pour ce match retour de barrage. Brassard vissé autour du bras gauche, Raúl souffle ses 22 bougies le jour même. Le jeune homme est déjà l’étoile montante du club de la banlieue madrilène avec un style bien particulier, celui de renard des surfaces. Encore une fois, son sens du but ouvre la voie de la montée dans l’élite aux Rayistas. Une frappe en rupture depuis l’extérieur de la surface, puis un penalty frappé en contre-pied avec sang-froid. Le gaucher illumine la tribune populaire où siègent les Bukaneros, et les fumigènes commencent à craquer par dizaines après le coup de sifflet final de l’arbitre. Barbe de deux semaines bien visible et cheveux longs maintenus par un élastique, Raúl ressemble comme deux gouttes d’eau au Che Guevara, de quoi laisser un peu plus les ultras du Rayo sous le charme de leur jeune capitaine. La saison suivante, l’équipe entraînée par Juande Ramos occupe pendant cinq journées la place de leader de Liga. Un déplacement au Santiago-Bernabéu se profile, et l’affrontement entre les deux capitaines, Raúl et Fernando Hierro, commence déjà en coulisses : « Choisir le Real, c’est choisir la facilité, explique Raúl. Quand j’étais gamin, j’aurais pu signer dans ce club où tout est fait pour gagner. Mais j’ai choisi d’être plus proche de mon public et d’éviter la vie de rockstar, comme Hierro le fait aujourd’hui. » Excédé par ce comportement provocateur, Hierro transgresse ses principes le temps d’un match, et se rend coupable d’un tacle assassin sur Raúl. La cheville gauche fracturée, le joueur quitte la pelouse, le regard noir adressé à Hierro comme si sa revanche sonnerait un jour ou l’autre.
L’exil allemand
Pas du genre à se mettre à douter, Raúl enchaîne les séances de kiné et retrouve très vite sa condition physique pour revenir sur les terrains de Liga. Pendant sa convalescence, Raúl s’est instruit à travers les livres : si Ainsi parlait Zarathoustra de Friedrich Nietzsche devient l’une de ses œuvres favorites, le joueur en profite pour boucler la bibliographie intégrale de Karl Marx, dont il est un fan absolu. Sa conception de la lutte des classes, l’exploitation des travailleurs et la critique de la valeur et de l’argent lui donne envie d’en savoir plus sur la langue de Goethe. Après une saison pleine au Rayo, son départ officiel de Madrid se fait à la suite d’un dernier déplacement au Vicente-Calderón. Sa signature d’un bail de quatre ans au Bayer Leverkusen, en train de se monter une armada en vue de la prochaine C1, tombe à pic. Très vite dans les petits papiers de Klaus Toppmöller, l’association Raúl-Ballack fait un malheur dans toutes les défenses européennes, à tel point que le club est au rendez-vous de la finale du 15 mai 2002 à Glasgow, face au Real Madrid, finaliste deux ans plus tôt contre Valence. Le match est serré, le défenseur Lúcio répond à l’ouverture du score rapide de Fernando Morientes. 1-1, jusqu’à la 45e minute de jeu. Côté gauche, Diego Placente envoie un centre en cloche à l’entrée de la surface madrilène. Libre de tout marquage, Raúl claque alors une reprise de volée magistrale sous la barre du but de César. 2-1, Leverkusen assomme les Blancos et Raúl célèbre son but en embrassant son majeur à l’intention des socios du Real Madrid et du capitaine, Fernando Hierro. La vengeance est un plat qui se mange en Écosse.
Blacklisté par la Selección, membre influent de Podemos
À la suite de ce scandale national, Raúl, qui cumule 32 buts toutes compétitions confondues pour la saison 2001-2002, n’est pourtant pas appelé par José Antonio Camacho dans la liste des joueurs convoqués au Mondial en Corée du Sud et au Japon. La raison ? Le sélectionneur considère que le joueur est « allé trop loin dans sa défiance vis-à-vis du Real Madrid » . Une décision qui ne fait ni chaud ni froid à Raúl, pour lequel l’état de latence dans lequel se trouve le pays est bien plus alarmant. Acheté dans la foulée par le Bayern Munich où il remportera tout de même trois Bundesliga en cinq ans et finira par passer le flambeau de matador de la Bavière au jeune Karim Benzema, Raúl opte ensuite pour un retour au pays, afin de se rendre vraiment utile. Toujours bien accueilli dans le quartier de Vallecas où sa légende continue de s’écrire, Raúl troque finalement ses crampons contre des rencontres fréquentes avec Pablo Manuel Iglesias Turrión, la force politique montante issue du quartier. Ensemble, les deux hommes échangent et se trouvent, après quelques bouffées de joint partagé comme un calumet de la paix, des points de concordance dans la façon dont le monde doit changer. Afin de transformer ces idées en actes, Raúl finance une partie de la campagne lancée par Iglesias Turrión pour que son parti prenne de l’ampleur au niveau national. « Ensemble, nous pouvons ! » se motivent les deux hommes, fédérateurs dans l’âme. L’avenir de l’équipe nationale d’Espagne est le dernier des soucis de Raúl, lancé dans son projet pour un monde meilleur. Même si de temps en temps, le quadragénaire prend des nouvelles de celui qu’il aurait toujours voulu être : un certain Fernando Torres.
Par Antoine Donnarieix