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Et si on se passait un peu de foot ?

Par Maxime Brigand
Et si on se passait un peu de foot ?

À la fin des années 1990, certaines voix affirmaient que la télévision allait progressivement tuer l'esprit du foot. Alors qu'une centaine de rencontres sont aujourd'hui diffusées en direct chaque semaine, quelques questions se posent : à quel point le rapport au jeu a-t-il été modifié ? Et si c'était le moment de regarder moins, pour apprécier mieux ?

Brian Clough et sa mine de sexagénaire usé avaient averti le monde avant même le début du XXIe siècle. C’était en septembre 1999, lors d’un entretien donné à l’Independent : « Lorsque j’étais enfant, j’avais l’habitude d’aller au cinéma le samedi matin et ils projetaient souvent des films sur la ruée vers l’or du Klondike, où tout le monde devenait fou et se tirait dessus, dans une forme d’hystérie. Le football en est à ce stade aujourd’hui. J’en ai assez de lire plus de choses sur l’argent dans le football que sur le football en lui-même. La télévision est une tueuse. La couverture des rencontres en direct est en train d’atteindre son point de rupture. L’ouvrier a perdu ce sentiment d’attente à propos du sommet émotionnel de sa semaine : son match du samedi après-midi ou du milieu de la semaine. Aujourd’hui, il ne sait plus quel match choisir, il s’installe dans son fauteuil, il n’y a plus d’excitation. Ils ont tué l’esprit de ce sport.(…)Il y a cinq ans, j’avais annoncé que la télévision allait tuer le football que l’on connaissait. La preuve, aujourd’hui, je regarde des matchs à la télévision et je vois des centaines de sièges vides. »

Puis, en juillet 2017, Pablo Aimar, meneur de jeu mythique des années 1990, joueur petit format aux manches trop longues et idole de Lionel Messi, poursuivait les observations de Clough dans une interview donnée au quotidien argentin Página12 : « C’est de plus en plus rare de voir des bons matchs, mais personne n’a l’air de s’en soucier, puisque beaucoup se contentent de regarder les résumés de match qui passent à la télévision. Je fais partie de la dernière génération qui regardait des matchs en entier. La génération actuelle, elle, est habituée à l’éphémère. » Certains joueurs tendent même à diviser en deux leur rapport au foot : y jouer, d’accord, mais le regarder, pour quoi faire ?

« Je joue, et c’est tout »

Cette thèse est notamment défendue par Mauro Icardi, qui n’a jamais cessé d’expliquer « ne pas s’intéresser » au football. « Le football est un sport qui me divertit. Mais je joue, et c’est tout. Je ne regarde jamais de matchs à la télévision » , détaillait même le buteur de l’Inter dans les colonnes de l’hebdomadaire italien SportWeek en février 2015. Comment l’expliquer ? Simplement : au fil des années, alors que le football a progressivement pris une place de plus en plus centrale et omniprésente dans la vie des gens, la dose d’images a été augmentée et tout ça ne pouvait rester sans conséquence sur les consommateurs. Des chiffres ? Le 22 octobre dernier, un journaliste du Guardian, Sean Ingle, s’est amusé à calculer le nombre de matchs retransmis en direct par la télévision anglaise au cours d’une semaine lambda : 87, sur sept jours, et ce, à une époque où il n’y a plus de pause, les tournées estivales étant diffusées, elles aussi, en live, et le Boxing Day permettant à chaque supporter de foot de dribbler le moindre manque. Résultat, suivre le foot est presque « devenu un métier, une vie parallèle » comme l’a expliqué un jour Nick Hornby dans France Football, l’écrivain anglais faisant ici référence aux multiples émissions de débat qu’il est possible de trouver à la radio, à la télé, sur internet et jusque sur les réseaux sociaux. Il n’y a plus d’événement, seul un flux permanent qui vient fracasser la tronche du fan de foot à chaque minute.

La colère aveugle et la « pornographisation »

Pour beaucoup, alors que 2019 vient de pointer le bout de son nez, voilà donc le foot transformé en produit de consommation comme les autres. Choisir un match est comme choisir sa série sur Netflix, n’importe quelle rencontre a un prix – celui de l’abonnement –, mais un fan peut trouver du foot toujours, tout le temps. Cool, non ? Au contraire, il semblerait que trop de foot commence à flinguer le rapport au foot et à attaquer directement le plaisir du fan : tout montrer, c’est planter l’excitation en plein cœur et progressivement banaliser le spectacle. Cela a un impact direct, ce qu’Aimar dessinait en évoquant une nouvelle génération plus animée par « les buts. Pour eux, il n’y a plus que ça qui compte. Nous, les vieux, on est plus dans l’analyse, on espère encore voir de jolies actions. » L’instant isolé a pris le pas sur l’ensemble, les enjeux ont bouffé le jeu : d’ailleurs, il y a bien longtemps que le foot n’en est plus un. « Si tu paies une fortune pour aller voir un match, et que ton équipe perd, tu as le sentiment d’avoir été floué.(…)Au lieu d’être mû par la passion et l’amour de ton club, tu es mû par une sorte de colère aveugle, sans véritable objet » , argumente Hornby, allant ainsi dans le sens des dérives dénoncées il y a plusieurs années par Christian Gourcuff. Une dérive de perception qui a une conséquence directe : aujourd’hui, le fan de foot avale plus qu’il ne déguste et préfère souvent rester sur son canapé plutôt que d’aller au stade.

Au printemps dernier, il a alors été constaté que la Ligue 2 avait perdu 12,2% de ses supporters dans les stades, ce que le président de Quevilly-Rouen Métropole (QRM), Michel Mallet, a justifié par « la démultiplication des matchs à la télévision » . Pourquoi filer à Gabriel-Montpied un vendredi soir, en plein mois de novembre, quand l’on peut regarder un Lyon-Toulouse à la télé ? Le constat est le même, à un degré moindre, en Angleterre lors des soirs de Ligue des champions, durant lesquels la Football League (Championship, League One, League Two) ne s’arrête souvent pas. Résultat, il a été constaté que les fans se rendaient moins facilement au stade, histoire de profiter d’un match de C1 sur grand écran. Brian Clough l’avait vu avant tout le monde : le rapport au football a été modifié, certaines voix – le journaliste suisse Laurent Favre (Le Temps) par exemple – évoquant une « pornographisation » de la chose, les courtes séquences et l’abondance de contenus ayant dépassé l’inédit. Avant de penser à devenir flexivore, et s’il était temps de revoir notre consommation de foot ?

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