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Et si l’Italie perdait son meilleur ennemi ?
En France, évidemment, on ne peut qu’être dépité face à la prestation de l’équipe de France, et déconfit de se dire que les Bleus ne seront peut-être pas au Mondial. De l’autre côté des Alpes, c’est avec un sentiment partagé et paradoxal que l’on a accueilli ce résultat français en Ukraine.
France/Italie. Italie/France. Prenez-le dans le sens que vous voulez, cela demeure un classique. Un derby des Alpes, un derby d’Europe. Un match qui a toujours valu cher. Car, qu’on le veuille ou non, ces deux nations sont intimement liées par une vérité commune : elles sont les deux seules nations européennes dans l’histoire à s’être affrontées aussi bien en finale de l’Euro (2000) qu’en finale de Coupe du monde (2006). Forcément, cela crée des liens. Mais Italie/France, c’est avant tout une rivalité. Une rivalité historique, qui passe à travers des duels mythiques, à travers une barre transversale de Di Biagio, une reprise de volée de Trezeguet, ou un coup de boule de Zidane. Alors, forcément, lorsque les Italiens ont assisté à ce fol échec français en terre ukrainienne, le sentiment a été mitigé. D’un côté, une émotion narquoise, moqueuse, qui pourrait se traduire par un : « Bien fait pour vous, vous qui voulez toujours jouer aux donneurs de leçons. » De l’autre, l’impression que votre meilleur ennemi ne va pas être de la partie. Et ça, forcément, cela fait quelque chose. Boca Juniors sans River Plate, c’est triste. Le Celtic sans les Rangers, c’est triste. On est bien content lorsque l’ennemi juré connaît les pires malheurs (une relégation, par exemple), mais ensuite, on se rend compte que, sans lui, bah on se fait chier. Alors, non, l’Italie ne s’emmerdera pas lors du Mondial brésilien. Mais une éventuelle absence de la France enlèverait un petit quelque chose, c’est indéniable.
Possibilité dramatique
En général, lorsque la Nazionale joue, la presse italienne, le lendemain, lui consacre toutes ses Unes. Qu’il s’agisse d’un match officiel ou d’un amical. Et surtout si cet amical se dispute face à un rival de prestige comme l’Allemagne. Mais dimanche matin, après la défaite des Bleus en Ukraine, le Corriere dello Sport affiche en Une la mine désespérée de Franck Ribéry, avec le gros titre : « Deux baffes pour la France » . Preuve ultime que le sort de leurs voisins français intéresse les Italiens. La Repubblica, de son côté, parle désormais d’une « possibilité dramatique que la France ne se qualifie pas pour le Brésil » , ajoutant que le match retour sera « l’un des matchs les plus importants de toute l’histoire de l’équipe de France » . De fait, ne pas voir les Bleus au Brésil serait quelque chose d’assez bizarre pour les Italiens. À chaque compétition, tout le pays s’unit derrière la Squadra Azzurra. Mais juste après l’Italie, les résultats les plus importants sont toujours ceux de la France. C’est comme ça.
Lors du dernier Mondial, en 2010, l’Italie, championne en titre, est éliminée au premier tour. Mais, quelque part, cette élimination, aussi dure à accepter soit-elle, est rendue moins amère par l’élimination tout aussi prématurée de la France. Car, le pire, c’est évidemment que la France fasse mieux que l’Italie. Ce qui n’est pas arrivé en compétition officielle depuis l’Euro 2004. Alors, voir la France se faire éliminer avant même que le Mondial ne débute ferait bien rire les Italiens. Mais il ôterait un charme à la compétition. Parce que, rivalité historique oblige, il n’y a rien de mieux que de voir les Bleus se faire sortir au premier tour, pendant que la Nazionale continue sa route vers les huitièmes.
Seulement un représentant italien
En Italie, ce match catastrophique de la France en Ukraine a également réveillé de la fierté. De la fierté ? Oui. Car, derrière toute France qui gagne, il y a une grosse part d’Italie. En 1984, l’équipe de France qui remporte l’Euro est, avant tout, la France de Platini, star de la Juventus. Mais rien à voir, évidemment, avec 98. L’équipe de France championne du monde est, en grande partie, composée de joueurs qui évoluent en Serie A. Deschamps et Zidane à la Juve, Thuram à Parme, Djorkaeff à l’Inter, Desailly au Milan AC, Candela à la Roma, sans oublier Karembeu, Dugarry ou Vieira qui avaient également évolué en Serie A quelques années auparavant. À tel point que, lorsque la France est sacrée championne du monde (après avoir éliminé l’Italie en quarts), la presse italienne assure que la France n’aurait jamais gagné sans la culture italienne.
Or, aujourd’hui, quasiment aucun joueur faisant partie de l’équipe de France de Didier Deschamps ne joue en Italie. Il y a Pogba (Juventus) et… et c’est tout. Douze joueurs qui évoluent en Angleterre, sept en Ligue 1, deux en Espagne, un en Allemagne et un en Italie, donc. De quoi provoquer les railleries des journaux italiens, qui ne peuvent pas s’empêcher de faire le lien entre ce chiffre et le partiel échec français. Un lien qui serait évidemment rompu si les Bleus venaient à réaliser un exploit demain soir. Car, au final, c’est peut-être ce que les Italiens espèrent vraiment. Voir la France se faire sortir par l’Ukraine, ce serait « drôle » . Mais, au fond, l’Italie aimerait pouvoir dire à la France : « On se voit au Brésil. » Car il n’y a rien de mieux que de pouvoir en découdre sur le ring, comme en 1998, 2000, 2006 ou 2008, pour réaffirmer sa suprématie. Entre bons ennemis.
Par Eric Maggiori