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Aux Français l’engagement, aux Italiens les errements

Par Tristan Pubert

Au pouvoir depuis bientôt deux ans, Giorgia Meloni n’a, elle, jamais été dans le viseur des joueurs italiens, dont le silence reste de mise. Alors forcément, lorsque certains Bleus ont tapé du poing sur la table contre l’extrême droite, la question s’est posée de l’autre côté des Alpes : pourquoi les Azzurri restent silencieux ?

Aux Français l’engagement, aux Italiens les errements

Mardi soir dernier, aux alentours de 23 heures, à l’Arena de Munich, l’équipe de France voyait son aventure allemande s’arrêter aux portes de la finale, éliminée par une Roja beaucoup plus conquérante et ambitieuse dans le jeu. Si dans l’Hexagone, les critiques ont immédiatement fusé sur le contenu proposé par les Bleus, la faille tactique de Didier Deschamps ou encore le rendement de Kylian Mbappé, à l’étranger, et notamment de l’autre côté des Alpes, ce sont surtout les prises de position contre l’extrême droite de Thuram, Konaté ou encore Koundé qui sont restées dans les mémoires. « Ces interventions ont marqué l’histoire de l’Euro. Ils ont montré qu’il était possible de prendre position de manière ferme contre l’extrême droite », clame tout de go Mauro Berruto, député italien sous l’étiquette Partito Democratico (centre gauche) et ancien sélectionneur de l’équipe de volley-ball italienne.

Si certains se laissent à penser qu’il ne faut pas mélanger football et politique, en Italie, le gouvernement italien prouve tout le contraire, en faisant du calcio son nouveau cheval de bataille, au même titre que la culture et l’audiovisuel. Énième preuve après l’élimination de la Nazionale en huitièmes de finale face à la Suisse (0-2), où Giorgia Meloni a justifié cette élimination par « la présence trop importante de joueurs étrangers en Serie A ». Un argument anachronique (et complètement con, disons-le) visant uniquement à servir sa tambouille politique. « Lorsqu’il s’agit de trouver des raisons à un problème, c’est toujours plus simple de taper sur les étrangers », répond Valerio Moggia. Spécialiste de la politique dans le sport et créateur du blog Pallonate in Faccia, il ajoute : « C’est du populisme pur et dur. Quand on regarde la Premier League, il y a beaucoup plus de joueurs étrangers et pourtant, l’Angleterre est performante. » Un argument non recevable également pour Mauro Berruto. « La raison de l’échec de l’Italie s’explique principalement par le manque de courage des clubs italiens à faire confiance à leurs jeunes talents. Le football italien ressemble finalement au gouvernement, il est conservateur et réactionnaire. »

Une extrême droite dédiabolisée

À l’heure d’un football aseptisé, où chaque déclaration est scrutée, il est devenu rare de voir les joueurs prendre position sur des sujets dits politiques. « Les prises de parole des joueurs français sont admirables, car nous ne sommes pas habitués à voir cela, surtout pour dénoncer un parti politique. Il faut les féliciter. Ce sont des citoyens et ils ont le droit de dire ce qu’ils pensent, même si ça ne plaît pas à certains », argumente Mauro Berruto.

En Italie, alors que l’extrême droite est au pouvoir depuis bientôt deux ans, aucun international ne s’est clairement exprimé sur la situation. Mais pourquoi ce silence ? Selon l’ancien sélectionneur de la Nazionale de volley-ball, « on fait comprendre aux joueurs qu’ils doivent seulement bien jouer et qu’ils ne doivent surtout pas prendre position au niveau politique. » Interrogé avant le match face à l’Espagne sur les prises de position des Bleus contre Jordan Bardella & Cie, Davide Frattesi – d’abord coupé par l’attaché de presse de la Nazionale qui dira « on ne parle pas de politique ici, seulement de football » – lâchera un timide « chacun est libre de dire ce qu’il pense, dans le respect ». Une réponse qui témoigne également de l’apolitisation de nombreux joueurs, comme le souligne Valerio Moggia. « Pour beaucoup de joueurs italiens, et même d’Italiens de manière générale, avoir l’extrême droite au pouvoir n’est pas perçu comme quelque chose de grave. En France, il y a eu de grandes mobilisations, ce qui n’est pas arrivé chez nous. Fratelli d’Italia (le parti de Giorgia Meloni, NDLR) a été dédiabolisé », justifie Moggia.

De père en fils, même combat : lutter contre l’extrême droite. (Photo : Icon Sport)
De père en fils, même combat : lutter contre l’extrême droite. (Photo : Icon Sport)

Outre cette dédiabolisation de l’extrême droite italienne (dont s’inspire grandement le Rassemblement national), le CEO de Pallonate in Faccia souligne que de « nombreux joueurs ne se sentent pas concernés par la politique de Meloni pour diverses raisons » et que d’autres « craignent de prendre position sur des sujets aussi clivants, surtout que l’extrême droite est au pouvoir, et donc s’opposer à cela, ce serait s’opposer aux Italiens finalement ». Une réflexion partagée par Pippo Russo. « En Italie, la grande majorité des joueurs sont de droite, même s’ils se disent publiquement apolitiques », souligne le sociologue et essayiste, qui ajoute que « la très grande majorité des joueurs italiens ne perçoit pas l’extrême droite comme un danger ». Si certains joueurs, comme Ciro Immobile ou encore Antonio Candreva, se sont déjà positionnés, le premier pour la cause LGBT, le second en payant les frais de cantine d’une enfant dont les parents étaient en grande précarité, ces actes restent des exceptions. « Ce sont de belles actions, mais pour changer vraiment les choses, il faut s’opposer fermement à un système politique », précise Valerio Moggia.

« Ce sont les nouvelles générations qui vont changer les choses »

Pour Mauro Berruto, « premier sportif italien à siéger au Parlement italien », comme il aime le souligner, la prise de position des Bleus ne devrait néanmoins pas permettre d’avoir une prise de conscience réelle de l’autre côté des Alpes, du moins pas concernant les sportifs : « En Italie, cela me semble difficile, les joueurs ne sont pas aussi sensibles qu’en France sur les questions de racisme et de discrimination », souligne le médaillé de bronze aux JO de Londres. Un manque de sensibilisation qu’il explique en premier lieu par l’histoire distincte des deux pays : « La France a un passé colonial. C’est un héritage qui a sensibilisé beaucoup de Français sur les questions de racisme et de discrimination. En Italie, sur ces questions-là, nous avons énormément de retard. » Un retard qui se constate régulièrement dans la Botte, à l’instar des déclarations du ministre des Sports – Andrea Abodi – au sujet de Jakub Jankto, premier joueur en activité à dévoiler son homosexualité. « Il faut voir également comment le racisme est traité dans notre football. La chose n’est pas prise au sérieux, on la minimise. Il faut se rappeler que certains présidents, comme Tommaso Giulini de Cagliari, défendaient leurs supporters lorsque ces derniers avaient des propos racistes », constate Valerio Moggia.

Une extrême droite dédiabolisée, un racisme banalisé, s’ajoute à cela l’absence de diversité dans les équipes nationales qui n’arrange pas les choses. « Nos voisins européens ont des sélections très mixtes avec de nombreux joueurs issus de l’immigration, ce qui n’est pas le cas en Italie. Alors forcément, sur les questions de racisme et de discrimination, les joueurs se sentent moins concernés », avance Mauro Berruto qui souhaite que les équipes de sports collectifs s’inspirent de la fédération d’athlétisme italienne qui a fait de la mixité sa force. « Le changement de mentalité viendra avec ces nouvelles générations qui ont grandi avec la mixité et comprennent que c’est une force », précise Berruto. Un avis partagé par Pippo Russo : « Ce sont ces nouvelles générations qui vont faire avancer les choses, j’en suis certain. » Un peu de patience donc, le pays ayant comme autre tare de ne pas faire facilement confiance à ses jeunes.

Euro U19 : avant la demi-finale de la France, l’Espagne bat l’Italie et se qualifie pour la finale

Par Tristan Pubert

Propos de Berruto, Moggia et Russo recueillis par TP.

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