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Et si le retour de Benzema chez les Bleus était le geste politique le plus fort de 2021 ?
L’attaquant du Real va donc de nouveau endosser le maillot bleu. Si évidemment, il s’avère possible de gloser ad vitam sur les justifications sportives ou sur les conséquences tactiques de ce retour, sa dimension politique ne peut échapper à personne, et surtout pas à l’opinion. En réhabilitant en quelque sorte le meilleur attaquant français, au regard du passé et du passif, Didier Deschamps vient certainement d’effectuer, probablement à son insu, un des gestes politiques les plus importants de 2021.
Le cas de Karim Benzema a depuis longtemps quitté le seul champ footballistique, tout simplement parce que son talent ne se discute plus. Ou plutôt il a fini par incarner, de péripéties judiciaires en polémiques partisanes, l’interconnexion inévitable entre le ballon rond, avec sa place désormais incontournable dans la société française, et les débats qui divisent et travaillent le pays. Sa face sombre aussi. Quand les Bleus de Deschamps fêtaient – en partie pris en otage par la Macronie – leur victoire à l’Élysée, gommant toute éventuelle aspérité sur leur « diversité » , l’ombre du Madrilène révélait par contraste que rien en fait n’était réglé derrière les sourires de Kanté ou les cordes vocales de Vegedream. Il y avait toujours un « mauvais arabe » qui hantait le foot tricolore. D’autant plus que la montée en puissance du joueur s’avérait incontestable, et même loin de l’équipe de France, il n’avait cessé de prendre en épaisseur, débarrassé de la malédiction du buteur stérile dont on égraina un moment les minutes sans marquer.
Le retour du « mauvais arabe » ?
L’affaire de la sextape, les déclarations sur le racisme, les volte-face et les dénis de Le Graët, les maladresses de Karim dans la presse espagnole, les tags débiles sur la maison du sélectionneur, etc. Le foot vivait et revivait sans cesse Knysna et l’affaire des quotas. Et le joueur dont on mesurait la longueur de la barbe ou dont on scrutait sur ses lèvres s’il chantait La Marseillaisese découvrait le banal statut d’un contrôle au faciès, peu importe son casier judiciaire (au passage, il n’a toujours pas été condamné).
Pourtant, la décision de Deschamps ne pouvait finalement tomber à un meilleur moment, en tout cas à un moment plus crucial. D’abord parce que s’annonce un campagne présidentielle dominée par des thématiques bien spécifiques, entre tournant sécuritaire sur lequel tout le monde embraye et la traînée de poudre d’une loi sur le séparatisme qui pointe du doigt des millions de Français, et quelques Françaises voilées. On attend d’ailleurs et on entend déjà les incartades langagières et les vomissements idéologiques sur Cnews ou Sud Radio, avec leur lot de sous-entendus de moins en moins cachés, traitant certainement Didier Deschamps d’islamo-gauchiste (Blanquer et Darmanin en embuscade).
Deux France, une seule équipe
Karim Benzema en équipe de France, au moment justement où le pays se déchire sur ce qu’il représente, l’onde de choc va secouer bien des bonnes ou mauvaises consciences. Et le voilà presque investi de la mission de réconcilier les deux France. Bien sûr, celles qui sur les réseaux sociaux s’insultaient sur son cas, s’invectivaient, maudissaient ou défendaient Giroud, avec lequel il va devoir composer malgré tout, sans oublier la litanie de son mauvais entourage et de ses origines aussi bien algériennes que sociales. Mais aussi ces deux France qui aujourd’hui se regardent non plus en ennemies, mais en irréconciliables, et qui sont obligées toutefois de se supporter et pourquoi pas donc de supporter une équipe de France avec un Benzema en pointe. En 2018, après les attentats, nous avions tous besoin de nous aimer et de vibrer. En 2021, entre la pandémie et les crispations de part et d’autre, de tous les murs, de toutes les barricades qui se dressent entre les chapelles et les identités, notre pays a besoin de ne plus se haïr. Karim Benzema face à l’histoire, on ose ? Il va devoir surtout démontrer à un Hexagone qui s’étire désormais historiquement de Charles Péguy à PNL, qu’on peut changer une nation en tapant dans un ballon.
Par Nicolas Ksiss-Martov