- Loi contre le piratage audiovisuel
Et si le piratage n’était que de la légitime défense ?
La menace du piratage des diffusions de match revient en force ces derniers temps. Au point qu’elle constitue un des points essentiels de ce qui reste du grand projet de loi « Sport et société » actuellement discuté à l’Assemblée nationale. Mais d’un certain point de vue, répressif, on oublie que la généralisation du procédé relève presque, quelque part, d’une légitime défense des amoureux du ballon rond devant l’augmentation permanente du coût du foot.
Il existe tellement d’idées fausses auxquelles il faut tordre le cou autour de ce fameux phénomène du piratage. D’abord, la difficulté d’en évaluer le préjudice. Les chiffres cités par les acteurs économiques du monde sportif (clubs, chaînes de télé, etc.) et en particulier du foot (la Ligue ose même balancer 500 millions d’euros…) repose sur de fausses suppositions. Dont cette incroyable conviction que toutes les personnes qui s’embêtent à scruter leur streaming incertain ou figé sur leur ordi ou leur tablette seraient prêts à payer le coût, de plus en plus onéreux, d’un abonnement légal. Se baser sur une telle utopie illustre à quel point la réalité sociale échappe complètement aux dirigeants du foot pro. Le fiasco Mediapro l’avait d’ailleurs illustré. Que ce soit la LFP ou les diffuseurs potentiels, tous paraissent persuadés de l’existence d’un puits sans fond de clients capables de débourser n’importe quelle somme, non seulement pour la Ligue des champions, mais aussi la L1 voire la L2. Une addiction collective qui ne serait donc jamais calmée, peu importe le contexte économique. Il y aurait beaucoup à dire sur la rationalité du capitalisme sportif…
Le prix de l’amour ?
Naturellement, la réalité du terrain s’avère bien différente. Le premier point reste que les « fraudeurs » paient en fait déjà pour s’enthousiasmer ou pleurer devant leur match. À commencer par leur box internet, pour laquelle ils doivent payer tous les mois. La relation à la gratuité de tout contenu en ligne doit se penser en ces termes. Pas besoin donc de convoquer Proudhon et son mal compris « La propriété c’est le vol ». La musique et le cinéma ont déjà été confrontés à cette évolution. Les tentatives de freiner le piratage face à l’amplification massive de la consommation numérique et l’accélération des avancées technologiques (du haut débit à la 5G) ont contraint ces industries du divertissement à repenser leur modèle, en multipliant les parades. De fait, le succès des plateformes comme Netflix (qui doivent aussi composer avec la circulation des codes d’accès) ou des sites de streaming musicaux (avec leur double version : gratuite et pub, payante sans pollution…) l’illustre parfaitement.
Le monde du foot a de son côté bien du mal à penser la suite. Il n’en a presque pas envie. Il se plaint, réclame son dû ou quémande auprès de l’État. Il traite le public en délinquant qui refuserait de payer, même s’il n’en pas envie. Il s’enferme par exemple dans son incapacité à comprendre que Mediapro fut autant une déroute financière qu’un Waterloo culturel. Les patrons du foot pro tricolore en étaient arrivés à croire, ou plutôt à exiger, que leur « produit » valait un milliard, pour ensuite se lamenter que les gueux n’acceptent pas de s’acquitter de la dîme. Comment n’ont-ils pu comprendre que depuis des années, la montée du piratage résulte autant d’une amélioration de la connexion chez les particuliers qu’elle s’apparente à une sorte de résistance passive à cette flambée des prix ? Le plus paradoxal au demeurant reste d’observer les pontes du ballon rond désormais courir après les supposés nouveaux modes de dégustation de la jeunesse (extraits en ligne des plus beaux buts, ne payer que les quinze dernières minutes…), tandis qu’ils méprisent ceux et celles qui persistent au contraire à travers le piratage à préserver un rapport traditionnel et entier au foot, à l’aimer sur la durée de la saison ou de 90 minutes, y compris un 0-0 de la 22e journée de Ligue 2.
Légitime défense sociale
Légalement, nul débat. Le piratage et le recours au streaming sont hors jeu. Culturellement, il s’agit presque d’un hommage, ou plutôt d’une tranchée pour tenir la position devant l’effondrement du foot d’avant. Et nous sommes nombreux en ce moment à creuser des tranchées pour tenir. Sur le plan social ou politique, effectivement, le piratage ressemble à une légitime défense. Surtout dans un contexte où toutes les alternatives (voir le match au stade, dans un bar ou chez un ami) ont disparu. Ceux qui en possèdent les murs, les gradins, les caméras et les droits peuvent peut-être vendre le foot, mais le foot ne leur appartient pas pour autant. Pas davantage qu’un bar n’est finalement la propriété de son patron, mais plutôt de ses habitués. Les ultras et ceux qui regardent le foot en streaming ont en commun, en outre d’être souvent criminalisés, d’être les derniers à aimer le foot sans penser qu’ils faillent toujours en payer le (bon) prix.
Par Nicolas Kssis-Martov