- Ballon d’or 2018
Et si le Ballon d’or était vraiment pour Mbappé ?
À seulement 19 ans, Kylian Mbappé se pose déjà comme un sérieux prétendant au Ballon d’or 2018. Muni de son statut de champion du monde et de records de précocité toujours plus nombreux, le Français du Paris Saint-Germain semble destiné à être couronné meilleur joueur du monde. Dès cette année ? Pas gagné : la concurrence fait rage, et la pépite n’a que deux saisons et demie au plus haut niveau. Sans oublier qu’il n’a encore jamais connu une finale de Ligue des champions.
Sans une goutte de sueur observable sur le visage, Kylian Mbappé attend le micro de TF1 aux abords du terrain. Comme s’il sortait de la douche ou d’une soirée promotionnelle pour un équipementier. Seul son haut blanc taché par des traces d’herbe sur les manches laisse supposer qu’il vient de disputer un match de football. Pourtant, son entrée à l’heure de jeu au stade du Roudourou de Guingamp face à l’Islande vient de transfigurer le visage d’une équipe encore menée 2-0 à la 86e minute. À coups d’accélérations inimitables et de dribbles explosifs, l’attaquant, pas fatigué pour un sou malgré des vacances estivales raccourcies, montre qu’il est certainement le champion du monde le plus en forme de la planète.
Auteur de l’égalisation après avoir provoqué un but contre son camp adverse, le phénomène tempère cependant les ardeurs à propos du sujet que tout le monde évoque depuis des semaines : « Je l’ai déjà dit. Le Ballon d’or, je n’y pense pas. Parce que quand je pense trop à quelque chose, je deviens trop individualiste. » Une confirmation après ses propos dans la Gazzetta dello Sport, où il assurait que ce trophée n’ « était pas une obsession » . Sauf qu’un petit mois et demi après ce 11 octobre 2018, le Parisien croit dur comme fer à ce titre individuel suprême.
Vainqueur de tous les trophées nationaux
Comment pourrait-il en être autrement ? Catapulté sur le toit du monde après un Mondial au cours duquel il a effrayé toutes les défenses (quatre réalisations, dont une en finale contre la Croatie et un doublé en quarts face à l’Argentine), celui qui a été élu meilleur jeune de la compétition a pris une nouvelle dimension depuis son départ de l’AS Monaco à l’été 2017 (pour 180 millions d’euros, soit le deuxième transfert le plus cher de l’histoire derrière Neymar). Constamment décisif et vainqueur de tous les trophées nationaux – Championnat, Coupe de la Ligue, Coupe de France – dès sa première saison avec le club de la capitale après avoir déjà glané la Ligue 1 avec celui de la Principauté, Mbappé n’en finit plus de grandir à un rythme inégalé. À tel point qu’il impressionne les plus grands, lesquels le verrait déjà à l’aise dans la peau d’un numéro un. « Il fait logiquement partie des joueurs français qui peuvent gagner le Ballon d’or, il le mériterait » , a par exemple lancé son sélectionneur Didier Deschamps.
Avant que son partenaire Gianluigi Buffon, deuxième du classement en 2006 et ancien coéquipier de Fabio Cannavaro (sacré la même année) ou de Pavel Nedvěd (sacré en 2003), ne prenne le relais sur France 3 : « Vu ses qualités, vu ce qu’il montre sur le terrain et vu comment il a été décisif durant le Mondial, il le mérite. Je ne peux pas dire le contraire. En Italie, on le compare à Roberto Baggio, Alessandro Del Piero ou Francesco Totti. Mais avec un talent exceptionnel et des qualités techniques comme j’en ai rarement observés. » Même son de cloche dans les pages de L’Union, où le Ballon d’or 1991 Jean-Pierre Papin indique que le moment du changement est venu : « Il est jeune, talentueux, évolue dans un grand club et gagne des titres. Sur ce qu’il a montré la saison dernière, il le mérite amplement. Et puis, ce serait bien aussi de casser la spirale Lionel Messi-Cristiano Ronaldo. Y en a marre, maintenant ! »
Platini et Papin en (contre) exemples
Mbappé représenterait donc l’Élu, l’homme tant attendu qui casserait l’hégémonie du binôme CR7-Messi (personne d’autre n’a pu s’emparer d’un Ballon d’or depuis Kaká en 2007) à seulement 19 ans. Et ce, dès cette année. Vraiment ? Pas si vite, répond Alain Giresse : « Dans l’absolu, il peut gagner le Ballon d’or dès aujourd’hui. On peut répondre à la question par une autre question : pourquoi ne pourrait-il pas le gagner ? Aujourd’hui, il n’y a rien, en apparence, qui l’en empêche. Mais si on regarde précisément les références nécessaires pour revendiquer ce trophée, il lui en manque peut-être. Je pense en effet qu’un Ballon d’or doit être muni d’une carrière ponctuée de plusieurs saisons abouties et marquées par d’immenses résultats. » Et le numéro 2 du classement 1982 de prendre en exemple ses compatriotes Michel Platini et Papin, avec qui il a joué et « qui avaient déjà un curriculum vitae bien lourd lorsque la consécration est arrivée » .
Platini a en effet sept saisons de première division française, une et demie de Serie A et deux Coupes du monde dans les pattes quand il reçoit son premier Ballon d’or en 1983. Quant à JPP, sacré en 1991, il enfile les caramels dans l’Hexagone depuis plus de cinq années et a déjà connu une finale (perdue) de C1. La Tortue Ninja née en 1998 à Bondy, elle, n’affiche pour l’instant que deux années pleines en Ligue 1. Ce qui fait dire à Giresse qu’ « en dépit de son talent évident, il a toujours ce côté éphémère, météore qui trône autour de sa tête. Même si le classement du Ballon d’or est en partie établi sur l’état présent et sur les performances de l’année 2018, sa continuité et sa régularité au plus haut niveau n’est pas encore, quoi qu’on en dise, affirmée. »
Le surdoué à la traîne…
D’autant que même sur la seule année 2018 – bien que superbe pour Mbappé –, d’autres peuvent regarder l’ex-Monégasque dans les yeux. Outre celle de Ronaldo et Messi qui « tiennent encore le haut du rideau niveau qualitatif et qu’il est impossible de surpasser intrinsèquement » selon Giresse, la concurrence bat effectivement son plein. Luka Modrić, Antoine Griezmann ou Raphaël Varane, pour ne citer que les prétendants les plus sérieux, ont chacun des munitions pour espérer accrocher le Graal tant désiré.
« La première ligne du cahier des charges établissant les critères pour gagner le Ballon d’or, ce sont les trophées soulevés. Or, sur l’année écoulée, certains ont davantage gagné que lui, rappelle le vainqueur de l’Euro 1984 reconverti entraîneur. Aller au bout de la Coupe du monde peut certes tout changer… Mais certains l’ont remportée en ayant en complément gagné la Ligue des champions, comme Varane, ou la Ligue Europa, comme Griezmann ! Être champion du monde à 19 ans en étant un acteur majeur du parcours de sa nation, c’est exceptionnel. Mais ça peut ne pas suffire… »
… malgré ses records
C’est que le double champion de France en titre paye le parcours décevant du PSG en Coupe d’Europe. Éliminé en huitièmes de finale par un Real Madrid finalement vainqueur (et mené par… Ronaldo, Modrić et Varane), Mbappé n’a pas brillé comme il avait pu le faire avec le Rocher un an plus tôt, atteignant le dernier carré après avoir balayé Manchester City et le Borussia Dortmund en dégueulant son génie à la face du monde (six pions en six titularisations à partir des huitièmes). « Il est pénalisé par cette coupe aux grandes oreilles. Quand tous ses rivaux ont déjà disputé au moins une finale de C1, lui n’a connu qu’une fois les demi-finales, poursuit Giresse. Et il n’a pas encore montré qu’il pouvait, dans cette compétition, propulser son équipe tout en haut. »
Le surdoué a beau empiler les records de précocité, cela ne bouche pas le trou visible dans son palmarès qu’il commence tout juste à construire. Or, les douze derniers Ballon d’or ont été attribués à un vainqueur de la C1 ou à son meilleur buteur. Même Andrés Iniesta, pourtant champion du monde avec l’Espagne en 2010, n’avait pu faire mieux qu’une troisième position. Surtout, ses records s’apparentent à « des statistiques de coin de rue, pour Giresse. À ce que je sache, Mbappé n’a pour le moment pas été le meilleur buteur de la Coupe du monde. Ni d’une Coupe d’Europe. Ni de la Ligue 1. Et il n’est pas allé au bout de toutes ces compétitions. Dans le cas contraire, il n’y aurait sans doute pas de débat. Attention, ce n’est pas contester ses qualités, c’est seulement faire un constat objectif de la situation. »
Gentleman Kylian
Reste un avantage de taille pour Mbappé, qui garde une forme exceptionnelle depuis le début de la nouvelle saison contrairement à ses ennemis : son côté aussi spectaculaire que gentleman. Plus emballant pour la rétine que le sobre travail de Varane, davantage théâtral que le magnifique jeu de passe de Modrić, au moins autant dans la lumière que Griezmann et son transfert avorté au Barça, le Tricolore peut s’appuyer sur la formidable hype qu’il a créée grâce à ses exploits sur et en dehors des pelouses européennes et russes. En témoigne la couverture du Time qui lui a été consacrée.
À l’heure où la qualité des vidéos YouTube constitue une vérité aux yeux des plus jeunes et une véritable aubaine pour la race des dribbleurs-buteurs, la modestie et le langage maîtrisé du garçon charment également les plus anciens. Comme le légendaire Pelé, qui l’a déjà adoubé et en fait son digne successeur. Des atouts à ne pas négliger. Car en cas de scores serrés, les meilleurs joueurs du monde pourraient être départagés par la dimension extra-sportive. « C’est jouable, considérait de son côté Blaise Matuidi face à la presse. Il montre que c’est un très grand malgré son jeune âge. Kylian a tout pour remporter le Ballon d’or… Cette année ou plus tard. » Sur ce dernier point, au moins, il n’y a pas débat.
Par Florian Cadu
Propos d'AG recueillis par FC.