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- Alcool dans les stades
Et si l’alcool revenait pour de bon dans les stades ?
La buvette va-t-elle redevenir le centre du stade ? En tout cas, l'idée de rétablir la vente d'alcool dans les enceintes sportives commence à faire son petit bout chemin, même au pays de la sacro-sainte loi Évin. Une révolution qui doit autant au respect du culte populaire à Dionysos qu'au besoin de repenser l'économie du foot.
La nouvelle a surpris, mais elle démontre que parfois, nos élus ont de fortes convictions. En effet, 34 députés Les Républicains, menés par le Vosgien Stéphane Viry, ont déposé en février dernier une « proposition de loi portant autorisation permanente de la vente de boissons (alcoolisées) dans les stades » . Il s’agit ni plus ni moins que de supprimer l’article L3335-4 du code de la santé publique, la fameuse Loi Evin, interdisant la vente d’alcool « dans les stades, dans les salles d’éducation physique, les gymnases et d’une manière générale, dans tous les établissements d’activités physiques et sportives » . Rappelons néanmoins que les maires ont le droit de distribuer des dérogations, jusqu’à dix par an, de quoi sauver une saison. Voila pourquoi il est ponctuellement possible de trimbaler sa pinte dans un horrible gobelet en plastique jusqu’à son siège, en essayant de se souvenir tout le match de ne pas la renverser une fois posée à ses pieds, notamment pour célébrer un but.
Tous égaux devant le taux d’alcoolémie !
Forcément, à chaque fois qu’on s’attaque à un texte législatif qui semble de bon sens, qui plus est moral, il importe d’en dénoncer les effets pervers. Dans un post Facebook, le député d’Épinal, en croisade pour la bonne cause, remarque qu’ « il est patent que des supporters s’alcoolisent massivement aux portes des stades, avant le début des matchs, pour contourner l’interdiction » . Difficile de ne pas lui accorder ce point. Si l’objectif était de pousser ceux qui fréquentent les tribunes à la tempérance, l’échec est évident, les villes et villages de France offrent bien trop de tentations et d’opportunités d’y déroger. Au contraire, les mesures de prohibition ont toujours plutôt eu tendance à aggraver la tendance (comme ce fut le cas aux États-Unis). En outre, faire entrer sa gourde en douce est désormais devenu dans les kops et virages un rituel initiatique aussi courant que le passage clandestin de fumis sous le nez des stadiers. Toutefois, ce constat ne saurait suffire. Pourquoi se plaindre quand personne n’est véritablement privé de son droit de noyer son chagrin après une défaite dans des litres de larmes blondes ? Or, nous avons affaire à des politiques, qui bien que de droite, savent l’appétence égalitaire de nos concitoyens. Et quelle plus grande injustice que de voir les coupes de champagne se lever en loges VIP devant un bon peuple sommé de suivre les consignes du ministère de la Santé, serrant ses mains de frustration sur sa Tourtel. On a pris des bastilles pour moins que cela.
Cette logique républicaine est bien sûr loin de convaincre ceux et celles qui se battent pour tenter de combattre les conséquences néfastes et massives de l’alcool sur la santé publique, et qui ont l’impression – justifiée – qu’on grignote petit à petit la relative victoire de 1991. Certes, les mœurs ont évolué, la consommation moyenne par tête de pipe a chuté de deux litres depuis le début du siècle. Les modes ont aussi changé, les jeunes générations prisent d’autres saveurs que la simple association « bière et foot » , sans oublier ceux qui pour diverses raisons (religieuses ou la préparation du trail du dimanche) n’y touchent plus, ou enfin la montée en puissance d’autres produits qui se moquent d’être autorisés ou non.
Toutefois, l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA) n’en reste pas moins vigilante : « Cette proposition (de loi) multiplierait les occasions de boire de l’alcool. Les spectateurs pourraient ainsi consommer avant, pendant et après les matchs. » Il est vrai qu’alors que les autorités ne cessent de chanter les louanges du sport-santé, jusqu’à promouvoir le sport « sur ordonnance » , il faudra trouver et défendre la cohérence d’une telle « reculade » , y compris en conseil des ministres, si, par volonté de soulager le populo en colère, le président décidait d’entendre les sirènes de la buvette, avec peut-être dans la ligne de mire des clubs pros l’autorisation de la publicité des alcools – même si pour l’instant ce dernier barrage demandera un peu temps avant de tomber.
Moins de télé, plus de Picon
L’autorisation de l’alcool dans les stades s’inscrit toutefois également dans un contexte plus large, dans lequel les nécessités commerciales tentent de cohabiter avec les faveurs du foot populaire, comme en témoigne le retour en grâce des tribunes debout. Le Comité exécutif de l’UEFA a ainsi pour sa part franchi le pas en autorisant l’alcool lors des matchs de Coupe d’Europe. Sans oublier le glorieux débat sur la vente au Qatar pour les fans en goguette, et qui agita bien plus les méninges de la FIFA que le respect des droits des travailleurs, vivants ou morts.
Le besoin d’augmenter les recettes d’exploitation des stades, alors que certains dans le foot pro commencent à craindre ou anticiper un mini krach des droits TV, contraint en tout cas à réfléchir autrement le rapport au public plus ou moins bien assis sur les gradins. Le cas de la Coupe de la Ligue, dont tous les observateurs ont reconnu que les supporters des deux clubs, et surtout strasbourgeois, avaient sauvé à eux seuls la finale, a prouvé l’importance de continuer à caresser dans le sens du poil ces fidèles parmi les fidèles. Même les autorités ouvrent un peu la porte, notamment lors des assises du supportérisme au sujet des fumis et des déplacements (même si de fait Roxana Maracineanu, malgré sa bonne volonté apparente, a peu de pouvoir en ces domaines). Les instances du foot semblent donc de plus en plus prendre conscience du besoin de conserver une certaine convivialité et folie dans les enceintes pour garder l’attractivité de leur « produit phare » . Quand le téléspectateur se fait rare et l’abonné peut être frileux, il faut revenir à ses premières amours. Et lui offrir un verre pour mieux lui faire les poches ?
Par Nicolas Kssis-Martov