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Et si l’affaire Nancy devenait un nouvel arrêt Bosman ?
Par le biais du KV Ostende, Nancy s’amuse à contourner l’interdiction de recrutement prononcée par la DNCG sans que la LFP ne trouve quelque chose à dire. Sauf que l’instance française a laissé entendre que des discussions avec la FIFA et la FIFPro étaient en cours, au sujet de la régulation des prêts internationaux. L’ASNL sera-t-elle donc un futur arrêt Bosman ?
« Sans le rachat, nous ne serions même plus là », commence d’emblée Stéphane Lamaix, président des Nancy socios. Depuis 2016, l’ASNL est en mauvaise posture et le déficit structurel – mot aussi pompeux que flou – se creuse d’année en année. Jacques Rousselot, l’actionnaire majoritaire du club, n’a qu’une seule solution : vendre. Plusieurs intéressés viennent toquer à la porte des Chardons – dont le City Football Group –, mais c’est à chaque fois la même rengaine : au moment de signer les papiers de la vente, l’affaire finit par capoter. Sauf en janvier dernier, où un accord est enfin trouvé avec un consortium international composé d’investisseurs américains, chinois et indiens. Parmi eux, quelques noms connus des afficionados de la L1 : Paul Conway et Chien Lee, qui possédaient l’OGC Nice de 2017 à 2019. En acceptant ces actionnaires venus des quatre coins du monde, Nancy passe alors dans une tout autre dimension : celle de la multipropriété.
Les Lorrains intègrent ainsi une nébuleuse composée de Barnsley (Angleterre), Thoune (Suisse), Esbjerg (Danemark) et Ostende (Belgique). Celui-ci est particulièrement intéressant, puisqu’il est un des acteurs majeurs de la future polémique. Son président, Gauthier Ganaye, est propulsé à la tête des rouges et blancs grâce au rachat. L’homme d’affaire n’a alors qu’une seule idée en tête : instaurer le gegenpressing. Une tactique qui a permis au KVO de passer de promu à candidat à l’Europe, dans le plat pays. Pour cela, il ramène Daniel Stendel – coach allemand qu’il a connu lorsque Ganaye occupait le même poste à Barnsley – afin de mettre en place ce style de jeu. Mais pour que cela fonctionne, il faut des nouveaux joueurs. C’est le point de départ de la fameuse « affaire Nancy » .
Bords de la Meurthe sans passer par les rives de la Mer du Nord
L’indignation va, alors, aller crescendo. Pourtant, les premières recrues ne font pas grand bruit. Shaquil Delos arrive libre, en provenance de Chambly… Ok. Mamadou Thiam atterrit, en prêt d’Ostende… Pourquoi pas ? Son faible de temps de jeu avec le KVO (23 matchs, 453 minutes disputés) ne lui donne pas des airs de crack absolu qui a besoin de la Ligue 2 pour se révéler. Les signaux commencent à passer à l’orange avec Thomas Basila. Sans contrat depuis la fin de son bail avec Nantes, le défenseur passe d’abord par la case Belgique pour parapher un contrat de quatre ans puis débarque dans la foulée en Lorraine. Les sourcils des dirigeants de Ligue 2 se froncent plus sérieusement encore lorsque la liaison Ostende-Nancy est utilisée, une nouvelle fois, pour Mickaël Biron. Déjà sociétaire des Chardons, l’international martiniquais est transféré chez les Kustboyspour une somme comprise entre trois et cinq millions avant un retour express à l’envoyeur.
Un montant loin d’être anodin, puisqu’il permet au club formateur de Michel Platini de combler le fameux déficit structurel de cette année. Ainsi, le passage devant la DNCG n’aboutit qu’à une interdiction de recrutement onéreux alors que le gendarme du football français aurait pu être plus sévère. Mais c’est Andrew Jung qui va provoquer l’ire de plus de la moitié des dirigeants de Ligue 2, le meilleur buteur de la saison 2020/2021 de National 1 étant sur les tablettes de nombreux clubs et se retrouvant au cœur du même montage usité pour Mickaël Biron. Trop, c’est trop ? Les Chardons sont interdits de recrutement, et voilà qu’ils enrôlent trois joueurs en passant par des chemins de traverse. Alors Ajaccio, Amiens, Grenoble, Paris, Dunkerque, Guingamp, Toulouse, Auxerre, Le Havre, Rodez et Sochaux envoient un courrier avec accusé de réception à la FFF, la LFP et la DNCG dans le but de mettre fin à « cette concurrence déloyale et de l’iniquité flagrante qui en découle au sein du championnat de Ligue 2 ».
Le Chardon qui cache la forêt
Malgré ce courrier agressif, certains présidents préfèrent tempérer. « Je ne reproche pas à Nancy d’agir ainsi, je dénonce le règlement permettant de le faire. C’est une occasion pour nous d’agiter le chiffon rouge devant les instances. Il faut absolument faire quelque chose. Ce problème, on ne le retrouve pas qu’à Nancy », rappelle le président d’Ajaccio, Christian Leca. Même son de cloche pour Max Marty, le manager général de Grenoble avouant qu’il n’a rien contre les rouges et blancs, « qu’ils ont eu l’habileté d’essayer de trouver le moyen de contourner la règle mais que cela doit cesser ». Nancy n’est donc pas un bouc émissaire, mais un symbole d’une nouvelle dérive. Pourtant, les Chardons avaient toutes les cartes en main pour éviter de voir les autres pensionnaires de L2 en arriver à des extrémités pareilles. « Déjà, cela ferait moins jaser si les joueurs venaient d’autres clubs. Puis un de leurs actionnaires pouvait satisfaire la DNCG en faisant un chèque », assène Thierry Granturco, avocat spécialiste du droit du sport.
« Sauf que ce chèque implique une augmentation des fonds propres, donc du capital social. Il faut donc l’accord des autres propriétaires car en injectant de l’argent, cet actionnaire augmente ses parts dans la société. Or, les autres membres ne veulent pas forcément voir les leurs se diluer », ajoute l’homme de loi. Bien avant que la LFP déclare que tout était en règle, Maître Granturco connaissait déjà la réponse de l’instance française. « Dans l’Hexagone, il y a une restriction des prêts à deux joueurs. Sauf que là, les mouvements sont internationaux et il n’existe aucune réglementation pour cela. Les clubs belligérants n’ont plus aucun recours puisque s’ils devaient porter cela devant les tribunaux, ils perdraient également », renchérit l’avocat. La conclusion ? Tout est légal, circulez, il n’y a rien à voir. Toutefois, le combat mené par les frondeurs pourrait tout de même aboutir à quelque chose. La Ligue de football professionnel le sous-entend parfaitement, dans son courrier adressé aux dirigeants en colère. « Nous sommes bien conscients des enjeux majeurs que vous soulevez, pour l’équité des compétitions de la LFP, mais aussi pour le respect des décisions prises par les Commissions. C’est d’ailleurs pour ces raisons que la LFP est associée aux réflexions menées par World Leagues Forum sur l’encadrement des prêts internationaux, sur un modèle similaire à celui que nous avons déjà institué en France. Les discussions avancent avec la FIFA et la FifPro », rassure l’organisation présidée par Vincent Labrune.
Vers un « arrêt Nancy »
« La multipropriété est en train de se développer à foison et encore une fois, le football à un métro de retard », prévient Thierry Granturco. Comment lui donner tort ? En Ligue 1, les multipropriétés commencent à être légion. Monaco (Cercle Bruges KSV), Bordeaux (Boavista), Troyes (City Football Group) et Lens (Joseph Oughourlian a des parts au Calcio Padova et au Millonarios Fútbol Club de Bogota), pour ne citer qu’eux. Si cette pratique ne peut pas être interdite – cela empêcherait le libre investissement, et irait à l’encontre des traités européens –, il en est autrement pour les contournements qui en découlent. « Il est assez récurent que le football se pose des questions juridiques métaphysiques que le monde de l’économie a déjà réglées, s’amuse le bâtonnier. Dans l’industrie, lorsqu’une filiale est sanctionnée et qu’il y a un groupe au-dessus, les juges s’assurent que la sanction soit effective pour l’un et l’autre. Par exemple, aucune exportation de biens n’est autorisée si le vendeur et l’acheteur ont le même actionnaire. »
« De toute manière, la multipropriété va nécessiter une intervention. L’UEFA finira par légiférer et accepter d’étendre à l’international les sanctions prises à l’encontre d’un club, ne serait-ce que pour garder légèrement la main sur ce qui arrive dans le milieu du foot », prédit le maire de Villers-sur-Mer. La bataille engagée ne donnera pas son verdict tout de suite, mais aboutira donc à une nouvelle régulation des transferts. À l’image d’un modeste joueur de D2 belge devenu un arrêt international, une ville de 100 000 habitants semble bien partie pour impacter le grand monde du ballon rond.
Par Aurelien Bayard
Propos recueillis par AB, sauf ceux de Max Marty (beIn sport) et de Christian Leca (L’Est Républicain).