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Et si la Juventus n’était que la première victime d’une longue série ?

Par Léna Bernard
6 minutes
Juventus : la première écornée

La Vieille Dame a magouillé et elle a perdu - quinze points -, passant de la troisième à la dixième place en Serie A. Restent deux questions : la Juve sera-t-elle le seul club affecté et quelles seront les conséquences de cette affaire ?

Si la Juve n’est pas le seul club à avoir joué avec les écritures comptables, elle est le seul des clubs italiens incriminés à avoir été sanctionné. Le club piémontais a été amputé de quinze points par la cour d’appel de la Fédération Italienne (FIGC), et ses désormais ex-dirigeants ont également été frappés de sanctions individuelles allant jusqu’à l’interdiction d’exercer toute fonction en lien avec le milieu du football. Ces sanctions sont intervenues dans le cadre d’une enquête ouverte par la FIGC à propos de plus-values artificielles réalisées sur certains transferts depuis 2021. Sur 62 transferts considérés comme suspects en Italie, 42 concernaient uniquement la Juventus. Les mauvaises langues diront que la Vieille Dame dérange, d’autres que le fait que l’équipe soit cotée en bourse a provoqué sa chute. La cotation en bourse, c’est le lot de plusieurs équipes européennes, à l’instar de l’Olympique lyonnais en France. Une chose est sûre, une période de contrôle accru est en train de s’ouvrir.

Être coté en bourse, un risque supplémentaire ?

Le club de la capitale rhodanienne est, comme la Juve, coté en bourse. Qui dit cotation en bourse, dit contrôle encore plus accru de la part des instances. Pour Badou Sambagué, juriste spécialisé en droit du sport, « ce qu’on peut dire à travers l’affaire de la Juventus, c’est que l’ensemble des clubs qui vont avoir des transferts ou transactions simultanés vont être suspectés immédiatement, pour la simple et bonne raison qu’aujourd’hui, pour déterminer le montant d’un transfert et notamment l’indemnité qui pourrait être payée au club vendeur, on se base sur le marché ». Luc Arrondel, économiste du football, estime pour sa part que les conséquences d’une telle affaire diffèrent pour les clubs cotés en bourse : « Le cours de la bourse dépend des évènements financiers et de toute information sportive. Le cours de l’action est déterminé par les fondamentaux et les espérances de revenus du club, donc dès que vous avez une information qui risque de diminuer les revenus futurs du club, l’action baisse. » Ce qui a pu poser problème à la Juventus, par rapport aux autres clubs italiens cités, est donc sa cotation en bourse. Un club de football n’étant pas une entreprise « classique », être coté en bourse peut donc être un jeu qui en vaut la chandelle, mais gare au revers de la médaille. Pour Luc Arrondel, la spécificité d’un club de football réside dans la popularité qu’il entraîne, contrairement à une entreprise classique. Pour l’aspect financier, la logique n’est pas la même : « Déjà, le foot ne fait pas de profits, donc ce n’est pas une activité lucrative à proprement parler, les clubs maximisent les victoires et le palmarès alors qu’une entreprise classique maximise les profits. C’est quand même, pour la plupart, des entreprises qui ont plus de 100 ans, un club de foot ne disparaît pas. »

L’autre grande différence entre un club de foot coté en bourse et un qui ne l’est pas demeure la manière dont est géré un club lorsqu’il y a un propriétaire unique et lorsque il faut rendre des comptes aux actionnaires. Pour Badou Sambagué, « quand un club est coté en bourse, il y a des obligations qui sont beaucoup plus poussées parce qu’il y a de l’épargne publique, on fait appel à des personnes qui vont être titulaires de titres donc, en quelque sorte, être en partie propriétaire du club grâce à leur titre, et donc naturellement, on a des obligations qui sont plus importantes, car plus de personnes peuvent être affectées. » Alors que, lorsqu’un club est détenu par un seul propriétaire, il reste soumis aux diverses réglementations applicables, mais le propriétaire n’a d’obligations qu’envers lui-même.

Une affaire qui peut voir le jour en France ?

La sanction subie par la Juventus doit alerter l’ensemble des clubs européens sur leur gestion comptable. En France, Lyon inquiète. Le deuxième Olympique français, souvent cité dans les exemples de « bonne gestion » parmi les clubs hexagonaux, voit une nouvelle ère s’ouvrir avec son rachat par l’Américain John Textor qui est loin de rassurer. Badou Sambagué considère qu’une nouvelle ère va voir le jour sur le marché des transferts. « La sanction qui a été prise en Italie a pour objectif de vérifier s’il n’y avait pas une violation du fair-play financier et qui dit FPF dit UEFA dit Union européenne, donc possibilité d’étendre ces sanctions, déroule-t-il. L’objectif est non seulement de viser des personnes en Italie, mais aussi que ces sanctions soient étendues au niveau européen. Il s’agit aussi de voir si on a une violation des règles d’éthique de la FIFA même au niveau mondial. » L’affaire qui secoue le Calcio laisse penser que l’objectif des instances est désormais de contrôler et vérifier la comptabilité des clubs. Badou Sambagué insiste : « Toute stratégie visant à jouer sur cette surestimation du montant des transferts afin de s’extirper de certaines règles s’appliquant à tous les clubs pourra donner lieu à sanction, que ce soit dans le cadre des obligations comptables telles que le respect des règlements relatifs à la DNCG ou relatifs à l’UEFA ou aux organes internationaux, notamment le fair-play financier. »

Pour l’instant, aucune enquête n’est ouverte en France, même si certains clubs ont effectué des transactions avec le club piémontais, à l’image de Marseille, qui à l’hiver 2021, a échangé Marley Aké contre Franco Tongya. Aujourd’hui, Marley Aké a disputé quatre matchs cette saison de Serie C avec la réserve de la Juventus, pendant que Tongya évolue au Danemark pour le club d’Odense, qu’il a rejoint en juin 2022 sans avoir disputé la moindre minute sous le maillot olympien. Luc Arrondel tient à rappeler que faire des plus-values dans le cadre de transfert entre joueurs n’est pas illégal, car « jusqu’à présent, le problème ne se posait pas, donc les fédérations ne sanctionnaient pas, mais d’après ce qu’on voit, la Juve avait recours à ce genre de pratique de manière intempestive, et c’est là que ça pose problème ». D’après Badou Sambagué, la réglementation européenne est claire : « Ce qui est illégal, c’est, grâce à ces montants de transferts surévalués, de se retrouver à l’équilibre ou avec une balance positive pour pouvoir répondre aux obligations en matière comptable. Ça peut être devant la DNCG ou devant les organismes européens. » Il est donc plausible d’imaginer qu’en cas d’ouverture d’une procédure en France, tout club ayant usé de ces stratagèmes pourrait être inculpé. Après le feuilleton Textor, l’Olympique lyonnais devra redoubler de vigilance lors de ses prochaines transactions. La période qui s’ouvre est donc bien celle d’une surveillance généralisée des transferts. Nul doute que les procédures qui ont été ouvertes en Italie peuvent également l’être en France. Il se peut également que l’UEFA garde une dent contre le projet de Superligue porté par le triangle des Bermudes de la modernité : Juve, Real Madrid et Barça. Les deux géants espagnols seront-ils les prochains clubs au cœur de l’œil du cyclone ? Il ne faut pas s’interdire de l’envisager.

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Par Léna Bernard

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