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Et si Eyraud ne disait pas que des conneries ?
Jacques-Henri Eyraud, président de l'Olympique de Marseille, est devenu la cible de toutes les critiques sur les réseaux sociaux et même de la part de ses collègues de Ligue 1. Sans parler des experts en plateau télé. Sa faute, son sacrilège ? Il s'est lâché en osant imaginer une évolution des règles du foot, lors d'une réunion de start-up. Mais si c'était lui qui avait raison, finalement ? Son seul tort serait-il alors d'avoir parlé trop tôt ?
Évidemment, le contexte rend le discours peu sympathique. L’homme est, qu’il le veuille ou non, un symbole du foot moderne et capitaliste. Qu’il disserte en outre devant un parterre de jeunes loups de la nouvelle économie, le tout sous les auspices du magazine Challenges, enfonce le clou de la défiance éthique voire politique. Forcément, tout ce qui en sortira risque de sentir la profanation de la dimension sacrée et populaire du football. Toutefois, une fois les a priori mis de côté, la virulence et l’ampleur des réactions suscitées par la banale conférence d’un chef d’entreprise faisant le paon devant de braves garçons qui rêvent d’évasion fiscale laissent sans voix devant autant d’hypocrisie. Et, pour tout dire, devant autant d’inculture sur ce que fut l’histoire du foot et de ce qui fonde les ressorts de son succès planétaire.
Revenons à la proposition phare de M. Eyraud : « Le jeu FIFAa décidé qu’un but marqué via un tir en dehors de la surface de réparation valait deux points. Pourquoi c’estFIFA, Electronic Arts, qui imagine ça ?(…)Pourquoi pas demain sur de vrais terrains, un tir des trente mètres qui fait but, ça ne rapporterait pas deux points plutôt qu’un ? C’est un exemple, il y en a plein d’autres. C’est un sport extrêmement conservateur et pourtant, c’est un sport qui va devoir s’adapter. » Ridicule ? Scandaleux ? Impensable ? Le foot n’est ni le basket ni le rugby, un but est un but. On ne touche pas aux cinq piliers du jeu, aux évangiles selon Saint-Rimet.
Mutation constante, rarement populaire
Seulement, qui peut légitimement penser que le foot est une religion dogmatique n’ayant pas évolué depuis sa création voici plus de 150 ans ? Cette discipline a été transformée en profondeur à plusieurs reprises, choquant à chaque fois les tenants de l’ordre établi. La liste est longue. Sur le jeu d’abord, de 1891 avec l’instauration du penalty, à 1912, lorsque le gardien n’a plus le droit de toucher le ballon avec ses mains hors de sa surface de réparation. Sans oublier 1970, quand le remplacement d’un joueur blessé devient autorisé.
Et pour ce qui concerne la manière de gagner, les modalités de l’attribution de la victoire ou d’un titre ont régulièrement bougé : victoire à deux ou trois points, ou plus proche de nous la fameuse mort subite. Sans parler de l’élimination du Sénégal à la différence de « fair-play » . Abandonnées ou gardées, atténuations ou mutations, ces petites touches construisent le foot. Elles sont généralement inspirées de l’air du temps, de l’importance sociale qu’il a pris à ce moment précis et s’imposent le plus souvent par le besoin de garantir le spectacle.
Plaire aux fans de demain
Or, les propos d’Eyraud s’inscrivent dans cette longue filiation. Par son idée, le président de l’Olympique de Marseille ne vise qu’à garantir l’attractivité de son produit. Certains l’ont déjà fait par le passé, en cherchant des formules bien plus aberrantes que celle consistant à récompenser un tir venu d’ailleurs. Surtout, il tente peut-être de convaincre ses petits camarades de jeu et d’affaires : désormais, « la clientèle » a changé, et la civilisation numérique ne se limite pas à compter les followers de leur stars ou à pleurer quand Neymar est suspendu pour un tweet. L’e-sport et plus largement les jeux vidéo façonnent maintenant le rapport d’une frange grandissante de la jeunesse, et donc des futurs adultes à fort pouvoir d’achat, avec de nouveaux codes culturels et peut-être de nouvelles attentes. Les ignorer ne risque-t-il pas, finalement, de saper petit à petit l’importance du foot IRL (In Real life) ?
Naturellement, les idées avancées sont par certains côtés saugrenues. Au moins rappellent-elles, certes au nom du veau d’or, que le foot ne se limite pas à une doxa dont quelques institutions basées en Suisse s’introniseraient l’inquisition. De fait, et voilà le reproche qu’il faudrait véritablement faire, cet autre foot – un sport bien plus grand que la FIFA – existe déjà. En futsal, en foot à sept, à cinq, en walking foot… En vérité, la pluralité et l’innovation n’ont pas attendu les manettes de PS4 ni les applis des start-up made in France pour envahir les terrains du monde réel. Ce que Eyraud a peut-être sciemment oublié.
Par Nicolas Kssis-Martov