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Et Neuer arrêta le temps
Si Marty McFly n'est pas encore là, Manuel Neuer l'est déjà. Homme du futur, clone ou réplicant, il a démontré face à Walcott que ses pouvoirs dépassaient l'entendement. Avant de se brûler les ailes.
Nous sommes le 21 octobre 2015. Le futur ne ressemble pas à ce qu’on avait pu imaginer. Certes, l’hoverboard se rapproche de jour en jour – même si cela ne fonctionne toujours pas vraiment sur l’eau et que son utilité reste à prouver – ainsi que les chaussures auto-laçantes, peut-être même pour aujourd’hui. On n’hydrate pas encore nos pizzas, mais on sait déjà comment les imprimer, ce qui est encore mieux. Nos téléphones ne se portent pas encore sur les yeux. Reste que le présent manque cruellement de voitures volantes. Pourtant, à l’aube de ce jour, une pensée s’installe. Si l’être humain demeure incapable de voyager dans le temps – il ne le pourra probablement jamais -, il a le pouvoir de l’arrêter. Par la grâce d’un arrêt. Évident.
Le 20 octobre 2015, Arsenal défie le Bayern Munich à l’Emirates Stadium en phase de poules de Ligue des champions. Peu après la demi-heure de jeu, Nacho Monreal adresse un centre parfait, qui lobe Xabi Alonso et David Alaba. Idéalement placé, plein axe, pied droit sur la ligne des six yards, bien équilibré, Theo Walcott récolte l’offrande et place un coup de tête puissant et décroisé. Imparable. L’Anglais se retourne, Aaron Ramsey et Santi Cazorla lèvent les bras pour célébrer cette magnifique ouverture du score. La machine à clean sheet s’est enfin enrayée. Derrière la cage, le porteur de drapeau des Gunners soulève son gigantesque étendard, prêt à l’agiter de joie. Le chrono indique 33:04. Manuel Neuer vient d’arrêter le temps.
Another brick for Walcott
L’Allemand est vif sur ses appuis. Le voilà déjà presque au sol. Aucune grâce féline, aucune élégance particulière n’émane de lui. Son mouvement n’est pas courbe, relâché, aérien. Son geste n’est que puissance. Une puissance impérieuse, absolue, commandant le respect. Une puissance qui se propage jusqu’au bout de ses doigts, d’une main trop ferme, immobile à l’impact. Et déjà, il se relève pour boucher l’angle à Ramsey, qui en aurait peut-être eu un meilleur s’il avait envisagé la possibilité d’un miracle. Un miracle, oui. Theo Walcott a marqué un but, mais Neuer l’a arrêté, rejoignant par là même Gordon Banks au panthéon.
Bien sûr, la tentative de Walcott aurait pu être plus décroisée, plus appuyée aussi. Le jeu de tête n’a de toute façon jamais été son point fort, lui qui n’a marqué qu’une seule fois ainsi. N’empêche qu’il avait des raisons d’y croire. « Nein » , a dit l’Allemand, comme David Seaman avait dit « No » , il y a plus de dix ans en Cup contre Sheffield United, comme Banks aux Brésiliens. Les similitudes entre les deux Anglais et l’Allemand sont nombreuses dans l’instant d’après. Aucun d’eux ne célèbre sa parade venue d’ailleurs, se contentant de regagner le centre des cages, le regard dans le vide, ou bas. Un simple sentiment du devoir accompli peut-être, alors que leurs coéquipiers y vont de leur petite tape d’encouragement, de félicitation. Rien comparé à la folie jubilatoire, aux effusions et diverses courses qu’engendre irrémédiablement une réalisation. Si certains commentateurs remarquent qu’un tel arrêt « vaut bien un but » , cela n’est pas toujours le cas, ni en 1970, ni en 2003, ni en 2015. D’ailleurs, Banks et Neuer ont perdu ce match. Pourquoi ? Parce que c’est l’essence même du football, un jeu où il faut marquer un but de plus que l’adversaire, pas en encaisser un de moins. Il a beau repousser les limites du possible, Manuel Neuer se sera jamais Lionel Messi, ni Cristiano Ronaldo. C’est – un peu – triste, et c’est ainsi.
La chute
Pire, Manuel Neuer a eu l’audace de redevenir humain. Trop proche du soleil, lui qui avait enchaîné contrôle de la poitrine hors de sa surface et dégagement sur son premier ballon, il s’est brûlé les ailes en plein vol, surpris de voir un sinistre Laurent Koscielny à son niveau. Giroud en a profité pour marquer, de la main peut-être, qu’importe, à tout prix. Il y a toujours des gens pour profiter de la chute des idoles. Et en fin de match, Mesut Özil, météore s’il en est, a clos les débats, redorant au passage son blason sans cesse terni par l’incompréhension. Son compatriote géant était bien sur la trajectoire, manquant d’une poignée de centimètres de se racheter. À l’aube de la deuxième mi-temps, Neuer a peut-être été remplacé par un clone, qui sait. À moins qu’il ne soit le premier réplicant facilement identifiable. De toute façon, au vu de ses différentes prises de paroles, il n’a aucune chance de passer le test Voight-Kampff, pas même celui de Turing. À l’image du futur, Manuel Neuer n’est peut-être rien de ce que nous pensons. Tant pis. Dans dix ans, quand nous vivrons dans une ville aérienne grandiose ou à même le sol pollué, on se rappellera d’avoir vu Manuel Neuer arrêter le temps. D’avoir cru au but, et puis non.
Par Charles Alf Lafon