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Et le Ballon d’or de l’hypocrisie est pour… le Qatar sur la question LGBTQ+
Parmi toutes les problématiques qui prennent de l'ampleur à l’approche de la Coupe du monde 2022, celle des droits des LGBTQ+ commence à se faire doucement entendre, même si pour l’instant, elle semble secondaire derrière les morts des chantiers ou le scandale écologique. Toutefois dans une région du monde où l’homosexualité reste un crime, l’arrivée d’un événement aussi important qu’un Mondial pourrait bousculer les habitudes et les mœurs, même si ce n'est que temporairement.
« Pour lutter contre ce phénomène, l’anomalie sexuelle que constitue l’homosexualité, il faut éduquer et raisonner les jeunes. Ce phénomène ne correspond pas à notre foi et ne correspond pas à notre religion. » Mohamed Aboutrika, ancien international égyptien et consultant sur l’antenne arabe de beIN SPORTS (basée à Doha), n’a pas dissimulé son homophobie derrière de pseudo-discours consensuels. Son intervention de lundi arrive en appui d’un vibrant appel aux joueurs musulmans de Premier League, donc en Europe, afin qu’ils n’apportent pas leur soutien aux diverses campagnes en faveur des droits LGBTQ+ qui commencent pourtant bien timidement à se multiplier dans les championnats occidentaux de football. Personne sur ce plateau ne l’a contredit ou coupé dans son monologue.
Mohamed Aboutrika, a retired soccer player, went on Arab equivalent of ESPN (@beINSPORTS) to say homosexuality is against humanity. He’s criticizing @premierleague for its #RainbowLaces campaign. World Cup will be in Qatar, where homosexuality is illegal. pic.twitter.com/lnpl9reBve
— Andy Ngô (@MrAndyNgo) November 29, 2021
La chaîne a entre-temps pris ses distances avec la position d’Aboutrika. La personnalité de ce monsieur – proche des Frères musulmans au pays et qui s’était « réfugié » au Qatar après la chute du président Morsi – conduit non pas à excuser, mais à relativiser le propos. Ses précédentes prises de position allaient toutes dans le même sens, dans le cadre d’un islamisme politique. Et les condamnations furent unanimes, notamment de la part de la Premier League, « en profond désaccord avec le point de vue de ce consultant ». Sans blague.
Peur d’y aller ?
Néanmoins, cette sortie intervient alors que beaucoup se demandent comment vont être reçus, dans moins d’un an, les supporters LGBTQ+ dans un pays où l’homosexualité reste, et restera, punie par la loi. Il est nécessaire de rappeler que l’homophobie dans le football ne se limite pas à cette partie du globe. Lors du dernier Euro, la Hongrie a démontré que les avancées en la matière restaient fragiles, y compris sur le Vieux Continent. L’UEFA avait capitulé en rase campagne devant Orbán, puis illustrant la véritable portée de ses convictions anti-discrimination en parant courageusement sur le Net son logo des couleurs arc-en-ciel, mais en refusant au stade de Munich d’en faire autant.
À mi-chemin entre cet Euro et le prochain Mondial, on peut alors comprendre pourquoi de nombreuses ONG ou associations de défense des droits des homosexuels ne se sentent guère rassurées par les belles promesses de la FIFA et de l’organisateur de son prochain Mondial. Un point de vue résumé par Josh Cavallo, un des rares joueurs pros dans le monde à avoir effectué son coming-out. « J’ai lu quelque chose du genre qu’au Qatar, ils prononcent la peine de mort pour les homosexuels. C’est un truc dont j’ai très peur et je ne voudrais pas vraiment aller au Qatar pour ça, explique l’Australien au Guardian. Ça me rend triste, car finalement, la Coupe du monde est au Qatar, et l’un des plus grands succès en tant que footballeur professionnel, c’est de représenter ton pays dans ce genre d’événements. Savoir que ça pourrait se passer dans un pays qui ne soutient pas les personnes gays et menace leur vie, ça me fait peur. »
Le supporter gay, un consommateur comme un autre
De fait, pour le moment, les organisateurs ne cessent de donner des gages. Conscient d’être sous surveillance au regard de la question des droits des travailleurs (avec la timide succession d’appels à la mobilisation lancés par ces sélections nationales arborant de beaux tee-shirts à slogan), le Qatar délivre un discours policé et légitimiste. « En ce qui concerne les drapeaux arc-en-ciel dans les stades, la FIFA a ses propres directives, elle a ses règles et règlements. Quels qu’ils soient, nous les respecterons », détaillait Nasser al-Khater, président du comité d’organisation du Mondial 2022. Surtout, a-t-il ajouté cette semaine, les personnes LGBTQ+ qui « viendront au Qatar en tant que supporters et participants à un tournoi de football pourront faire ce que tout autre être humain ferait ».
Mais que fait donc tout être humain ? En attendant une réponse définitive, on sait que cela n’englobe pas « les démonstrations publiques d’affection » qui sont « désapprouvées » par une loi qui entend « s’appliquer à tout le monde ». Pour le dire autrement : venez consommer chers occidentaux, que vous soyez gay, bi, lesbien, trans, queer… mais comportez-vous avec toute la chasteté que demande un pays qui d’ordinaire vous punirait. De fait, il n’est pas inutile de souligner que l’un des enjeux essentiels de cette Coupe du monde pour l’Émirat du Qatar consiste à se transformer en une destination touristique attractive, dans une course effrénée avec son voisin de Dubaï. Le gay occidental reste d’abord un client, quand bien même l’homosexualité reste un crime à usage interne, et tant pis pour les locaux qui continueront de vivre dans la peur et la honte. On pourra agiter un drapeau, mais pas embrasser quelqu’un du même sexe, surtout s’il habite sur place, il risquerait gros ensuite. Bienvenue dans la Coupe du monde de l’hypocrisie.
Par Nicolas Kssis-Martov