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Et l’Angleterre prit sa respiration
L'année 1985 est l'annus horribilis de l'Angleterre du foot. Un printemps où le hooliganisme touchait ses sommets dans le Royaume, où Valley Parade prenait feu, où le Heysel se dessinait à l'horizon et où rien n'était plus contrôlable. Alors, parfois, il faut respirer et se rattacher à la plus belle des compétitions : la FA Cup, et sa finale entre Everton et Manchester United.
L’homme est seul dans les cris. Tout seul contre l’horreur. C’est une histoire de groupe, d’isolement, de fracas. Chacun est perdu, mais essaye de sauver l’autre. Ce devait être une fête, le bruit sans la fureur, la vie sans la mort. Le tableau est net. On y voit des canettes au sol. Des corps, aussi. Ils étaient 59 000 en entrant. Ils seront 58 961 quelques heures plus tard. « Ces fanatiques fous furieux, abreuvés de haine et de bière, défiant les crétins en bleu, insultant les salauds en vert. Y a pas de gonzesse hooligan, imbécile et meurtrière, y en a pas, même en Grande-Bretagne, à part, bien sûr, Mme Thatcher. » Rien ne devait se passer comme ça. Pourtant, le 29 mai 1985, à Bruxelles, chacun regarda la mort droit dans les yeux, dans le théâtre du Heysel. Même s’il faudra attendre la tragédie de Hillsborough en 1989 pour tabasser définitivement les consciences et mettre – enfin – en place une politique cohérente sur la sécurité dans les stades, le hooliganisme avait atteint ce jour-là son sommet. Sur le toit de l’Europe. La mèche était pourtant visible, car, quelques semaines plus tôt, le 11 mai 1985, le Valley Parade de Bradford, qui fêtait alors sa montée en deuxième division, avait implosé à la gueule des autorités britanniques. 56 morts. 200 blessés. Des cris. Des larmes. Des images. Les flammes. Enfermés dans leur voiture, les policiers avaient au départ cru à une connerie. Il s’agissait alors d’une nouvelle baffe sur les dérives d’un pays où le foot est pourtant un roi.
Le cadeau, l’avion et la télécommande
Le printemps 85 est une histoire de larmes sur le football britannique, le matelas social qui le compose et ses autorités incompétentes. D’autant que le même 11 mai, le stade de St Andrew’s, à Birmingham, fut le terrain d’une bataille d’abrutis avec les supporters de Leeds United. Un affrontement qui se terminera sur la chute d’un mur sur un jeune supporter des Peacocks. Il avait alors quinze ans. La semaine du 18 mai 1985, l’Angleterre angoisse logiquement. Car Wembley doit accueillir près de 100 000 personnes. C’est la finale de la Coupe d’Angleterre, ce que certains décrivent alors comme « un cadeau de Noël pour sourire de nouveau » selon l’édito de l’Express. La FA Cup a ce don : elle est différente, classée hors catégorie et peut réveiller les rêves. C’est le trophée de tous. Cette année-là, le tableau est dessiné par deux monuments : Manchester United d’un côté, vainqueur deux ans plus tôt en deux manches contre Brighton, et Everton, en route pour son premier titre de champion d’Angleterre depuis 1970 et vainqueur trois jours plus tôt de la Coupe des coupes contre le Rapid Vienne à Rotterdam (3-1). Alors, le sourire peut sortir. On prend sa télécommande, il est onze heures du matin. La BBC vient de commencer sa retransmission. Anneka Rice, de monter dans son avion qui survole Wembley.
Le succès de la bouteille
Vivre une finale de FA Cup est une expérience. C’est une tradition, un rite. Une espèce de bordel romantique où l’on chante, aussi, en équipe avant le rendez-vous. Chaque groupe finaliste doit préparer son chant, c’est comme ça. Alors il faut voir la gueule de la légende d’Everton, Peter Reid, sur le plateau du Wogan show et le voir ouvrir ses cordes sur le « Here We Go » des Toffees.
Côté United, le « We all follow Manchester United » est passé à la postérité. C’est mythique, c’est le folklore. De l’équipe victorieuse en 83, Ron Atkinson et sa mèche rebelle peuvent compter sur huit gars restés au club. Bryan Robson est intouchable sous son brassard, Frank Stapleton aussi, alors que Mark Hughes a remplacé Norman Whiteside dans la hiérarchie. Cette finale ne sera pas la plus spectaculaire, mais elle sera un bol de fraîcheur sur un peuple qui étouffe. Manchester United est alors une machine enrayée malgré la présence, au coup d’envoi, de onze internationaux sur onze titulaires. L’expérience est là, mais la bouteille aussi. Jusque dans les placards d’un vestiaire où Robson, Whiteside et Paul McGrath ont mis en place le drinking club au Cliff.
Pour Everton, ce devait être l’apogée d’un triplé historique. Mais ni Peter Reid qui touche le poteau ni la découpe de la tête brûlée de United Kevin Moran, expulsé en seconde période (première fois de l’histoire d’une finale de FA Cup), n’y changeront quelque chose. Tout se résumera sur un exploit individuel de Norman Whiteside dans la prolongation. Manchester United vient de toucher sa sixième FA Cup et ne la remportera que cinq ans plus tard contre Crystal Palace. Atkinson sera depuis tombé, Ferguson nommé pour gagner en 1990 son premier trophée. La bouteille rangée, aussi, alors que l’Angleterre termine enfin de nettoyer ses démons. 1985, c’était il y a maintenant 31 ans. Une autre époque où l’étincelle n’était pas un talent, mais le début d’un brasier à étouffer.
Par Maxime Brigand