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Et Jesus devint Judas
Tout partait d'une rumeur du journal A Bola que tout le monde pensait bidon. Finalement, Jorge Jesus a bien quitté Benfica pour le Sporting, son club de cœur. Le Portugais pourrait amasser jusqu'à 18 millions d'euros en trois ans.
Mercredi soir, un fort séisme a secoué le football portugais. Un acte de haute trahison a été commis à Lisbonne par l’entraîneur le plus coté de Liga Nos. Jorge Jesus, trois fois vainqueur de la compétition dont deux d’affilée avec Benfica, a décidé de faire ses valises et marcher quelques mètres avant de les reposer devant l’Estadio José de Alvalade XXI, sa nouvelle maison. Sa seule demeure, en fait. Le Sporting, c’est une histoire de famille chez les Jesus. Le père de Jorge, qui ne jure que par les Leões, voit un rêve se réaliser quand son rejeton est accepté chez les jeunes du Sporting en 1971. Jorge ira même jusqu’à représenter l’équipe professionnelle en 1975-76, mais son talent précaire ne lui permettra pas de défendre les couleurs de son club de cœur plus longtemps. Le Portugais a donc attendu 40 ans afin de pouvoir réaliser son propre rêve et de tenir une promesse de longue date faite à son père, aujourd’hui dans un état quasi végétatif, rarement lucide et à même de reconnaître le fiston quand celui-ci vient lui rendre visite. Une promesse qui lui coûte déjà le mépris du peuple encarnado et de ses dirigeants. Le président Luis Filipe Vieira s’est dit « déçu mais pas surpris » tandis que João Gabriel, directeur de communication des Aigles, n’a pas été tendre avec le traître. « Je suis reconnaissant envers Jesus pour l’ingratitude dont il a fait preuve. Il a démontré que nous méritions de changer (d’entraîneur). Je lui suis reconnaissant… L’année prochaine, nous aurons un entraîneur impliqué dans son club et non pas seulement dans son égo et son compte en banque. » Avec un contrat de 3,2 millions d’euros annuels qui pourrait grimper jusqu’à 6 millions d’euros en fonction des résultats et faire de lui le 20e entraîneur le mieux payé du monde, Jorge Jesus n’aura plus besoin de se préoccuper de la santé de son compte bancaire.
D’où vient l’argent ?
Plus que la trahison, c’est bien le montant annuel versé par le Sporting à son futur entraîneur qui choque. Oui, les finances du club sont saines, redressées par un travail remarquable du président Bruno de Carvalho et son équipe. Oui, le club va sûrement vendre un ou deux éléments pour en retirer des liquidités… Mais la somme, astronomique pour le championnat portugais, l’est encore plus lorsqu’on sait qu’il y a deux ans, le Sporting était de loin le plus pauvre des trois gros et que le club d’Alvalade semblait être en difficulté dans sa quête d’un nouveau sponsor pour la prochaine mouture. Forcément, ce contrat occupe tous les esprits en Lusitanie et nourrit les fantasmes les plus fous des journalistes nationaux. On parle d’investisseurs d’Angola et de Guinée équatoriale. Toutes les versions ont été démenties par la communication sociale sportinguista, qui jure ne pas avoir fait appel à des investisseurs étrangers au club. Difficile à croire, d’autant qu’il y a plusieurs semaines, Bruno de Carvalho affirmait fièrement avoir trouvé des investisseurs dignes de confiance. Ces derniers pourraient venir de n’importe où. Depuis le début de son mandat, le jeune homme d’affaires a voyagé en Chine, à Dubaï et possiblement en Indonésie afin de trouver donneur. Bref, l’histoire présente de nombreuses zones d’ombre qui inquiètent la CMVM (Commission des marchés et biens mobiliers). Cette dernière a par ailleurs réclamé des éclaircissements urgents au Benfica et au Sporting. Sans parler du limogeage de Marco Silva, actuel coach des lions, jeté comme une chaussette au profit du messie.
Changement de cap pour Benfica et le Sporting ?
Sportivement, l’arrivée de Jorge Jesus chamboule le paysage sportif lusitanien. Si rien ne bouge du côté de Porto, trois clubs sont directement touchés. Le Sporting, Benfica, mais aussi Guimarães, (dont l’entraîneur Rui Vitória est annoncé partant pour la Luz). En partant à Alvalade, Jesus a peut-être contribué à modifier le rapport de force entre les trois gros de manière significative. Benfica, malgré son statut de double champion, va encore perdre de nombreux joueurs (et certains pourraient rejoindre le Sporting) et devoir repartir de zéro en 2014-2015. Jorge Jesus était capable d’être préformant dans ces circonstances si particulières. Qu’en sera-t-il de son successeur ? C’est l’une des inconnues d’une équation qui en comporte bien d’autres, comme l’utilisation des jeunes du Sporting par Jesus, ou plutôt leur non-utilisation. L’entraîneur portugais est réputé pour son amour pour le joueur étranger et ça ne colle pas forcément avec la culture leonina. À l’inverse, Benfica pourrait profiter de l’arrivée de Rui Vitória sur le banc de la Luz pour lancer les jeunes du Seixal. Même si on en est encore loin, il n’est pas impossible que l’on assiste à une inversion de stratégie entre les deux frères ennemis, surtout si le Sporting a vraiment trouvé de très riches investisseurs qui lui permettraient d’investir sur de bons joueurs étrangers. Finalement, dans l’immédiat, c’est peut-être le FC Porto, dont la structure reste stable, qui profitera à court terme de ce jeu de chaises musicales. À moins que l’incroyable adaptabilité du meilleur entraîneur de Liga Nos fasse à nouveau la différence. Quoi qu’il en soit, ce mercato aussi prématuré que surprenant présente l’inconvénient de mettre l’eau à la bouche. On a déjà hâte de revoir la balle rouler sur les pelouses portugaises alors que la prochaine saison ne commence que dans deux longs mois…
Par William Pereira