- Angleterre
Et c’était comment, le championnat anglais à 22 clubs ?
On parle de plus en plus d’une nouvelle saison de Ligue 1 française à 22 clubs. Pour se faire une idée de la pertinence et de la viabilité de cette option, il est possible de se référer au championnat anglais à 22 membres disputé entre 1920 et 1995. Petit bilan de ces 75 saisons à 22 pensionnaires, donc.
Fondé en 1988, le championnat anglais de football professionnel de D1 appelé Football League First Division s’est stabilisé à 22 clubs lors de la saison 1919-1920. Il en sera ainsi jusqu’à la saison 1994-1995, à l’exception des années de guerre 1939-1946 (pas de championnat) et d’une courte période 1988-1991 à 21 clubs puis à 20. Dans notre période contemporaine qui débute après la Seconde Guerre mondiale, la First Division ne subissait que deux relégations en Second Division puis trois à partir de 1973-1974.
Au-delà du nombre le plus élevé de clubs participants dans un championnat européen, la ligue anglaise va jouir d’une grande homogénéité sur la durée du fait du peu de clubs rétrogradés en D2. En plus d’un plus grand nombre de matchs par club (42 en Angleterre contre 38 en D1 française à vingt équipes, par exemple), le foot pro anglais disputait en outre une coupe nationale depuis 1872 : la prestigieuse FA Cup.
Jouer, jouer, jouer !
Or, à partir de 1955-1956, les clubs anglais vont disputer les différentes coupes d’Europe et s’engager en 1960-1961 dans une nouvelle coupe nationale, la Football League Cup (ou Coupe de la League). Enfin, les internationaux anglais jouaient en moyenne une dizaine de matchs par saison pour les Three Lions jusqu’aux années 1970, puis une douzaine dans les années 1980 et 1990. On résume : un championnat à 22 équipes, les coupes d’Europe, deux coupes nationales avec parfois matchs aller-retour et replays interminables (dix rencontres en League Cup 1973 pour le vainqueur, Tottenham !) et enfin matchs de sélection nationale qui culminent à quinze matchs certaines années (17 rencontres pour les Three Lions en 1966 !). Sans oublier les traditionnels matchs de gala à l’international, où les clubs anglais étaient déjà très prisés…
Toutes compétitions confondues, de 1956 à 1995, les footballeurs anglais se sont tapés un calendrier démentiel sans équivalent en Europe. Et sans trêve hivernale, afin de perpétuer le sacro saint Boxing Day. C’est pourtant de ce mouvement perpétuel basé sur une compétition à 22 clubs que le championnat anglais est devenu le plus prestigieux au monde, malgré les belles périodes de la Liga espagnole, de la Serie A italienne, voire même de la Bundesliga. C’est que la First Divison puis la Premier League à 22 clubs (jusqu’en 1995) ont offert un championnat long et sans trêve, où l’on joue le week-end comme en semaine avec parfois un suspense extraordinaire et des dénouements légendaires. Tel le mano a mano Arsenal-Liverpool en 1988-1989 conclu à la dernière journée en faveur des Gunners, champions malgré l’égalité parfaite en points et en différence de buts avec les Reds, mais avec un nombre de buts marqués plus élevé.
Manchester-Liverpool : 65 km !
Le championnat à 22 équipes a renforcé l’ADN du foot anglais de club, déjà professionnel depuis le XIXe siècle : intensité, endurance, compétitivité, cohésion collective, condition athlétique très élevée (surtout avec les pelouses, très longtemps pourries). Bref, tout ce qui fait l’attrait de la Premier League aujourd’hui. Avec la Coupe de la League et les coupes d’Europe, la répétition des matchs a abouti à la forme parfaite de l’idéal du footballeur : jouer plus pour s’entraîner moins ! Il faut, de plus, relativiser le contexte « exténuant » de ce calendrier intense. L’Angleterre et le pays de Galles (dont les clubs participent à la D1 anglaise) forment un ensemble géographique de moyenne superficie où les déplacements sont beaucoup moins longs qu’en France, en Italie ou en Allemagne. La région du North-West, par exemple, abrite les deux clubs de Manchester (MU, City) et les deux équipes de Liverpool (LFC et Everton), ainsi que Blackburn, Burnley, Preston, etc.
Le Grand Londres a compté jusqu’à sept clubs en D1 en 1995, pour des courts trajets que même le métro londonien peut couvrir ! Une des plus grandes distances en Angleterre, entre Southampton et Sunderland, ne mesure que 450 km. Alors qu’un Lille-Nice, c’est 850 bornes. La concentration géographique de nombreux clubs dans des zones restreintes a épargné un peu les organismes, en développant l’esprit de clocher et de derbys qui ont cimenté la culture supporter. Ici encore, avec les matchs à répétition en championnat et en coupes nationales, la ferveur populaire a galvanisé l’esprit de compétition de joueurs déjà bien décidés à faire briller leur club contre « l’ennemi d’en face » (Manchester-Liverpool, 65 km)… Qui plus est, le climat océanique du Royaume-Uni, certes pluvieux, mais moins rigoureux, n’accable pas trop les pelouses du gel ou de la neige comme sur le continent.
Rois de l’Europe…
Machines à jouer, boostés par des supporters enfiévrés et toujours portés par l’assurance d’une supériorité originelle depuis la création so british du sport roi, les clubs anglais ne pouvaient que réussir en coupes d’Europe. Malgré une mise en route un peu poussive dans les années 1960 (première C1 pour MU en 1968, et une C2 pour Tottenham en 1963), les formations anglaises ont cartonné par la suite. Dans les années 1970 et 1980, Liverpool, Nottingham Forest et Aston Villa remportent huit Ligues des champions (dont six d’affilée entre 1977 et 1982). Albion rafle également cinq Coupes de l’UEFA (dont une finale 100% anglaise, en 1972), et cinq Coupes des vainqueurs de coupe !
En 1981, le passage en First Division de la victoire à trois points au lieu de deux afin de favoriser le jeu offensif a sûrement joué aussi un rôle non négligeable… Jusqu’au drame du Heysel en 1985, les clubs anglais ont littéralement ravagé l’Europe à la manière des grands groupes rock britishen tournée (Stones, Who, Led Zep) : « On débarque, on gagne et on se casse ! » La catastrophe du Heysel, qui conduira à la mise au ban des clubs anglais durant cinq ans (1986-1990), a bloqué net une montée en puissance qui aurait sûrement enrichi la moisson continentale anglaise. La First Division à 22 clubs, qui s’était aussi adjugée la C2 en 1991 et en 1994 après la période d’exclusion, a fermement installé une tradition européenne victorieuse. Qui a ensuite profité à la Premier League à vingt clubs, gagnante d’autres nombreux titres européens.
… mais Three Lions en berne
Si la D1 anglaise à 22 clubs a plutôt favorisé ses équipes dans les compétitions internationales, il apparaît qu’elle n’a pas vraiment permis à l’équipe d’Angleterre de briller dans les grands tournois. En Coupe du monde ? Une seule victoire en 1966, une demie en 1990 et quatre quarts de finale. À l’Euro ? Bilan encore plus cruel, avec seulement une demie en 1968 et surtout zéro victoire. Alors que les Pays-Bas, le Danemark, la Grèce ou la Tchécoslovaquie ont remporté le trophée. Le bilan s’aggrave, avec de gros trous dans le CV : absences aux Coupes du monde 1974, 1978 et 1994 et aux Euro 1976 et 1984. Totalement indigne, pour le grand pays de foot qu’est l’Angleterre !
On a souvent incriminé un championnat resté trop longtemps à 22 clubs et surtout sans trêve hivernale (même dans une Premier League à 20 équipes), qui conduit les Three Lions à s’écrouler physiquement lors des tournois de printemps-été. L’esprit club galvanisé d’abord par le championnat, la Cup et la Coupe d’Europe auraient primé sur l’esprit sélection. C’est, en tout cas, ce qu’ont souvent avancé des experts du foot anglais… L’équipe d’Angleterre a également payé son inefficacité abyssale lors de l’épreuve des tirs au but, longtemps bannie lors des coupes nationales. On a aussi souvent évoqué l’incroyable stupidité de la Fédération anglaise, qui n’a pas confié les Three Lions à Brian Clough dès les années 1970. Le sorcier charismatique de Derby County et de Notts Forest, les joueurs anglais l’appelaient pourtant de leurs vœux… Toujours est-il que même avec une Premier League passée à 20 clubs en 1995-1996, l’Angleterre n’a disputé qu’une demie d’Euro 1996 et une demie de Coupe du monde 2018. Alors, pourquoi ne pas imiter la Bundesliga à 18 clubs qui propulse la Mannschaft à (presque) chaque compétition dans le dernier carré ? Never !
Par Chérif Ghemmour