- Ligue Europa
- 1/2 finales retour
- Dnipro/Naples
Et Bordeaux sortit Dnipropetrovsk de la C1
Naples tentera ce jeudi soir de composter son billet pour la finale de Ligue Europa, à Dnipropetrovsk, après un match nul à l'aller (1-1). Il y a 30 ans, Bordeaux allait y chercher une demi-finale de C1. Un très long périple. Pénible, mais finalement heureux.
Fernando Chalana enseveli sous un amas de joueurs aux maillots marine et blanc siglés Malardeau, les Bordelais peuvent enfin exprimer leur joie. En réussissant son tir au but frappé du pied droit, le pur gaucher portugais vient de mettre fin à un périple qu’aucun scénariste n’aurait osé écrire. Au terme d’un des déplacements les plus rocambolesques de l’histoire de la Coupe d’Europe, les Girondins viennent d’éliminer les Soviétiques de Dniepropetrovsk en quarts de finale de la Coupe d’Europe des clubs champions. Dans les tribunes, au milieu des chapkas, le béret de Claude Bez surplombe une moustache satisfaite. Ce qui n’était pas arrivé depuis bien longtemps. Car c’est un véritable cauchemar qu’ont vécu les joueurs entraînés par Aimé Jacquet, pour aller chercher leur qualification en URSS, après avoir concédé le match nul à Lescure (1-1). La ville ukrainienne de Dniepropetrovsk, classée à l’époque « zone stratégique » en raison des usines de missiles qu’elle abrite, c’est 129 kilomètres plus loin, à Krivoï-Rog, qu’est programmée la rencontre. Un désagrément qui verra Claude Bez piquer une de ses plus grosses colères, ce 20 mars 1985. C’est dire si les Soviétiques avaient fait les choses en grand.
Bez : « La parole d’un Soviétique ne vaut rien ! »
Tout commence à l’aéroport de Bordeaux-Mérignac, le matin de la veille de la rencontre. Le Claude refuse que son équipe fasse le déplacement à bord d’un engin de l’Aeroflot, comme il est de coutume lors d’un déplacement en URSS. « Je suis français, je ferai travailler Air France, une compagnie française. Pas question de payer les Russes. » En pleine guerre froide, le Bordelais a choisi son camp. Et obtient satisfaction. À Kiev, où la délégation bordelaise composée de 112 personnes doit faire escale, les fonctionnaires soviétiques souhaitent que les joueurs passent la douane en premier. Refus catégorique de Claude Bez qui, du haut de la passerelle, hurle que « la douane, nous la passerons tous ensemble, ou pas du tout. Sinon, je reprends mon avion et nous rentrons à Bordeaux ! » L’homme commence à être taquin. Si le cuisinier du club a du mal à faire passer ses légumes frais, la colo bordelaise franchit le barrage sans trop d’encombres.
Les choses se corsent un peu plus au moment d’embarquer pour Krivoï-Rog, une ville d’ordinaire fermée aux étrangers pour raisons stratégiques, qui ne compte qu’un aéroport militaire sur lequel aucun avion occidental ne s’est jamais posé. Les cartes des lieux devant rester secrètes, un navigateur local prend place dans le cockpit du Boeing d’Air France. Mais peu avant le décollage, les autorités locales annoncent un brouillard à couper au couteau au-dessus de Krivoï-Rog, sans que personne ne puisse vérifier, et forcent l’appareil à rester immobilisé jusqu’à ce que les Soviétiques proposent aux Bordelais d’embarquer dans un train. Départ 20h, arrivée 4h du matin. C’est non. Les Girondins restent donc à Kiev, où ils tentent de négocier un report de 24h de la rencontre, sans succès, malgré une discussion avec le vice-ministre d’Ukraine que Bez conclut en déclarant : « La parole d’un Soviétique ne vaut rien ! » À bout, Bez décide que si la rencontre n’est pas décalée, elle n’aura pas lieu. Mais ce match, les joueurs veulent le disputer, ticket pour les demi-finales de la C1 oblige.
Tusseau et Chalana qualifient Bordeaux
Le lendemain matin, Bez cède et embarque tout son monde dans le Boeing, direction Krivoï-Rog. Sur la pelouse du Meteor Stadion, Thierry Tusseau égalise en envoyant son coup franc dans la lucarne de Sergei Krakowsky et arrache la prolongation, avant que Chalana fasse définitivement basculer le séjour dans la légende, en bottant son tir au but avec son mauvais pied. L’épisode dingue fut également une des seules occasions pour la presse, d’ordinaire méprisée par le président bègue, de voyager avec l’équipe, manque de solutions oblige. L’ancien journaliste de Sud-Ouest François Trasbot se souvient : « Bez était de droite. Tout ce qui était communiste lui déplaisait fortement. Donc il nous a défendus face aux autorités locales. » Peut-être la plus grosse folie de cette équipée.
Par Mathias Edwards