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Est-ce vraiment raisonnable de jouer en jogging ?
À chaque match de la Hongrie, c’est l’attraction. Gábor Király et son bas de survêtement attirent tous les regards. Pourquoi ? Depuis quand ? Dans quel but ? Est-ce un choix esthétique ou médical ? Est-ce vraiment raisonnable ? Enquête.
Aussi loin que l’on puisse remonter dans l’histoire du football, difficile de retrouver une autre trace d’un tel accoutrement. On peut donc presque parler d’une première pour Gábor Király. L’historien du football Paul Dietschy confirme : « Moi, j’ai le souvenir d’André Rey qui portait souvent des trucs longs, c’était au début des années 70. C’est d’ailleurs à ce moment-là que les gardiens ont commencé à porter des pantalons, ou des collants sous le short, bref à quitter le short. Mais jamais, je n’ai vu ce genre de jogging-là. »
Ce genre de jogging-là ? Un vêtement large et lourd à mi-chemin entre ce que porte un gardien de handball et un mec le dimanche après-midi pour rester chez lui, dans le canapé, à mater du foot. Mais en aucun cas, une tenue de joueur professionnel : « En plus, cette matière-là prend et garde l’eau, c’est vraiment pas pratique. En tout cas, je n’ai pas le souvenir d’un gardien en équipe nationale qui ait pu porter ce genre de vêtements. » Pour Émilie, jeune active dans le milieu de la mode, la raison de cette anomalie est simple : « C’est un truc anti-sex au possible. Le genre d’horreur que ta copine pourrait découper et balancer à la poubelle dès qu’elle en a la possibilité » .
Superstition et pizzas
Mais alors pourquoi s’acharne-t-il ? Gábor Király est assez mystérieux là-dessus. Voire agressif : « Je m’en moque, je suis gardien. Pas top model. » Car cette habitude ne lui date pas d’hier. Et il a subi des années et des années de moquerie. Au moins vingt ans. Alors gardien du Szombathely Haladás, son club formateur, il affiche pour la première fois ce bas de survêtement parce qu’il en a, selon la version officielle, marre de se geler et de se ruiner les genoux sur les pelouses givrées de Hongrie. Une utilité non négligeable vantée par les handballeurs, les gardiens et les médecins du sport. Ça tombe bien, Julien pratique les trois : « Je mettais un jogging avant tout pour ne pas me faire mal. Sur les surfaces pelousées et dans les gymnases, c’est mieux. Il y a forcément un intérêt médical là-dedans. » Celui de s’éviter des pizzas sur les cuisses, donc.
Mais aussi d’endurer les longs moments de solitude que la condition de gardien de but inflige à ces « intermittents du spectacle » . Paul Dietschy l’assure : « C’est aussi une question de saison. Les gardiens ont toujours porté des shorts. Mais l’hiver, le soir en semaine, à l’entraînement, pour éviter de se geler, ils mettent des trucs longs. » Concernant la couleur du jogging, un gris standard, c’est une autre histoire. La version officielle parle d’une superstition. Alors qu’il évoluait encore dans son premier club, mal embarqué en championnat, Gábor se retrouve sans son jogging noir, qu’il n’a pas eu le temps de laver. Il va donc se rabattre sur un gris. S’ensuivent neuf matchs sans défaite qui sauveront le Szombathely Haladás de la relégation. La légende est née. Le fameux jogging ne le quittera plus jamais. Même pas l’été. Même pas à Marseille, alors que le thermomètre affiche 25 degrés à l’ombre. Donc, difficile de croire que ce ne soit simplement qu’une superstition ou un moyen de se tenir chaud l’hiver.
Hipster et Rafael Nadal
Et si en fait Gábor était juste un hipster ? « Le jogging est revenu à la mode il y a deux ans, explique Emilie. En gros, c’étaient des mecs qui sortaient en pyjama, allaient prendre leur café avec un bonnet et un plaid, puis allaient se recoucher. J’en vois un peu moins aujourd’hui, mais il y a deux ans, tous les hipsters faisaient ça. » D’ailleurs, en début d’année, un certain Demna Gvasalia, aujourd’hui directeur artistique géorgien de Balenciaga, a tenté de remettre au goût du jour ce look qui présente quelques similitudes avec la tenue du gardien hongrois.
Vetements designer Demna Gvasalia reveals the story behind *that* cult DHL T-shirt: https://t.co/Sbmu7Sqmfa pic.twitter.com/nBb490Yuaj
— DRESSR (@Dressr) 19 mai 2016
« Demna Gvasalia est un irréductible du Normcore, le non-style. Maintenant pour être à la mode, il faut être simple… Ou plutôt faire preuve d’un manque de bon goût. » Hipster, superstition ou vêtement chaud ? Quoi qu’il en soit, c’est un vêtement qui n’en reste pas moins lourd et incommodant. Mais là encore, difficile de prouver, par exemple, que c’est son jogging qui a provoqué le penalty de Sigurðsson lors du dernier match contre l’Islande : « S’il est bien comme ça, pourquoi pas, hein. Moi, je pense qu’un joueur doit avant tout se sentir bien dans sa peau, bien dans sa tenue. Et Rafael Nadal, interroge Julien,il a bien régné sur Roland Garros avec un pantacourt après tout, non ? »
Par Ugo Bocchi