- Euro 2022
- Gr. B
- Espagne-Finlande
Espagne : la vie sans Alexia Putellas
Déjà amputée de Jenni Hermoso, la meilleure buteuse de son histoire, la sélection espagnole devra donc briller en Angleterre sans Alexia Putellas, la meilleure joueuse du monde. Une nouvelle fracassante, qui en plus de faire vibrer tout un pays qui s’est découvert une passion tardive pour le football féminin, fait trembler tout le monde du football. La joueuse la plus capée de l’histoire de la Roja suivra donc l’Euro depuis chez elle, avec un ligament croisé en moins.
« C’est comme si Messi avait raté la prochaine Coupe du monde au Qatar », commentent plusieurs observateurs du football féminin le désormais triste soir du 5 juillet. Jour où Alexia Putellas, la meilleure joueuse du monde et dernière gagnante du Ballon d’or, s’est rompu le ligament croisé antérieur et qui lui coûtera sa participation à l’Euro féminin de cet été. « Elle a fait un appui avec sa jambe gauche pour tirer avec la droite et c’est là que ça s’est passé, explique le lendemain le sélectionneur Jorge Vilda en conférence de presse. Elle a senti le craquement. Par elle-même. » Quittant l’entraînement à l’aide de béquilles, la capitaine de la Roja n’avait guère de grands espoirs avant l’IRM du soir. « C’est le ligament, c’est sûr, je l’ai pété », a-t-elle crié sur le coup. Un coup d’autant plus dur que quelques jours auparavant, la milieu de terrain du Barça avait déclaré : « J’ai le sentiment de n’avoir jamais profité d’un grand tournoi avec l’équipe nationale, pour différentes raisons. Dans celui-ci, je profite, je suis heureuse et j’attends avec impatience le coup d’envoi. » Mais comme aiment à le répéter les joueurs masculins gavés au media training : « Tout va très vite dans le football. » Un adage que constate par elle-même l’internationale en revoyant l’image précédent le drame : « Je regarde cette photo et je vois à quelle vitesse tout peut changer en un appui ou en une seconde. »
La malédiction du Ballon d’or
La très grave blessure de la star du football mondial lui vaut des centaines de messages de soutien, de Megan Rapinoe à Xavi, et met, pour une fois, toute la presse espagnole d’accord. « Nous sommes tous Alexia », titrait AS ce mercredi, « 23 Alexias en quête d’un rêve » écrivait de son côté Marca avec la photo des 23 Espagnoles choisies pour disputer l’Euro, « Drama Alexia », préférait Sport avec une photo de la joueuse en béquilles. Il faut dire que celle que tout le monde nomme simplement « Alexia » outre-Pyrénées est plus qu’une titulaire indiscutable en Espagne. Il faut remonter au 24 mai 2019, lors d’un match amical contre le Canada qui s’est soldé par un 0-0, pour trouver une Espagne sans celle qui a depuis franchi la barre des 100 sélections avec le maillot espagnol. Évidemment la seule joueuse à avoir atteint ce chiffre symbolique. Elle est aussi la référence de ce nouveau football espagnol féminin, devenu peu à peu professionnel, prenant part aux deux derniers Euros pour lesquels la Roja s’est qualifiée, en 2013 et en 2017. Faisant d’elle non seulement la capitaine, mais aussi la seule avec Irene Paredes à avoir joué toutes les compétitions internationales depuis 2013. Surtout, son absence s’ajoute à celle d’une autre taulière espagnole : Jenni Hermoso, meilleure buteuse de l’histoire de la sélection, elle aussi touchée au genou.
Une sorte de malédiction qui plane au-dessus de Las Soñadoras, qui avait déjà vu sa star du dernier Mondial, Virginia Torrecilla, être touchée par une tumeur cérébrale en mai 2020. Alexia avait d’ailleurs choisi de porter son numéro 14 en son hommage. Numéro qui devra, la Roja l’espère fortement, trouver grâce dans le dos d’Amaiur Sarriegi, attaquante de la Real Sociedad appelée en renfort après cet énième forfait. Une malédiction que partagent aussi malheureusement les deux autres Ballon d’or féminines : Ada Hegerberg, première à recevoir le prix en 2018 et absente deux ans des terrains après une rupture du ligament croisé et deux fractures du tibia, et Megan Rapinoe, nommée en 2019 et dont la carrière semble depuis à bout de souffle à force de nombreux pépins physiques. Le problème étant que ces blessures des croisés sont beaucoup plus longues chez les femmes que chez les hommes. Les filles, chez qui les lésions du ligament croisé antérieur sont trois à six fois plus fréquentes que chez les garçons, mettent minimum dix mois à se retaper d’une telle blessure, quand leurs homologues masculins en sont à six. Sans que les chercheurs ne sachent vraiment pourquoi, les études étayant aussi bien des raisons morphologiques, comme celle du diamètre d’un croisé, plus petit chez les femmes, ou bien encore le cycle hormonal… La blessure d’Alexia va donc non seulement affecter l’Euro de la Roja, mais risque aussi de priver le Barça de sa capitaine lors de toute la prochaine saison, avec au bout : la Coupe du monde 2023.
Tant qu’y a Patri, y a de l’espoir
Du côté du club catalan, on s’agace justement de la multiplication des blessures lors des séjours en sélection des joueuses. Récemment Bruna Vilamala et Cata Coll se sont toutes deux fait les croisés alors qu’elles étaient avec les Espoirs espagnoles. En février dernier, l’attaquante Mariona Caldentey a été appelée en sélection pour un match amical, alors qu’elle était en phase de réadaptation avec son club et reprenait tout juste après deux mois d’arrêt. Le sélectionneur Jorge Vilda l’a alignée titulaire avant qu’elle ne sorte sur blessure 22 minutes plus tard. En interne, le Barça ne comprendrait pas comment Alexia a pu jouer chaque minute pour l’Espagne pendant deux ans sans se reposer, même lors de matchs amicaux ou lorsque la Roja gagne haut la main. Certaines sources disent même à Sport que les exercices imposés aux filles seraient « trop forcés » et « pas suffisamment adaptés » à la prévention de ces blessures, là où de nombreux médecins expliquent que les programmes de réduction des douleurs doivent être différents de ceux des hommes. Sur les réseaux sociaux, de nombreux supporters assidus de cette Roja femenina lancent un #VildaOUT après cette énième blessure. Si l’inquiétude grandit autant autour d’Alexia, qui a pris une place bien plus importante dans le paysage médiatique que celle de simple joueuse, c’est parce que les rechutes des croisés sont cinq fois plus fréquentes chez les filles et que beaucoup ne reviennent jamais à leur niveau initial. Derniers cas en date : Marta Carro et Rosa Márquez, toutes deux internationales espagnoles et victimes des croisés, qui n’ont plus jamais revêtu depuis la tunique rouge.
Si dans un premier temps, les espoirs semblent maigres pour Alexia, qui va tout de même bénéficier d’un suivi aux petits oignons à l’infirmerie du Barça, ceux de la Roja devraient se nourrir de son absence. « Nous allons compenser ce que fait Alexia, assure la jeune Patri Guijarro, 24 ans et propulsée capitaine de l’Espagne en l’absence de sa boss. Nous allons prendre nos responsabilités, à commencer par moi et mon rôle de capitaine. Nous avons trois fois plus d’envie. » Elle aussi coéquipière en club de la grande absente, Mariona Caldentey insiste. « L’équipe continuera à ramer pour Alexia et pour toutes celles qui n’ont pas pu être là, lance-t-elle en énumérant Virginia Torrecilla, Jenni Hermoso et Salma Parelluelo. Nous voulons montrer que cette équipe est debout, qu’elle y croit encore et que nous allons tout donner. »
@mariona8co: « Nosotras tenemos confianza plena en Alexia y sabemos que incluso desde fuera nos puede ayudar ». « El equipo va a seguir remando por Alexia, por Vir, por Jenni y por todas las jugadoras que no están aquí. Somos un equipo ».#WEURO2022 I #JugarLucharYGanar pic.twitter.com/a1rqTPmXBF
— Selección Española Femenina de Fútbol (@SEFutbolFem) July 6, 2022
La Roja pourra compter sur ses certitudes : une colonne vertébrale blaugrana, rompue aux matchs de Ligue des champions depuis plusieurs saisons, et un record de 852 jours sans défaite, soit deux ans et quatre mois depuis sa défaite contre les États-Unis lors de la SheBelieves Cup. Dans les médias espagnols, on se cherche aussi d’autres éléments rassurants. La journaliste Aimara Gil rappelle par exemple qu’il s’agit de « la meilleure génération que le football féminin espagnol ait jamais produit », la sélection atteignant son meilleur rang au classement FIFA cette année, avec une belle 7e place. Et si la sélection espagnole féminine n’a jamais rien gagné chez les A, les plus optimistes préfèrent se souvenir de cette formidable place de finaliste lors de la Coupe du monde U20 en 2018, où excellent les futures joueuses de l’Absoluta Patri Guijarro, Aitana Bonmati, Lucía et Ona Batlle… qui avaient battu d’ailleurs la France, en demi-finales.
Par Anna Carreau