- Rétro
- Ce jour-là
- 17 mars 1954
Espagne 54 : une élimination à Rome
C'était un temps où l'Espagne ne faisait pas figure d'épouvantail planétaire, et où un billet pour la Coupe du monde pouvait dépendre d'un tirage au sort. Le 17 mars 1954, la Roja est éliminée aux dépens par la Turquie, ou plutôt, par les mains d'un jeune Italien...
La Coupe du monde était encore un tournoi à l’organisation balbutiante. Un rendez-vous que certains préféraient snober, ou pour lequel les sacrifices se consentaient à dose homéopathique. Ainsi, sur les quarante-cinq équipes prêtes à se mobiliser pour passer leur été 54 en Suisse, sept avaient péché par négligence en envoyant leur demande hors délai. Elles se voyaient ainsi écartées de la course pour le Mondial avant même que le départ ne soit donné. Depuis Zurich, la campagne éliminatoire sera dessinée par la FIFA. Pas de tirage au sort, et des critères pour le moins opaque. Ainsi, alors que les équipes du Royaume Uni s’éliminent entre elles dans un groupe à quatre, que l’Angleterre finira par dominer, la créativité du grand ordonnateur du football conduit à la formation de divers groupes où ne cohabitent que deux sélections. La campagne éliminatoire se réduit ainsi à un simple aller et retour. Cela sera toutefois plus compliqué que cela pour l’Espagne opposée à la seule Turquie dans le groupe 6.
Pour La Roja, la phase éliminatoire semble relever de la simple formalité. Cela se confirme le 6 janvier 1954, date du premier match du groupe, disputé au stade Chamartin. L’Espagne domine largement les Ottomans : 4-1. La qualification semble dans la poche pour une sélection qui restait sur une quatrième place au Mondial 1950. Pour le match retour, la Roja peut, de surcroît, compter sur un renfort de poids : Ladislao Kubala, la star du FC Barcelone qui vient d’obtenir le droit de revêtir le maillot de son pays de résidence après avoir défendu les couleurs tchécoslovaques et hongroises. À Istanbul, l’Espagne plie, victime de la combativité turque. Une courte défaite (1-0), qui permet aux surprenants Turcs de rejoindre la Roja en tête du groupe 6… Le règlement ne s’intéresse alors pas à la différence de buts. Pour valider son billet pour la Suisse, l’Espagne est condamnée à jouer un troisième match sur terrain neutre. Ainsi le dicte la FIFA…
Kubala, le fax et la main innocente
Le match couperet a pour cadre le stade olympique de Rome. Il se déroule le 17 mars 1954, trois jours seulement après la déconvenue d’Istanbul. Malgré ce frais souvenir, l’Espagne ne s’en fait pas. Loin du climat hostile d’Istanbul, son football s’imposera. La Roja peut notamment compter sur Adrian Escudero, meilleur buteur de l’histoire de l’Atlético Madrid. En revanche, elle doit faire sans Kubala. Dans l’heure précédant le coup d’envoi, les dirigeants ibériques reçoivent un télégramme indiquant que le Blaugrana, qui avait pourtant été de la partie à Istanbul, n’est pas qualifié pour jouer avec la Roja. Défendre les couleurs d’une troisième sélection serait anti-réglementaire. Aujourd’hui encore, personne ne sait si ce télégramme a bien été émis depuis les bureaux de la FIFA, ou s’il s’est agi d’un coup bas des dirigeants turcs.
À Rome, la Turquie surprend à nouveau. L’Espagne est neutralisée : 2-2 au terme du temps réglementaire. Plus rien ne sera inscrit lors de la prolongation. La qualification pour la Coupe du monde ne se décidera toutefois pas lors d’une séance de tirs au but comme cela serait le cas aujourd’hui, mais par tirage au sort. Le destin de la Roja se trouve désormais au bout des doigts d’un jeune Italien, fils d’un dirigeant du football transalpin. Il bambino, nommé Luigi Franco Gemma, doit plonger sa main dans une coupe où se trouve deux bouts de papier. Alors, Turquie ou Espagne ? Les deux équipes assistent depuis la pelouse à ce moment capital. Le gamin fait son choix. Le bout de papier est déplié. Et le winner is ? La Turquie. Qualifiée pour la Coupe du monde par tirage au sort.
Par Marcelo Assaf, avec Thomas Goubin