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- Soirée Waxgroove
Erik Rug: « Les footballeurs écoutent ce qu’on leur déverse »
Erik Rug est une légende des platines. Rien que ça. Un DJ qui a écrit quelques-unes des plus suantes pages du clubbing parisien. Après avoir débuté dans les années 80 dans un registre plutôt rock, il fut avec Laurent Garnier l'un des grands introducteurs de la house et de la techno en France. Depuis près de quinze ans, il brille avec ses fameuses soirées "Waxgroove" aux forts accents funk. Avec un tel parcours à l'anglaise, dur de ne pas lui parler de foot.
Quand on est un fan du PSG comme toi, la situation actuelle, avec l’arrivée de David Beckham dans le club de Safet Sušić, ne te donne-t-elle pas l’impression de passer de Norman Jay à David Guetta ?
D’une certaine manière, oui. Cependant, il faut arrêter d’être surpris ou choqué. Tous les grands clubs ont toujours fonctionné ainsi. Regarde le Real Madrid des années 50, il avait bien piqué Raymond Kopa à Reims. Les grosses équipes européennes ont toujours développé cette politique sauf qu’en France, on ne s’y met que maintenant. Cela dit, avant, personne ne pouvait se le permettre. La venue de David Beckham s’inscrit dans la quête de notoriété du PSG, qui est un peu obligé de se faire reconnaître tout de suite et très vite, en brûlant les étapes. Je trouve ce choix plutôt finaud. Tout le monde le sait, ils ne l’ont pas recruté pour le terrain, mais pour son image et son nom connu dans le monde entier. On ne peut pas pleurer sur une L1 morne et sans relief puis critiquer cette stratégie.
Le Parc « à l’ancienne » ne te manque pas ?Je ne suis jamais allé en virage, mais plutôt en face des présidentielles. Néanmoins, pour tout dire, je n’y ai pas mis les pieds depuis au moins cinq ans ! Je ne sais pas ce que donne cette « nouvelle version » du stade. J’imagine que cela tourne à une espèce de petit Stade de France, non ? Et le Stade de France, c’est l’antre des Footix. Je m’y étais rendu pour un match des Bleus dont je ne préfère pas me souvenir. Ça m’avait dégouté, à tout jamais. Je me rappelle un match avec Zidane et tout le monde voulait juste regarder Zizou. Dès qu’il touchait le ballon, le public hurlait de plaisir. On s’est tapé une ola au bout de 5 minutes. Pour ensuite siffler pour un 0-0 à la mi temps… D’après ce que j’ai entendu, l’atmosphère s’avère assez identique au Parc. Le plus terrible, c’est quand les joueurs rentrent dans ce jeu, à s’excuser à la moindre contre-performance.
Finalement, les Français n’ont-ils pas aussi peu de culture musicale que footballistique ?Tout à fait, le fossé est assez similaire entre les deux domaines. Les magazines de musique en France essaient de te faire gober des groupes ou des projets musicaux complètement « fake » , sans profondeur… Les Inrocks ou n’importe quel autre te les balancent comme des « vrais trucs » . C’est un peu pareil dans l’Hexagone avec la façon dont on traite les footballeurs. On va nous survendre des gars comme Nasri, bref, juste des joueurs moyens. Après, ils vont atterrir en équipe de France. Et tu t’étonnes que l’équipe se révèle constamment décevante ? Il n’y a pas de grand joueur sans vraie culture footballistique.
C’est vraiment si différent outre-Atlantique, tu crois?Par le passé, dans les années 80, j’ai beaucoup trainé à Manchester. J’y avais beaucoup de potes, certains pour United, d’autres, les plus nombreux, pour City. Je suis allé dans les deux stades, enfin dans l’ancien de City, et un peu à Old Trafford, y compris pour voir des matchs de coupe d’Europe. En même temps, Old Trafford ressemble un peu au Parc des Princes aujourd’hui, avec que des places assises. Mais l’Angleterre reste un pays de football, où on peut applaudir un bon joueur qui évolue en face. Du coup, les gars, parce qu’ils aiment vraiment le ballon, ont tendance à se tourner vers la seconde division ou les petits clubs. Certains de mes amis qui étaient derrière City ont lâché l’affaire avec l’arrivée des Qataris. Mon pote Dave Haslam, un DJ historique de Manchester, notamment à l’Hacienda, et qui a aussi énormément écrit sur la scène mancunienne, soutient désormais West Bromwich. Même s’ils perdent, il s’en fout du moment qu’ils se sont dépouillés.
Le foot est-il compatible avec le clubbing ?Chez nous, j’ai toujours eu l’impression que cela restait un truc bas de gamme d’être supporter… Un peu moins après 98, mais pas tant que cela. Je me souviens de Gilles Peterson qui était à fond derrière Arsenal… Parfois je le croisais dans des lieux où l’on mixait ensemble et je le voyais prendre le premier vol à 7h le matin pour Londres parce qu’il ne voulait pas rater le match de 14h. Je crois même me souvenir qu’il était abonné. Je me rappelle que vers 87-88, toujours avec Dave Haslam, on organisait des soirées à la Loco, à Paris, et à chaque fois des groupes de Manchester étaient invités, comme Inspiral Carpet. Je me souviens qu’ils débarquaient avec deux ou trois bus. Nous étions en pleine période du summer of love, les jeans « pattes d’eph » souvent portés avec des maillots de foot… City, Liverpool, Everton, etc. C’était assez marrant. Tu sais, c’était une époque étrange où le niveau de baston avait sensiblement baissé dans les stades, puis ensuite dans les pubs, car les mecs avaient découvert l’ecstasy. Cela n’a duré qu’un temps parce que tout est retombé dans les mains des gangs. Mais pendant un bref moment, il a existé une vrai corrélation entre le foot et le clubbing. Maintenant, par exemple, les footballeurs sont comme tout le monde, ils écoutent ce qu’on leur déverse dans les oreilles, du R’n’B FM ou de la pop consensuelle. Il est rare qu’ils affichent des goûts plus pointus. Dave Haslam m’a raconté que le seul pro qu’il avait aperçu dans les soirées où il mixait ou traînait, c’était Gary Neville, qui était branché sur des trucs comme The Stones Roses.
A écouter : Soundcloud d’Erik Rug – Retrouvez Erik Rug sur My Space
Crédit: Cyrille Fourmy
Soirées :
– Waxgroove, samedi 16 février au Nouveau Casino, avec Lord Funk, d’origine italienne fan de l’Inter, à partir de minuit.
– GooGoo Muck, mardi 19 février, au Nouveau Casino, 20 heures.
Propos recueillis par Nicolas Kssis-Martov