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Éric Di Meco : « Eyraud n’aime ni Marseille, ni les Marseillais »
Naufrage en Ligue des champions, crise sportive et guerre ouverte du président Eyraud contre les supporters : cela va mal à l'Olympique de Marseille. Suffisamment mal pour inquiéter l'imperturbable Éric Di Meco, qui décrypte ces évènements comme il l'a toujours fait : en taclant.
Pendant la campagne de C1, on vous a senti marqué par le naufrage de l’OM. Avec le recul, vous en gardez quoi ?Beaucoup de frustration. Ça faisait longtemps que je n’avais plus commenté l’OM en C1, j’avais hâte, parce qu’en C1, on peut se lâcher sur les équipes françaises. Finalement, ça a été un long chemin de croix. Ça m’a touché, j’ai souffert. D’ailleurs, je ne suis pas sûr que ce soit bien que le commentateur soit autant touché, je n’ai peut-être pas eu le recul qu’il fallait. Mais bon, je ne pouvais pas faire autrement, j’ai porté ce maillot, je suis né et je vis toujours dans la région. Je ne pensais pas que ce serait aussi dur. Pourtant, j’ai commenté la campagne du zéro pointé, mais là, au moins, les matchs étaient serrés, il y avait eu du suspense contre des adversaires qui étaient plus forts. Alors que cette année, ils étaient prenables, il y avait moyen de faire un truc.
Aujourd’hui, c’est surtout en coulisses que ça va mal. Ça vous surprend ?Après cette campagne de C1, les dirigeants auraient dû monter au créneau et mettre les joueurs face à leurs responsabilités. Finalement, à part Villas-Boas qui s’est débattu pour expliquer l’inexplicable, et qui a tout pris dans la tronche, on n’a entendu personne. C’est à ce moment-là qu’il fallait communiquer. Il y avait déjà des problèmes extrasportifs, notamment sur l’état de forme de plusieurs joueurs. Si c’est bien géré à ce moment-là, on évite la suite.
La suite, c’est notamment cette déclaration de Jacques-Henri Eyraud qui déclare qu’il y a « trop de Marseillais au club ».
C’est incompréhensible. Sa première sortie c’est ça, c’est catastrophique. Et ensuite, comme par hasard, on fait bien savoir que le président est descendu dans le vestiaire pour gueuler. Mais ça ne marche pas comme ça. La communication de l’OM est médiocre, alors qu’on m’explique que c’est un des sujets qui sont maîtrisés par les dirigeants… Cette sortie sur les Marseillais au club, elle est surréaliste. Avant cela, Eyraud avait une partie des supporters à dos. Après, c’est une partie de la ville. Et là, avec le dernier épisode de l’Agora, il a réussi l’exploit d’unir tout le monde contre lui. L’OM continue de creuser, et je ne sais pas jusqu’où. Je ne vois pas de sortie à cette crise.
Vous évoquez le dernier épisode en date : l’OM Agora. Un projet qui a enclenché un bras de fer entre Jacques-Henri Eyraud et les supporters. Comment ça va finir ? Il n’y a pas de bras de fer parce qu’Eyraud, il va le faire tout seul son Agora. Il vole à une altitude, là… Il est tout seul dans son délire. Et le plus grave, c’est la mise en demeure sur la convention entre les clubs de supporters et l’OM. C’est une déclaration de guerre. C’est d’ailleurs ce qui fait que le maire est monté au créneau, ce qui fait que tous les Marseillais, même ceux éloignés du foot, sont tous unis. Eyraud pouvait encore se rattraper, mais là c’est fini. S’il pense pouvoir tuer les clubs de supporters, il se met le doigt dans l’œil. Il a le pouvoir de casser ces conventions, c’est le patron de l’OM, il peut tout à fait le faire, mais les clubs de supporters ne disparaîtront jamais. Ce sont bien plus que des supporters, ce sont de véritables associations de quartier. Par exemple les MTP font des maraudes pour donner à bouffer, les Winners ils ont une multitude de gamins qu’ils récupèrent dans la rue. Ils ont un rôle social, ils sont très implantés en ville. Parfois, ils ont même un rôle politique. Les clubs des supporters survivront à Eyraud. Ils en ont vu passer des plus coriaces que lui.
Pourquoi s’en prend-il aux virages ?Je ne sais pas ce qu’il veut, il veut mettre des supporters popcorn qui payent plus cher ? Ou faire comme le plan Leproux, pacifier le stade pour rendre la mariée plus belle et le vendre ? Ou alors c’est juste une vengeance de bas étage ?
Comment s’explique ce décalage entre Eyraud et les supporters de l’OM ?Ça fait dix fois qu’il s’exprime mal. Je le pense toujours respectable. Au départ, il avait envie de faire des trucs, il a essayé d’impliquer le club socialement. Mais Eyraud a oublié le plus important : c’est que l’OM est avant tout un club de foot qui doit gagner, et tu ne peux pas le faire sans les supporters. Même le Marseillais qui est loin du football, il sait ce que représente l’OM pour la ville aux niveaux social et économique, pour la stabilité dans les quartiers. Ce n’est pas un club, c’est une raison de vivre, ce n’est pas ringard ou plouc de le dire. Pour l’avoir rencontré et échangé avec lui, en plus de ce que j’entends, c’est mon intime conviction qu’Eyraud n’aime pas Marseille, qu’il n’aime pas les Marseillais, qu’il n’aime pas la mentalité marseillaise. Je reste persuadé qu’il n’est pas fan de l’OM, qu’il ne comprend pas les supporters. Et aujourd’hui, j’ai peur qu’il fasse mal au club. Parce que vouloir virer les supporters du stade, c’est faire du mal à l’OM. Personne ne supportera que le Vélodrome soit un théâtre. Et puis, les dirigeants ont quand même bien surfé sur la campagne de Ligue Europa, et ce n’est pas les supporters pop corn qui feront ça.
Les évènements de la Commanderie vous ont-ils surpris ?Ce qui m’a surpris, c’est qu’il n’y ait pas de manifestation plus tôt. Le dialogue avec les supporters aurait dû être engagé bien avant, dès qu’on a senti que ça bouillait. Mais à l’OM, il n’y a que des heads of machin qui arrivent de la lune et ils n’ont rien vu. Après, la manifestation a dégénéré à cause de quelques énervés, tout le monde l’a dénoncé dans la foulée dont les clubs de supporters. Derrière, le président surréagit, il pousse la préfecture à taper fort, alors qu’il aurait dû apaiser la situation, être médiateur… Ils font tout à l’envers.
Comment expliquez-vous l’échec sportif du Champions Project ?Par un petit manque de réussite l’année de la finale de Ligue Europa. L’OM manque la qualification en C1 à un point sur la dernière journée. Si ça passe cette saison-là, le projet tient la route. Mais derrière c’est le début de la fin, avec des joueurs chers qui ne performent pas. Après, c’est facile de l’extérieur de dire qu’il ne fallait pas prolonger Payet, ne pas prendre Strootman. D’ailleurs, quand Strootman signe, on se dit « Putain, le gros coup ! » Après, il y a eu la prolongation de Garcia, le pari Balotelli… Les erreurs, il n’y a que ceux qui ne font rien qui n’en font pas.
Mais la saison dernière a été réussie, non ?Villas-Boas a fait un miracle. Après cette année, il était sur une pente descendante, mais a priori il y a une cassure pendant le premier confinement. Le président a essayé de profiter de la Covid pour récupérer des erreurs de contrat qu’il avait faites. La belle harmonie a commencé à s’effriter. Ça, plus des joueurs qui sont dans leur confort… Il y a eu plusieurs moments charnières où on aurait pu éviter la crise.
Sampaoli a le profil pour rallumer la flamme ?Oui, et pour s’engueuler vite avec le président aussi ! (Rires.) Ce serait un attelage assez irréel, je veux voir ça. Les entraîneurs qui ont plu ici, ce ne sont pas toujours ceux qui ont gagné, mais des mecs avec de fortes personnalités. J’ai hâte de voir ce que ça donnera s’il vient, honnêtement je n’en ai aucune idée, parce qu’à Séville et avec l’Argentine, ça n’a pas été fantastique. Mais son Chili, on se régalait. Il a fait tourner ce groupe à 120%, donc on se dit que s’il fait pareil à l’OM… Son tempérament séduit les Marseillais, et inversement. D’après ce que j’ai compris, il a très envie de venir. Il n’est pas fou, il connaît le club, il sait comment Bielsa était perçu ici, et vu sa personnalité, ça peut être volcanique.
Et pendant que l’OM est au fond du trou, le PSG rayonne en Europe. Est-ce qu’en plus de cela, les Marseillais vont perdre leur monopole européen en France ?Les Marseillais sont résignés. Ils se nourrissent du petit plaisir chaque année de l’élimination du PSG, c’est une respiration qui arrive en mars généralement, l’année dernière en août. Mais ils sont conscients que ça va arriver un jour. Je n’ai pas vu le match contre le Barça, parce que je commentais Liverpool. Le problème pour Paris, ce sera de réitérer cette performance et d’intégrer tout le monde dans le collectif quand Neymar et Di María vont revenir. Ça va être le défi de Pochettino. Dans le foot actuel, quand on voit les deux derniers champions d’Europe, c’est le collectif qui prime.
Propos recueillis par Adrien Hémard