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Oui, le mal-être de Kylian Mbappé doit être pris au sérieux
L’absence de Kylian Mbappé au rassemblement de l’équipe de France pourrait-elle être liée à une possible dépression ? Si son cas intrigue, il doit plutôt servir à prouver l’importance de la préparation mentale, même chez l’un des meilleurs joueurs du monde que l’on a parfois décrit comme hermétique à tout ce qui l’entoure.
L’absence de Kylian Mbappé pour la deuxième fois d’affilée d’un rassemblement de l’équipe de France entraîne toutes les suppositions et fantasmes possibles. Agacement de sa part, sanction de Didier Deschamps, affaire extrasportive ou simple baisse de régime après un début de saison raté dans son nouveau club du Real Madrid ? Ce mardi, l’un de ses proches avance une autre raison dans les colonnes de L’Équipe : « Appelez ça comme vous voulez, mais Kylian a un problème mental depuis plusieurs mois. » Le terme est flou, mais le mal-être du capitaine des Bleus n’a échappé à personne.
Un joueur, même faisant partie des meilleurs au monde, peut-il être sujet à la dépression ? Oui et plus que n’importe qui puisque la FIFpro, syndicat des footballeurs professionnels, indiquait en 2015 que 38% des footballeurs souffraient de troubles anxieux ou dépressifs, tandis qu’à titre de comparaison, 17% des Français connaissent de tels symptômes. « Le simple piéton est sujet au burn-out, mais le problème du footballeur est surtout de ne pas pouvoir changer d’employeur, il est contraint de rester dans un système qui ne lui convient pas. Un sportif de haut niveau est comme un artiste, il doit se réaliser, pas devenir un salarié », avance Laurent Edriat, actuellement préparateur mental d’une vingtaine de joueurs professionnels. Lui aussi a été confronté à de très sérieux coups de mou de la part des personnes qu’il accompagne : « J’ai vu des joueurs complètement perdus. Durant deux ans, ils n’avaient plus de pêche, plus envie de rien et surtout pas de jouer au foot, c’était des zombies. Ils allaient à l’entraînement en bagnole, ils se garaient sur le parking, pleuraient cinq minutes et allaient jouer comme si de rien n’était. »
S’enfermer dans le foot ou s’en détacher ?
Pour l’heure, impossible de savoir ce qui affecte négativement Kylian Mbappé, mais les facteurs sont nombreux selon ce spécialiste. « On parle de problème mental quand les performances ne suivent pas, mais ça peut arriver quand le joueur est quand même bon sur le terrain. Je pense que lui ne doit pas être bien depuis un an, un an et demi, et que maintenant ça ne fait que glisser », explique-t-il, se remémorant ainsi les 18 derniers mois marqués par un traitement particulier par Luis Enrique, le divorce cinglant avec le PSG, l’Euro passé comme une ombre et les premières semaines laborieuses à Madrid.
Au Real, peut-être pourra-t-il compter sur Carlo Ancelotti, souvent dépeint comme un manager brillant capable de faire cohabiter les ego surdimensionnés. Laurent Edriat pense que les coachs, en règle générale, manquent de formation dans le domaine de la psychologie et ont surtout d’autres priorités. « Je devais travailler cinq ou six fois avec Hatem Ben Arfa, mais à chaque fois il signait dans un club où l’entraîneur était censé le comprendre, remet-il. On a malheureusement vu la suite de sa carrière, pas grand monde ne l’a compris. Il a remis sa carrière dans les mains d’un coach, mais lui n’a pas que Hatem Ben Arfa à se soucier. »
Alors que faire maintenant que la machine à broyer est lancée à toute vitesse sur Kylian Mbappé ? Interrogés par L’Équipe, Tiémoué Bakayoko, son ancien coéquipier à Monaco, et Ludovic Batelli, le sélectionneur avec qui il a remporté l’Euro U19, ont deux points de vue différents : le premier pense que mettre la sélection de côté quelque temps est « peut-être la meilleure chose pour lui actuellement », tandis que le second estime qu’il faut « se recentrer sur l’essentiel : le foot, la performance ». C’est un autre son de cloche du côté de Laurent Edriat : « Il doit penser autrement, ça doit se faire à travers son identité personnelle. Pour la majorité des athlètes, la motivation n’est pas sportive, l’objectif doit être personnel pour ensuite performer dans le sport. Le seul conseil que je peux lui donner, c’est de s’entourer d’un préparateur mental et de trouver un nouvel objectif. Peut-être que celui de Mbappé était de signer au Real, mais après ? » En somme, déconnecter pour mieux se retrouver.
Quel impact pour les générations suivantes ?
Les exemples de joueurs touchés par la dépression sont légion. Emmanuel Eboué, Stan Collymore ou Aaron Lennon ont arrêté le foot, Robert Enke, Andreas Biermann ou Gary Speed se sont suicidés, alors que même des superstars comme Andrés Iniesta et Thierry Henry ont avoué avoir parfois sombré au cours de leur carrière. « C’est sûrement plus dur pour un footballeur de sortir d’une dépression parce qu’il a plus de temps libre. Il parle beaucoup, il entend beaucoup, alors il réfléchit trop. Tout le monde l’appelle et même si ses proches l’adorent, ils l’empêchent de déconnecter. En voulant l’aider, ils l’enfoncent encore plus », analyse le préparateur mental. Dimanche, sur le plateau du Canal Football Club, Ibrahima Konaté a justement verbalisé les différences entre lui, pourtant défenseur central titulaire de Liverpool, et Kylian Mbappé : « Tout le monde est autour de lui. Je lui dis souvent : “Ton niveau de foot, je le veux bien, mais ta vie, je ne la veux pas.” Parce que, franchement, c’est très difficile. Son nom est partout, aux moindres faits et gestes, on parle constamment de lui. »
Ces dernières années, les appels à l’aide de Neymar, les larmes de Richarlison ou encore les confidences de Dele Alli sur sa désintox et ses « traumatismes » ont ému, mais n’ont pas vraiment permis de faire bouger les lignes. « On communique dessus, mais ça ne change rien. C’est toujours assez mal vu, être aidé est un signe de faiblesse, déplore le prépa mental. Sur les 300 joueurs pros que j’ai suivis, il n’y en a qu’une dizaine qui m’ont donné le numéro d’un copain à eux pour que je l’aide aussi. Aurélien Tchouaméni a pris la parole à ce sujet et je n’ai pas forcément reçu plus d’appels après ça. » Le cas de Kylian Mbappé, l’un des joueurs les plus populaires de son époque, aura-t-il le même impact ? La réponse est claire pour Laurent Edriat : « Ça ne changera rien, il y aura d’autres faits divers. Le foot va continuer, le Real Madrid ne s’arrête pas, l’équipe de France non plus. »
Par Enzo Leanni
Propos de Laurent Edriat recueillis par EL.