- Le fiasco de Knysna 2010
- Épisode 5/5
Équipe de France – Le fiasco de Knysna 2010 – Épisode 5/5
Le « drame de Knysna » n’a jamais connu d’épilogue définitif. Le virus ramené d’Afrique du Sud resurgit comme un retour de paludisme à chaque nouvelle frasque dans le football français. Un virus malin qui a même contaminé Didier Deschamps, coach des Bleus champions du monde 2018...
Le 11 août 2010, Laurent Blanc inaugure son bail à la tête d’une équipe de France « clean » , sans aucun des 23 mutins, par une défaite encourageante en Norvège (2-1). Il a fait revenir dans son staff deux figures rassurantes de France 1998, Henri Emile et Philippe Tournon. Le 3 septembre, en premier match des éliminatoires de l’Euro 2012, la France s’incline au Stade de France face à la Biélorussie (1-0) en enregistrant le retour des premiers mutins : Lloris, Sagna, Malouda, Clichy, Diaby, Valbuena. Hormis Henry (parti aux Red Bulls de New York) et Anelka (suspendu, de toute façon) dont les carrières internationales ont pris fin au mondial 2010, la plupart des Bleus de Knysna reviendront progressivement en sélection. À l’exception notable de Gallas ou surtout de Toulalan, meurtri à jamais, qui ne répondra jamais aux appels de Blanc, puis ensuite aux approches de Deschamps. L’équipe de France en reconquête de l’opinion achèvera les éliminatoires avec la première place de groupe qui la qualifiera à l’Euro en Pologne-Ukraine. Entre-temps, au printemps 2011, l’affaire des quotas avait provoqué une déflagration inouïe qui avait réveillé les fantômes de Knysna.
Le 11 mai 2011, Olivier Ferran, un des animateurs du think tank socialiste Terra Nova, avait publié sur Slate.fr : « Derrière les quotas, en filigrane, on trouve une autre interrogation : y a-t-il trop de Noirs en équipe de France ?(…)La FFF pense que oui : elle privilégie implicitement une composition « ethnique » plus représentative de la population française. L’équipe de France, depuis le fiasco de la Coupe du monde 2010, est en voie subtile de « blanchiment » progressif : outre Lloris, Gourcuff et Ribéry, pointent désormais Mexès, Réveillère et d’autres… » Président du district de la Côte d’Azur, Eric Borghini s’était ému de cette affaire des quotas : « C’est beaucoup plus grave que Knysna. » Et voilà ! « Knysna » était définitivement passé dans le langage courant, comme le « 1-7 » qui, au Brésil, après l’humiliation du mondial 2014 contre l’Allemagne, signifie que quelque chose dysfonctionne. En matière de honte nationale, de fiasco tricolore, le mot « Knysna » se hisse dans les commentaires au niveau de « la Bérézina ». Knysna deviendra jusqu’à aujourd’hui l’indice de référence et de comparaison qui mesure le degré de gravité des crises du foot français ! Et elles reprennent vite…
Samir « Ferme ta g… » Nasri
À l’Euro 2012, les Bleus de Blanc affichent leur quête d’une virginité nouvelle en étant véhiculé dans leur nouveau bus siglé « Un nouveau départ, un nouveau rêve, un même but ». Comme un exorcisme au drame sud-africain… Raté ! Lors du France-Angleterre (1-1), Samir Nasri célèbre son but, index sur sa bouche, en prononçant des mots injurieux à la presse française ( « Ferme ta g… », à Vincent Duluc de L’Équipe ?) Après le décevant Suède-France (2-0), le même Samir aurait vertement repris Alou Diarra ( « Reste poli ! » ) qui se plaignait du manque d’implication défensive de certains. Dans le vestiaire, à Laurent Blanc qui tance Ben Arfa pour usage de son portable, ce dernier réplique en lui reprochant de l’avoir sorti alors que des joueurs « plus nuls que lui » étaient encore sur la pelouse et il invite son coach à « le renvoyer chez lui s’il ne donne pas satisfaction ». Lors du piteux Espagne-France (2-0) en quarts, Ménez insulte l’arbitre et son capitaine Hugo Lloris… C’est le retour de Knysna ! Le règne du « Racaille Football Club » (titre du livre de Daniel Riolo, 2013) ! Même Marie-Claire, le magazine féminin, s’y met :« Face à la Suède, peu d’entre eux auraient fait l’effort de chanter la Marseillaise et ils n’auraient même pas prêté attention aux supporters à la fin du match. À 25 ans à peine, ils ont déjà tout : le succès, les millions, les belles voitures. » Et on ne parle même pas des buffets hallal à Clairefontaine…
Après le départ de Blanc qui laisse sa place à Didier Deschamps dès l’élimination face à la Roja, le bras séculier de la justice fédérale s’abattra sur Samir Nasri (trois matchs fermes de suspension) et Jérémy Ménez (un match). Hatem Ben Arfa et Yann M’Vila (remplacé lors d’Espagne-France sans serrer la main de son entraîneur ni de son remplaçant, Olivier Giroud) recevront un simple rappel à l’ordre. Ces quatre lascars ne toucheront pas de bonus. Les autres Bleus verront, eux, leur prime amputée de 25%. Le 8 novembre 2012, le récidiviste Yann M’Vila sera suspendu de toutes sélections en équipes nationales à compter du 12 jusqu’au 30 juin 2014. La cause ? Sa fameuse virée nocturne avec quatre coéquipiers dans une boîte de nuit parisienne, trois jours avant le crucial Norvège-France perdu (3-5) lors des qualifs de l’Euro Espoirs de 2013.
Raymond ré-ha-bi-li-té !
C’est aussi en cette fin novembre 2012 que sort le livre de Raymond Domenech, Tout seul. Un timing parfait ! En effet, les scandales de l’Euro 2012 lui donnent l’occasion de se disculper indirectement du désastre de Knysna : « La compétition m’a permis de réaliser que le football français était capable de rencontrer des problèmes… sans moi », écrit-il. Pour faire bonne mesure, il confesse sur beIN Sport : « J’aurais dû arrêter en 2008. La pression était trop forte. » Son opération réhabilitation marchera bien mieux que celle des Bleus de Deschamps, avec des ventes record de 200 000 exemplaires de son livre ! En octobre 2013, 82% des Français affirment en effet avoir une mauvaise opinion de l’équipe de France selon un sondage BVA-Le Parisien ! La Charte de bonne conduite des Bleus affichée à Clairefontaine ( « Être professionnel et exemplaire et le montrer par des attitudes ouvertes, souriantes et disponibles », sic) n’aurait donc servi à rien ? Le devoir d’exemplarité assigné aux footballeurs, bien plus lourd à porter que pour une classe politique française pourtant déconsidérée, les ravale désormais à chaque incartade au rang de boucs émissaires, responsables de tous les maux de la société.
Un mois après le sondage BVA, la qualification au mondial 2014 lors des barrages contre l’Ukraine (3-0) s’achève en une vibrante Marseillaisedes joueurs entamée au Stade de France. Cette communion fraternelle enterre, pense-t-on, Knysna pour de bon. Patatras ! On apprend le lendemain que Samir Nasri avait été « exclu » par le groupe avant l’Ukraine… Viendra ensuite l’affaire de la sex tape Valbuena-Benzema en octobre 2015 qui fera resurgir l’ombre des « bad boys des cités » du foot français, souvent « issus de la diversité ». Détail piquant : les vilains Benzema, Nasri et Ben Arfa ont souvent été présentés en ex-mutins de Knysna… alors qu’ils n’étaient même pas en Afrique du Sud ! En fait, depuis 2010, l’équipe de France de football est devenue malgré elle le baromètre du « vivre ensemble » à la française : au beau fixe avec les deux buts de Sakho face à l’Ukraine, ou à la pluie glacée avec l’affaire de la sex tape.
Deschamps, ou la revanche de France 1998 ?
Après un bel Euro 2016 où « Tonton Pat » (Évra) a fait figure de leader charismatique, les Bleus de Deschamps se couvriront de gloire à la Coupe du monde 2018 en battant en finale la Croatie à Moscou (4-2). Le capitaine Hugo Lloris pouvait brandir fièrement le trophée au ciel. Dernier survivant, avec Mandanda, du bus de Knysna, il a sans doute été le vrai héros de son équipe, réalisant à chaque match au moins un arrêt ultra décisif. En juin 2010, de nombreuses voix s’étaient alors élevées pour radier à vie de l’équipe de France tous les 23 mutins ! Et Hugo n’aurait jamais pu sauver la patrie lors de la campagne de Russie. Avec une deuxième étoile, Didier Deschamps en coach imperator a lavé pour toujours l’affront de Knysna ! Vraiment ? Flash back…
Le 17 février 2015, lors de l’émission de Canal + Conversations secrètes, il avait confié au micro de Michel Denisot à propos de la grève du bus : « Sans trahir de secret, la veille, je savais qu’il allait se passer quelque chose. » « Comment vous saviez ? », rebondit Denisot. « Je connais du monde. On arrive toujours à savoir ce qui se trame. Ils (les joueurs, N.D.L.R.) voulaient marquer le coup par rapport à ce qui s’était passé. J’aime bien savoir ce qu’il se passe dans la maison d’en face. » « Et vous n’avez pas pu faire quelque chose ? », s’étonne Denisot. « Non. De quel droit ? » tranche La Dèche, glacial. Didier Deschamps « savait » ! Il savait, mais il n’a rien dit, il n’a alerté personne… Dans Le Mondedu 17 juin 2015, Rémi Dupré enquêtera pour tenter de deviner qui avait bien pu informer l’actuel sélectionneur des Bleus, resté muet à ses sollicitations. Des témoignages convaincus, mais anonymes l’ont orienté sur la piste Jean-Pierre Bernès, agent alors de Didier Deschamps et Laurent Blanc, mais aussi de Squillaci, Planus, Alou Diarra et surtout de Franck Ribéry. Ce serait par ce dernier que Bernès aurait pu être informé de la grève à venir. Dans ce cas, l’agent n°1 du foot français « savait ». Mais lui non plus n’est pas intervenu pour empêcher la cata. Bernès ne lâchera rien au Monde, lui non plus : « J’ai découvert ça à la télé comme tout le monde, je n’étais pas en Afrique du Sud », avait-il déclaré, en mars 2014 sur la chaîne Sport 365… Le lundi 16 juillet 2018, le bus à impériale des Bleus champions du monde a descendu rapidement les Champs-Élysées. Trop rapidement se plaindront des supporters, gênés en plus par les fumigènes. La malédiction des autocars ?
Épisode 1 : Terminus, personne ne descend !Épisode 2 : Le show DomenechÉpisode 3 : Knysna 2010, autopsie d’un naufrageÉpisode 4 : Les « caïds immatures » et les « gamins apeurés » Épisode 5 : La vie après Knysna
Chérif Ghemmour