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  • Le fiasco de Knysna 2010
  • Épisode 3/5

Équipe de France – Le fiasco de Knysna 2010 – Épisode 3/5

Chérif Ghemmour
Équipe de France – Le fiasco de Knysna 2010 – Épisode 3/5

La Une de L’Équipe a fait tanguer un paquebot France déjà parti à la dérive. Obsédés par la chasse au « traître » et désireux de « faire quelque chose pour Nico », les 22 mutins déboussolés vont prendre le quart et foncer droit sur l’iceberg...

Le vendredi 11 juin, au Cap, les Bleus décrochent un nul correct face à l’Uruguay (0-0). Mais en interne le débrief est tendu. Anelka a déserté sa position en pointe, certains joueurs ne se trouvent pas avec Gourcuff. Thierry Henry, remplaçant entré à la 72e, ne se sent plus trop concerné au quotidien. Domenech écrit dans son journal de bord tiré de son livre Tout seul (novembre 2012) : « J’en ai eu plein le dos de leurs jérémiades »

Domenech-Anelka : les mots dits

Le jeudi 17 juin, la France affronte le Mexique à Polokwane pour un match pas encore décisif. À la mi-temps, le 0-0 laisse même espérer un deuxième point en deux matchs. Mais dans le vestiaire, le ton monte entre Nicolas Anelka et Raymond Domenech. Dans son livre Tout seul, ce dernier raconte l’altercation… Le sélectionneur reproche alors à l’attaquant de Chelsea de ne pas assez prendre la profondeur, ce que ce dernier nie catégoriquement à plusieurs reprises. Raymond poursuit :« Nico s’est remis à parler, mais à Ribéry, sans me regarder, comme si je n’étais pas là :« Il m’emmerde ! C’est quoi, ça ? Toujours moi. »Patrice Évra a alors essayé d’éteindre le feu qui couvait.(…)Mais Anelka ne s’est pas calmé et a lancé : « Enculé, t’as qu’à la faire tout seul ton équipe de merde ! J’arrête, moi. »Je n’ai pas tout entendu. La fin de la phrase m’a échappé dans le brouhaha. J’ai été moins choqué par l’insulte que par le tutoiement qui cassait une barrière, celle de la hiérarchie.(…)Anelka avait tué le groupe. »

Domenech réplique : « Ok, tu sors. » Gignac remplacera Anelka pour une deuxième mi-temps cauchemardesque. Le match qui s’achève sur un revers 2-0 quasi éliminatoire (vu que l’Uruguay a battu l’Afrique du Sud 3-0) dresse la synthèse du grand n’importe quoi instauré par Domenech et qui lui a explosé à la figure. Titulaire contre l’Uruguay, mais absent contre le Mexique, Gourcuff, flingué de fait pour le reste de la compète, a laissé sa place de milieu axial à un Ribéry qui penche à gauche. Tout en l’accusant dans son livre de rester dans son monde des Bisounours, Raymond avait sermonné Yoann en face à face : « En équipe de France, le pouvoir ne se donne pas, il se prend ». Tout faux, Raymundo ! Aimé Jacquet n’avait pas hésité à couver longtemps le jeune Zinédine Zidane, sacrifiant même Éric Cantona pour qu’il puisse rayonner en bleu…

Les larmes d’Aimé Jacquet…

Lors de ce Mexique-France, l’habituel coaching trop tardif de Raymond (Valbuena pour Govou à la 69e) s’est encore opéré « en réaction » . Soit après le premier but mexicain (64e), alors que son homologue Javier Aguirre avait déjà effectué ses trois changements à l’heure de jeu pour vraiment faire la différence. Abidal, latéral gauche que Domenech s’est entêté à associer à Gallas en défense axiale, a explosé sur les deux buts mexicains : hors-jeu mal joué et penalty provoqué. Le clash avec « Nico » puis les sourires après la défaite mexicaine de Gallas et Henry (qui ne s’était même pas échauffé à la mi-temps, privant Domenech de l’option de remplacement d’Anelka) sanctionnent sa gestion humaine désastreuse.« Raymond Domenech a trop composé avec les joueurs qui pouvaient le faire gagner et qui l’ont fait perdre », écrira Vincent Duluc dans Le Livre noir des Bleus.

À la sortie du stade, Aimé Jacquet, les yeux humides, s’épanche au micro de Canal Plus : « Le terrain a donné son verdict. Les Français ont été incapables de faire preuve d’orgueil de jeu, en équipe agressive, tentant tout. Et j’en suis très touché. » Ses larmes contenues semblent esquisser un mea culpa au choix du maintien de Domenech en juillet 2008. Par sa présence à Polokwane, Aimé est l’exception d’une gouvernance en déshérence : Le Graët était déjà reparti en Bretagne, Aulas est en vadrouille sur les stades du Mondial, Escalettes n’a que Laurent Blanc à l’esprit, tout comme Boghossian qu’il a imposé comme adjoint à Raymond comme gage offert aux anciens de France 1998. Jean-Louis Valentin, directeur délégué de l’équipe de France, est un énarque paumé dans cette galère… C’est dans ce contexte de désolation avancée que tombe la Une fracassante de L’Équipe du samedi 19 juin ( « Va te faire enculer, sale fils de pute ! » ), partiellement démentie, donc, dans les mots exacts, par Domenech. En fait, le camp français avait été informé de cette Une à 1h30 du matin, dans la nuit de vendredi à samedi. Au lieu d’actionner de suite une réunion de crise, Raymond était parti se coucher…

Chasse au « traître » et conjuration nocturne…

Le samedi matin, afin de faire face au scandale public, Domenech et Escalettes exigeront des excuses publiques d’Anelka sous peine d’exclusion. Il est alors prévu qu’il repartira à Paris dans l’avion de 14h30, ce samedi même ! Patrice Évra, subitement obnubilé par la recherche du « traître » (il soupçonne Thierry Henry), se propose, seul d’abord, puis avec quelques coéquipiers, de parlementer avec Nico. Mais les choses traînent en longueur et à 15h30, face au refus des excuses publiques, une décision conjointe de Domenech-Escalettes est prise de virer le fautif. Lors des tractations, Domenech rejette toute rencontre avec Nico au motif de son refus d’excuses publiques, préalables à tout dialogue. Ce « refus de dialogue » heurte certains joueurs plus désappointés par l’intransigeance du coach que de celle de leur coéquipier. La mèche vient de prendre feu… En fin d’après-midi, la conf de presse d’Escalettes et d’un Évra halluciné ( « le traître » ) entérine la sanction de renvoi avant que les Bleus obnubilés eux aussi par la recherche de la taupe ne se livrent à une séance d’entraînement. Au retour à l’hôtel, Nicolas Anelka est toujours là ! À la demande de Ribéry, Henry et Abidal, il obtient même de pouvoir dîner une dernière fois avec les potes… Après le repas, les adieux à Nico s’éternisent. Des conciliabules se tiennent entre des groupes de joueurs dans les salons luxueux du Pezula Resort. « Quelque chose de lourd se préparait, mais rien ne filtrait », écrira Raymond. La suite est contée par Rémy Dupré dans Le Monde du 17 juin 2015 : « À l’initiative des cadres, Ribéry et Évra en tête, les joueurs décident de« marquer le coup » en boycottant l’entraînement prévu le lendemain. » Dans Le JDD du 10 juillet 2010, Jérémy Toulalan raconte : « On a eu une discussion le samedi soir : personne ne s’est manifesté. Donc oui, tout le monde était d’accord.(…)Il n’y a pas eu de meneurs et de suiveurs. On est tous responsables à partir du moment où personne n’a rien dit. » Les mutins pensent alors à un communiqué, poursuit « Toul » : « Avec quelques joueurs, on a couché des idées pour expliquer notre démarche. Puis avec nos conseillers, on a essayé de mettre ça en forme pour être bien compris. » Comme la nuit ne porte pas conseil, la mèche ne s’éteindra plus…

Des Bleus en « carantaine »

Dimanche matin, à quelques heures de l’explosion, Ribéry la joue perso à Téléfoot. Francky fait le show. Comme Raymond l’a toujours fait. Ensuite, le sélectionneur est averti par Évra que « les joueurs vont faire quelque chose pour Nico ». Sans en dire plus. Dans l’après-midi, les joueurs se rendent en bus à l’entraînement. Robert Duverne remarque que les joueurs en baskets n’ont pas pris leurs crampons. Arrivé au Field of Dreams, la bombe éclate au moment où Évra, mains dans les poches de son bermuda Adidas, annonce à Domenech la grève de l’entraînement… Par mimétisme quasi filial, Évra en capitaine paumé a fini par être atteint de la paranoïa de Raymond. L’aversion des journalistes l’a consumé à son tour : « Comment cette chose a pu sortir dans la presse ? Écrire des trucs comme ça, on est où ? » avait-il éructé à la conférence de la veille. Raymond s’est encore trompé sur les hommes, comme il le confessera dans son livre : « Samedi matin, j’ai demandé à Patrice Évra qu’il me pardonne de lui avoir donné le rôle de capitaine. » Trop tard… Rentré dans le bus, Raymond tente plusieurs fois de raisonner le groupe. Escalettes bredouille quelques mots. En vain. Le confinement étouffant que Domenech a si souvent instauré s’est transformé en huis clos pathétique, rideaux tirés.

Personne ne moufte, même pas Thierry Henry, le « grand frère » qui doit tant aux Bleus et qui avait juré loyauté absolue à Raymond à Barcelone… « Personne n’a été menacé ou bloqué pour sortir, insistera Toulalan. Lors des réunions, cinq ou six joueurs s’exprimaient, mais tout le monde avait le droit à la parole. Celui qui voulait aller s’entraîner aurait pu descendre du car. » Mais personne ne descendra. À leur tour, les Bleus ont accaparé l’équipe de France. Pour mieux la jeter aux orties. Raymond fera le show une dernière fois en allant lire la lettre des mutins. Lui qui citait à tout bout de champ son livre de chevet Psychologie des foules de Gustave Le Bon (1895) se retrouve impuissant devant « la foule » des joueurs qui lui fait face. « 80% des équipes sont au bord de l’explosion », relatait Arsène Wenger lors de cette Coupe du monde 2010. Les Bleus n’étaient donc pas les seuls sur cette pente, « mais ils ont été les seuls à la dévaler jusqu’en bas, sous les regards du monde entier, en direct à la télé », résumera Vincent Duluc (Le Livre noir des Bleus). Lundi 21 juin, entraînement normal. Abidal refuse de jouer le dernier match. Mardi 22 juin, face aux Sud-Africains, les Bleus sont battus 2-1. La victoire uruguayenne face au Mexique (1-0) aurait donc obligé les Tricolores à gagner avec quatre buts d’écart pour passer en 8es. Derniers du groupe et éliminés ! Contre les Bafana Bafana, ils avaient été réduits à dix après l’expulsion de Gourcuff à la 25e et menés 2-0 à la 37e. Et Raymond avait encore tardé à réagir en effectuant ses trois changements seulement en deuxième mi-temps…

Épisode 1 : Terminus, personne ne descend !Épisode 2 : Le show DomenechÉpisode 3 : Knysna 2010, autopsie d’un naufrageÉpisode 4 : Les « caïds immatures » et les « gamins apeurés » Épisode 5 : La vie après Knysna

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