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Équipe de France : Le débat est Clauss
Il aurait logiquement dû se gaver de rayons UV à Marrakech la semaine prochaine. Au lieu de ça, Jonathan Clauss enfilera le survêt’ des Bleus, dormira à Clairefontaine et disputera probablement ses premières minutes sous le maillot national. Une page de plus dans un destin singulier où les choix tactiques du sélectionneur et l’intense campagne de lobbying autour du piston lensois auront fini par le conduire là où il n’espérait jamais mettre les pieds.
Le foot aime les symboles, le Racing Club de Lens en raffole. Quelques heures avant l’annonce par Didier Deschamps de la première sélection de Jonathan Clauss, les Artésiens disaient un dernier adieu à Maryan Wisniewski, légende Sang et Or la plus capée sous le maillot bleu (33 sélections). « Quand je me suis levé, j’ai compris que ce serait une journée particulière pour un club comme Lens, admet son directeur général Arnaud Pouille. Nous avons enterré le meilleur joueur de l’histoire de Lens, et le même jour, on apprend que nous avons un joueur sélectionné. Avoir un international français ici, c’est exceptionnel. » Et ça n’était plus arrivé depuis la Coupe du monde 2006 et Alou Diarra désormais adjoint de Franck Haise. Ne cherchez pas plus loin, c’est la belle histoire de cette fenêtre internationale, « une grande fierté », dixit Jean-Luc Clauss, le père de l’intéressé, au bureau avec ses collègues au moment de la conférence de Didier Deschamps. « C’est presque irréel quand on regarde son parcours. On restait toujours relativement modeste sur chaque étape franchie. Mais ce n’est qu’une sélection, attendons de voir comment il va gérer la chose s’il doit jouer. Les personnes compétentes ont estimé qu’il avait sa place en équipe de France, pourvu que ça dure. »
? Ce rêve bleu… @Djoninho25 n’y croit pas, c’est merveilleux ??#SiFierDEtreLensois pic.twitter.com/kKsh3ePuna
— Racing Club de Lens (@RCLens) March 17, 2022
La chance à Jo
Le paternel opte pour la sobriété, mais c’est surtout la fin d’un intense lobbying à rendre jaloux les plus grandes firmes. Depuis plus d’un an, le patronyme du piston droit, devenu coqueluche de Bollaert peu après son arrivée à l’été 2020, revenait en boomerang sur le sélectionneur. Pas un rassemblement ou presque sans qu’on lui serve du Clauss à toutes les sauces. Même l’oiseau bleu de Twitter avait fini par saturer après une vague de #ClaussEnEDF. En février 2021, le Lensois invoquait Jean-Claude Dusse tel « un grand philosophe français : oublie que t’as aucune chance, on sait jamais, sur un malentendu ça peut passer », et sa mère Josiane lâchait que le rejeton n’y croyait pas une miette. Puis en novembre dernier, juste avant les éliminatoires du Mondial 2022, c’est le sélectionneur lui-même qui éteignait les braises venues du bassin minier : « Je ne vais pas faire du buzz sur du buzz, sinon cela va être repris. Je regarde les matchs, donc forcément, je regarde beaucoup de joueurs, dont celui de Lens dont vous parlez. Après buzz, pas buzz, cela ne m’amène pas à sélectionner ou non un joueur. Il fait partie des joueurs que l’on suit, avec les caractéristiques qui sont les siennes. » Jean-Luc Clauss avait évoqué le sujet avec le fiston : « On avait l’impression qu’il y avait beaucoup de forcing pour qu’il soit en équipe de France. Lui disait simplement que si ça devait se faire, ça se ferait. Il a conscience que tout ce qu’il vit n’est que du bonus. » Son compère à Quevilly-Rouen Mathieu Duhamel parle d’un lobbying « qui a joué en sa faveur. Deschamps est gentil, mais parfois on a tendance à se raccrocher toujours aux mêmes personnes. Le fait que tout le monde lui parle de Clauss lui a mis la puce à l’oreille. C’est bien pour Jo et pour le foot. La place en équipe de France n’est pas destinée uniquement à des mecs qui ont percé juste après des centres de formation. »
Recalé de celui de Strasbourg à 18 ans, encore en D6 allemande il y a sept ans, distributeur de prospectus, pro à seulement 24 ans (à Quevilly-Rouen en Ligue 2), Clauss a crapahuté jusqu’à devenir l’un des pistons les plus efficients d’Europe (9 passes décisives et 4 buts cette saison), invaincu avec son club à chaque fois qu’il est décisif. « Je suis allé le voir lors de Lens-Lyon (1-1 le 19 février, NDLR), déroule Mathieu Duhamel. C’est un bon gars qui reste simple dans la vie et sur le terrain il va vite, est endurant et met des galettes. À son poste, il a ce qu’on recherche. Avec Alaeddine Yahia, on se disait que si on inversait Jo et Léo Dubois, il n’y aurait pas à crier au scandale. Je n’ai rien contre Dubois, mais le sélectionneur devait laisser une chance à Jo. »
La Coupe du monde, vraiment ?
Le Lyonnais plongé dans une mauvaise passe, Nordi Muikele n’étant pas appelé, une volonté de Didier Deschamps de conforter son 3-5-2, le replacement de Pavard (touché par le Covid) en défense centrale et la perspective d’une fenêtre internationale bien placée à huit mois de la Coupe du monde ont définitivement rendu ce choix utile. Il fallait tester Clauss, ce gars « avec une vraie résilience tout au long de sa carrière », juge Arnaud Pouille. Et qu’il se teste aussi, autant sur le terrain qu’en dehors « dans cette nouvelle aventure, estime Jean-Luc Clauss. Il devra faire ses preuves. Rien que le fait de côtoyer des grosses cylindrées, ce sera perturbant, mais Jonathan est très ouvert, il ne va pas se prendre la tête. » Mathieu Duhamel espère « au moins le voir jouer un match complet pour le jauger. Il devra aussi se faire respecter. Quand tu joues avec Benzema qui est au Real ou Mbappé et que toi, tu touches 60 000 euros par mois, il y aura peut-être un fossé. » L’ex-buteur caennais rêve en grand pour la potentielle doublure de Kingsley Coman dans le couloir droit :« Pourquoi pas la Coupe du monde ? Tout peut aller très vite. Quand je vois qu’Adil Rami a bien été champion du monde… Jo va devoir profiter de l’instant présent et penser, si ça se passe bien, à la suite. S’il veut perdurer à ce niveau, il lui faudra jouer la Coupe d’Europe régulièrement. » Et forcément être à l’heure à Clairefontaine, lui le retardataire par excellence lorsqu’il était en amateur. « Ne vous inquiétez pas, il n’y aura pas de problème de réveil la semaine prochaine », achève ironiquement son père.
Par Florent Caffery, à Lens