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Ambiance Randal
Un gros mois seulement après ses débuts en Allemagne avec l'Eintracht, Randal Kolo Muani a changé de dimension en se retrouvant pour la première fois dans une liste de Didier Deschamps. Une étape folle dans la trajectoire irrésistible de l'ancien Nantais, longtemps passé sous les radars, et qui vit définitivement une année 2022 mémorable.
« Kolo Muani a marqué combien de buts ? Neuf ? Et il a joué combien de matchs ? 37 ? Puisque vous vous intéressez beaucoup plus au foot que moi, sachez qu’un bon avant-centre doit marquer au minimum 15 buts, si ce n’est pas plus » : le 5 juin 2021 dans le cadre d’une interview crispante donnée à L’Équipe, Waldemar Kita sortait le lance-flamme à l’encontre de Randal Kolo Muani, 22 ans, et jouait comme d’habitude au plus malin. Le patibulaire Franco-Polonais n’aurait certainement jamais imaginé qu’un peu plus d’un an plus tard, la grande tige de Villepinte serait titulaire de l’Eintracht Francfort en Ligue des champions et surtout international A chez les Bleus. Il faut dire que depuis deux ans, l’ascension de l’attaquant est tout bonnement fulgurante, particulièrement au vu de ce qu’il avait traversé jusqu’ici avant d’être en mesure de toquer au portail du monde professionnel.
Foot-plaisir et Osgood-Schlatter
« Des profils comme Randal, à quatorze ans en Seine-Saint-Denis, j’en avais des dizaines et des dizaines », lâche Jérémy Klein, qui a eu le phénomène sous ses ordres dans les pépinières du FC Villepinte et de l’US Torcy, deux des clubs d’Île-de-France parmi lesquels RKM a fait ses gammes, lorsque le foot était alors pour lui une passion plus qu’un futur métier. À cause de son indolence, mais surtout d’une croissance brutale et de la maladie d’Osgood-Schlatter qui lui a flingué le genou et l’a éloigné des terrains pour près d’un an lors de ses années d’ado ( « J’avais une douleur inexplicable. Dès que je courais, j’avais mal » ), le potentiel du gamin a mis du temps à être exploité. « À quatorze ans, il faisait déjà un mètre 75, poursuit Klein. Et pour avoir fait des dizaines et des dizaines de séances de coordination avec lui, il ne respirait pas le garçon à l’aise avec le ballon, c’est après qu’il a commencé à se faire, à maîtriser son corps. On a toujours senti qu’il avait plus de potentiel que les autres, parce qu’il grandissait très vite, qu’il prenait très souvent la profondeur et qu’il était très doué techniquement, mais il n’était pas au-dessus dans la performance. » Si le crack originaire de RDC ne mettra pas les pieds dans un club professionnel avant ses 17 ans, c’est aussi à cause de bulletins scolaires décevants(1) et d’un langage corporel lui ayant longtemps porté préjudice. « C’est un joueur qui avait de grosses qualités, mais ne s’entraînait pas à fond, se remémore l’un de ses agents. Il était plus dans le foot-plaisir qu’autre chose. Quand on a commencé à s’occuper de lui à la fin de sa saison U17, on a fait de la préparation mentale, il en avait besoin. » Pour le foot, j’étais prêt à aller jusqu’en Australie ! J’étais déterminé. À quelques mois de sa majorité, RKM sait pourtant que l’horloge tourne et que ses qualités méritent une écurie pro, loin de son Villepinte et de son city-stade adoré. Cela aurait pu être Cremonese ou Vicenza en Italie, ou encore le Stade rennais ou l’En Avant Guingamp, quatre équipes chez qui il passe des tests non concluants vers l’été 2015, galérant pendant des mois – en s’entraînant aussi en parallèle à Neuilly-sur-Marne – avant que le FC Nantes ne lui ouvre ses portes pour de bon en décembre, à un âge où la plupart des futurs professionnels (comme ses ex-coéquipiers torcéens Alexis Claude-Maurice et Lamine Ghezali) sont déjà installés dans leurs clubs respectifs. « On a contacté le recruteur Odilio Gomis, Randal est allé à l’essai et en un jour, on nous a appelés pour nous dire « on le signe » », explique l’agent. « Pour le foot, j’étais prêt à aller jusqu’en Australie ! J’étais déterminé, nous narrait le joueur dans ces colonnes il y a moins d’un an. Quand mon père m’a dit de rentrer en France(pendant ses essais en Italie), j’ai carrément pleuré.[…]À Nantes, j’ai foncé tête baissée, c’était le paradis… Et ma dernière chance. »
« Il avait cette nonchalance des joueurs créatifs, intuitifs, qui ne sont pas passés par un centre de formation, pose Pierre Aristouy, son coach pendant trois saisons chez les jeunes pousses jaune et vert. Il fallait travailler sur la constance, la durabilité des performances et de l’exigence. C’était sa façon d’être, de jouer, il avait cette capacité à déclencher d’un coup, à inventer quelque chose, et bien souvent à faire la différence. » Cette dernière chance, le Villepintois va pourtant devoir s’accrocher pour pouvoir la saisir, entre la concurrence d’Élie Youan en jeunes, le défilé d’entraîneurs ne lui laissant pas sa chance en équipe première (Sérgio Conceição, Claudio Ranieri, Miguel Cardoso, Vahid Halilhodžić), l’humiliation signée Vahid après son unique titularisation pro en 2018-2019 ( « Pourquoi j’ai choisi de le titulariser ? Entre moi et lui, je l’ai choisi lui. Je n’avais pas d’autres solutions » ) et son prêt à l’US Boulogne en troisième division lors de l’exercice 2019-2020 : Kolo Muani est un joueur dont on tombe amoureux en un regard, et Aurélien Capoue – directeur sportif boulonnais – n’a pas échappé à la règle au stade municipal de Vitré, le 18 mai 2019 lors d’un match de National 2, faisant ensuite le forcing pour obtenir la venue du feu follet pour quelques mois.
« On lui a demandé d’arrêter d’être un intermittent du spectacle »
Au grand dam, à l’époque, de Pierre Aristouy, qui pousse alors déjà – tout comme le directeur du centre Samuel Fenillat et le recruteur Matthieu Bideau – pour que son protégé s’invite en Ligue 1 après un titre de champion avec la réserve, en compagnie d’Imrân Louza notamment : « Avec le recul, ce prêt lui a servi sur le plan humain et dans son approche du football. On a tous beaucoup poussé auprès des entraîneurs pros qui se sont succédé à Nantes pour qu’ils lui fassent confiance, et après, c’est lui qui a fait le boulot. Il a réussi à modifier certaines choses pour devenir un compétiteur hors pair. Mais je reste convaincu qu’après cette année formidable avec la réserve, il aurait déjà pu intégrer l’équipe pro. » Sa pige au stade de la Libération, bien que très remarquée (trois pions, deux passes dé et trois penaltys provoqués en quatorze apparitions) avait pourtant sacrément mal débuté, avec deux cartons rouges reçus sur ses cinq premiers matchs. « Quand il s’est pris les deux rouges coup sur coup, on lui a demandé d’arrêter d’être un intermittent du spectacle, de disparaître à certains moments et de ne plus toucher le ballon, se souvient l’agent. On lui a dit : du premier au dernier ballon, il faut que tu choques la tribune, que les gens se disent que tu n’as rien à faire ici. » C’est devenu très rare, des joueurs qui à 17 ans n’ont toujours pas été engagés dans des centres de formation, et qui finissent internationaux. La suite est un conte de fée : révélation en L1 dès ses premiers matchs sous Christian Gourcuff, convocation en équipe de France espoirs, idylle sur le terrain avec Ludovic Blas, démonstration au Parc des Princes en mars 2021, Jeux olympiques, saison 2021-2022 à treize réalisations et sept offrandes toutes compétitions confondues, un bon nombre de défenseurs de l’élite couchés, récital jusqu’à Saint-Denis et Coupe de France soulevée, le départ de Nantes libre de tout contrat en guise de pied de nez aux Kita, puis la régalade en Bundesliga et le débarquement au château de Clairefontaine en ce mois de rentrée. « En arrivant à Nantes, il avait ce côté léger, il ne se prenait pas trop la tête, rembobine Aristouy. Il aimait le foot, avait envie de jouer et était agréable, mais ça n’était pas quelqu’un qui faisait tout pour être encore plus professionnel. Des joueurs comme ça, il y en a beaucoup, qui échouent à cause de cela. Là où lui a été très fort, c’est qu’il a réussi à modifier cela. Avec tous les scouts qu’il peut y avoir, et notamment en région parisienne, c’est devenu très rare, des joueurs qui à 17 ans n’ont toujours pas été engagés dans des centres de formation, et qui finissent internationaux. » Une juste récompense, estime son agent, qui, comme beaucoup, n’imaginait pourtant pas une convocation aussi rapide : « Sa signature en Allemagne a été annoncée début mars, personne ne comprenait le timing, c’est le club de Francfort qui a décidé de le faire pour lancer son recrutement. Tout le monde se demandait si Randal allait être concentré, focus sur la fin de saison. À partir du moment où il a signé, il s’est libéré d’un poids et il a monté d’un niveau, à l’image des matchs contre Paris et Monaco, ou de la finale de Coupe. »
? Randal Kolo Muani, sur une éventuelle sélection pour la Coupe du monde : « C’est dans un coin de ma tête, ce sera à moi de prouver à l’entraînement et quand je vais retourner dans mon club » pic.twitter.com/9ceGSMez6w
— L’ÉQUIPE (@lequipe) September 19, 2022
Le FC Nantes, via ses communications officielles, n’a pas eu l’élégance de saluer publiquement la convocation en Bleu de son ancien poulain – au contraire d’Alban Lafont quatre jours plus tard – et c’est bien dommage : l’attaquant est sans nul doute le plus gros crack sorti par la maison jaune depuis une bonne grosse quinzaine d’années et un certain Dimitri Payet, lui aussi recueilli sur le tard à la Jonelière et « uniquement » post-formé à Nantes. Et même si le FCN ne sort pas des Randal Kolo Muani tous les ans, l’usine à champions locale, si réputée par le passé, profite d’un léger retour de hype en équipe de France, ayant récemment été représenté par Léo Dubois ou Jordan Veretout. « Ça prouve que la formation à Nantes fonctionne encore très bien, sourit Aristouy. On sait former des joueurs jusqu’à ce qu’ils atteignent le haut niveau, en passant après par d’autres clubs plus huppés et qui jouent des compétitions européennes. » Et Didier Deschamps a peut-être même déjà un œil sur Quentin Merlin, qui sait.
Par Jérémie Baron
Propos recueillis par JB, sauf mention. Ceux de Randal Kolo Muani tirés d'une interview pour Sofoot.com en octobre 2021.
(1) Dans l'interview pour Sofoot.com : « Moi, ce n'était que foot. L'école... J'y allais, mais je ne parlais pas en classe. J'étais dans mon coin, j'attendais que ça se finisse. Mon père me le rappelait : "Il y a l'école." D'ailleurs, quand je faisais des tests, ils demandaient les bulletins : le terrain ça allait, mais le bulletin ça n'allait pas. »