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Enzo Di Santantonio : « Je suis tout l’inverse du français d’origine italienne »

Propos recueillis par Valentin Pauluzzi
Enzo Di Santantonio : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Je suis tout l’inverse du français d’origine italienne<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Formé à Grenoble et Sedan, ce milieu de terrain de vingt et un ans évolue à Mantova en D3 italienne depuis maintenant trois saisons après un bref passage par le Genoa. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, il ne souffre d'aucun dédoublement de personnalité et est même très lucide sur la vie qu'il mène.

Avec un nom qui fleure bon les oranges de Sicile, on se dit que c’était ton destin de finir en Italie. Quelle est l’histoire de ta famille ?Mon arrière-grand-père est justement né en Sicile et est parti en Tunisie, où mon grand-père a vu le jour et vécu jusqu’à l’âge de dix-huit ans. Au moment de l’indépendance, il est venu sur Toulon où s’est installée ma famille. Ce sont donc des origines assez lointaines. Je n’ai jamais connu ma famille sicilienne, on a perdu les contacts. En revanche, j’ai des cousins sur Milan.

Tu es du genre à afficher à fond tes origines ?Absolument pas, je suis tout l’inverse, j’ai dû avoir une fois le maillot de l’Italie, car on me l’avait offert. Je suis un Français comme un autre avec des origines que je ne connais pas. Je ne me suis jamais pris pour un Italien, d’ailleurs j’ai appris la langue au collège en LV2.

Et tu penses quoi de ceux qui revendiquent à fond leur italianité ? Chacun fait ce qu’il veut hein, mais j’ai du mal à concevoir cela, la plupart ont juste un nom de famille, n’y sont pas forcément déjà allés. Mais bon, y a des spécimens partout.

Et du coup en 2006 ?À fond derrière la France et quelques larmes de versées…

Mais tu as le double passeport ?Je suis en train de faire les démarches, car mon club a essayé en Italie, mais ce n’est pas possible, il faut forcément que je passe par la France. J’ai payé 200 euros pour monter un dossier et j’ai le livret de famille de mes aïeux et même le passeport de mon arrière-grand-mère née à Trapani. J’en ai parlé à mon grand-père, ça lui a fait énormément plaisir. Du coup, je pourrai être sélectionnable dans deux pays, moi je suis footballeur avant tout, si l’Italie m’appelle, j’accepte, mais je préfère évidemment les Bleus.

Le 21 novembre 2015, contre Feralpi Salò, tu es entré sur le terrain avec un drapeau tricolore après les attentats de Paris.J’en avais parlé à mon team manager, je voulais faire un geste, en tant que Français, c’était à moi de le faire. Il y a eu une minute de silence et j’ai mis le drapeau au centre du terrain.

Est-ce plus compliqué de voir son pays partir en vrille quand on est à l’étranger ?C’est particulier et c’est surtout difficile à expliquer à mes coéquipiers italiens qui m’ont posé plein de questions au moment des faits. Certains comprennent, d’autres moins. Ils ne sont pas confrontés au communautarisme, ils ont donc des préjugés différents sur l’immigration et considèrent souvent qu’on se fait « manger » par les immigrés, alors que les auteurs des attentats sont généralement nés dans le pays qu’ils attaquent.

Vu que tu n’as jamais fantasmé sur tes origines, tu ne t’attendais à rien de particulier en venant vivre en Italie, non ?

J’ai commencé par Gênes et ce n’est pas très différent de Toulon : le mistral, le port, même la nourriture…

Moi, j’ai commencé par Gênes et ce n’est pas très différent de Toulon : le mistral, le port, même la nourriture… Là où j’ai été surpris, c’est plus concernant les problèmes de gestion des clubs, la structure, les payes, le professionnalisme, enfin, c’était le cas au Genoa.

Et comment tu y as atterri en 2013 ?On disputait la finale de Gambardella avec Sedan contre Bordeaux, le club ne pouvait pas proposer de contrats de stagiaire, car il était sur le point de faire faillite. J’avais quelques contacts en France, mais je suis parti faire un essai de deux jours à Gênes où on me propose un contrat pro. En plus, mon pote Johad Ferretti venait d’y passer, donc j’ai pu me renseigner auprès de lui.

Il te promet quoi le Genoa à ce moment-là ?Un bon projet et un contrat de deux ans. Mais c’est l’Italie, beaucoup de promesses, peu d’actes. Déjà, à cause de retards administratifs, j’ai mis six mois à signer ce contrat pro d’un an et demi. Je suis prêté au bout d’un an à Mantova où je dispute tous les matchs, on discute donc avec le Genoa pour resigner trois ans, tout était prêt, mais ils m’appellent trois jours avant : « Enzo, finalement, on ne fait plus signer personne. » De toute façon, c’est un club qui a des problèmes d’argent. J’ai été pris de court, les prépas physiques étaient sur le point de recommencer et j’ai à peine eu le temps de me retourner. Je suis donc revenu à Mantova pour signer deux ans, je suis d’ailleurs en fin de contrat.

Bon au Genoa, tu as tout de même l’opportunité de fréquenter un certain Gasperini.Je m’entraînais deux fois par semaine avec lui. Il a un style de jeu très particulier, tout est « programmé » , tactiquement c’est très fort, comme Juric que j’ai eu dans la foulée et qui est le même à quelques trucs près. Ses idées ne sont pas aimées de tous et il a un caractère particulier avec beaucoup de sautes d’humeur, mais le Gasp’ est un excellent coach.

Tu évolues donc à Mantova depuis trois ans. Que peux-tu nous dire sur la ville et le club ?Une ville médiévale, chargée d’histoire, il n’y a pas énormément de choses à faire, mais on y vit bien. Concernant le club, la première année, il y avait l’équipe, le staff et quasiment personne d’autre. La seconde, la SDL est arrivée avec des gros moyens, mais finalement on se sauve aux play-out, et ils ont revendu le club en janvier à des entrepreneurs romains. Depuis, ça ne se passe pas trop mal.

Tu arrives à faire abstraction de tous ces changements de propriétaires ?

En Italie, n’importe qui peut débarquer. À un moment, un gars avec 13 000 euros sur son compte en banque voulait entrer au club… On a toujours peur des banqueroutes, d’autant que moi, j’ai donné en France entre Grenoble et Sedan…

On est réticent, on ne sait pas ce qui arrive. En Italie, n’importe qui peut débarquer. À un moment, un gars avec 13 000 euros sur son compte en banque voulait entrer au club… On a toujours peur des banqueroutes, d’autant que moi, j’ai donné en France entre Grenoble et Sedan. Et encore, la loi française fait qu’on m’a payé le restant de mon contrat, mais ici les assurances sont moins efficaces. J’ai un coéquipier qui vient de récupérer 5 000 euros sur les 40 000 partis en fumée, et ce, cinq ans après.

Depuis peu, tu côtoies Sodinha, un Brésilien hyper talentueux, mais constamment en surpoids.Il est phénoménal ! Je n’avais jamais vu un joueur aussi fort balle au pied, il aurait pu faire une meilleure carrière s’il avait été mieux entouré.


Sais-tu qui est le grand-père de ton coéquipier Filippo Boniperti ?Bien sûr, c’est un grand ami à moi, j’ai connu sa famille, mais pas Giampiero (Mr Juve, ndlr). Filippo est un super gars, simple, humble, il a la tête sur les épaules et ne se la raconte pas. Il ne faudrait que des gars comme lui dans ce milieu.

Mantova est dans le groupe B avec des ogres comme Venise et Parme. Ça ne fausse pas un peu la compèt’ ?Oui, ils n’ont rien à voir avec la Lega Pro, mais bon c’est une logique implacable, plus t’as des moyens, plus t’as d’ambitions. On a besoin de clubs comme ça, malheureusement je n’y joue pas (rires). Tu es bien placé pour le savoir, être footballeur en D3 italienne, c’est finalement très précaire. Tu vis ça bien ?

Niveau salaire, ce n’est pas astronomique, c’est même pas évident de mettre de l’argent de côté. Une fois que tu payes le loyer, les charges, le crédit de la voiture que tu as achetée pour pouvoir de temps en temps rentrer chez toi, il ne reste plus grand-chose.

Il faut se vider la tête, apprendre à vivre au jour le jour. Niveau salaire, ce n’est pas astronomique, c’est même pas évident de mettre de l’argent de côté. Une fois que tu payes le loyer, les charges, le crédit de la voiture que tu as achetée pour pouvoir de temps en temps rentrer chez toi, il ne reste plus grand-chose. On a une vie correcte, mais pas celle que tout le monde pense. Mes parents qui bossent à la mairie, ils ont 1 500 euros qui rentrent chaque mois et ils peuvent gérer comme ils veulent. Si ça se passe mal pour moi, je n’ai pas de plan B.

Le fléau en Serie C, c’est les matchs arrangés, car des gars mal payés sont des cibles faciles.J’en parlais avec mon agent récemment, pour le moment je n’avais rien vu, rien entendu. D’autant qu’on peut se faire suspendre pour non-dénonciation même si on n’a rien fait.

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Propos recueillis par Valentin Pauluzzi

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