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Entretien croisé entre Arsène Wenger et Christian Jeanpierre pour la sortie de « Arsène Wenger : Invincible »

Propos recueillis par Andrea Chazy
Entretien croisé entre Arsène Wenger et Christian Jeanpierre pour la sortie de «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Arsène Wenger : Invincible<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Diffusé dimanche soir sur Canal+ pour la première fois en France, le documentaire Arsène Wenger : Invincible retrace l’aventure - et notamment la légendaire saison 2003-2004 où Arsenal n’a pas connu la défaite en Premier League - du manager alsacien à la tête des Gunners. Une manière pour Christian Jeanpierre et Gabriel Clarke, les deux réalisateurs, de raconter le destin et la vie d’un homme qui a marqué de son empreinte l’histoire du football anglais. Entretien croisé entre un sujet pas comme les autres et le coréalisateur français.

Pourquoi était-ce le bon moment de faire ce documentaire ?Christian Jeanpierre : On a commencé à travailler dessus en septembre 2020, une éternité. On a pris dans la gueule le Brexit – qui a été effectif quelques mois plus tard – et aussi la Covid qui a compliqué le tournage. J’estimais depuis un moment qu’Arsène méritait un documentaire, car il a beaucoup de choses à dire. On ne le surnomme pas « Le Professeur » pour rien. Encore fallait-il parvenir à le convaincre. Arsène Wenger : Au début, c’est vrai que je n’étais pas très enclin à le faire. Mais mon expérience à Arsenal était terminée, j’avais du temps à y consacrer, et Christian m’a convaincu.CJP : La bonne porte d’entrée, c’était de lui dire : « Écoute Arsène, tu n’aimes pas parler de toi, mais tu as quand même fait un truc exceptionnel dans ta carrière : tu as été invincible durant la saison 2003-2004 avec Arsenal. On pourra raconter cette folle saison en ouvrant quelques tiroirs sur ta vie pour bien comprendre comment tu es devenu le manager reconnu que tu es. »
AW : Je me suis aussi dit que j’allais peut-être découvrir des choses que j’ignorais. Ce fut le cas. Par exemple, j’ai découvert que le travail pour arriver à ce résultat-là avait commencé deux ans auparavant. Que cela met parfois du temps à mûrir dans le cerveau des joueurs, cette volonté de faire cet exploit-là.CJP : Je savais Arsène généreux, mais je ne pensais pas qu’il irait aussi loin dans ce qu’il nous a donné. Je l’ai obligé à faire quelque chose qu’il déteste, c’est de se replonger dans le passé. Parce que lui, il n’y a qu’une seule chose qui l’intéresse : c’est demain.

Arsène sait ce que c’est que de se lever à 5 heures pour bosser dans les champs.

Qu’est-ce que cette plongée dans le passé a réveillé comme émotions ? Est-ce qu’il y avait, par exemple, des passages qu’Arsène avait oubliés ?CJP : Il n’avait rien oublié, et c’est ça que je trouve dingue ! C’est fou de voir à quel point son cerveau est capable d’imprimer les moindres détails. Cela pouvait aller de simples matchs contre Liverpool ou Aston Villa à des propos tenus par Sir Alex Ferguson en conférence de presse d’après-match. C’est un ordinateur, mais un ordinateur charismatique et généreux.AW : J’ai beaucoup de tendresse pour tous les joueurs qui ont participé à ce projet, pour le stade de Highbury… Je ne suis effectivement pas fan de me replonger dans le passé, mais par rapport à l’expérience humaine, c’est sympa de revoir la classe, l’intelligence et la générosité de ces joueurs. On garde une relation fusionnelle avec eux. Il faut quand même dire que c’était l’époque de la stabilité, moi j’étais stable, les joueurs comme Henry, Vieira, Pirès restaient longtemps… Il y a une relation de confiance qui s’établit. CJP : Il y a aussi son instinct tribal, celui d’être toujours en action et de vouloir gagner les matchs, qui a rejailli. Quand on a tourné dans un grand studio à Ivry, on lui a demandé de marcher devant un écran qui faisait vingt mètres en largeur pour dix de hauteur. Il projetait des images de Manchester United-Arsenal (0-0), celui de la fameuse saison 2003-2004 où Ruud van Nistelrooy expédie son penalty sur la barre et… Arsène était encore dans le match ! (Rires.) Il avait totalement oublié la caméra, il était sur le terrain.
AW : Je me suis rendu compte combien cela est au fond de toi, enfoui, et que ça ne demande qu’à ressortir. Tu es exactement dans le même état émotionnel quand tu revois les images alors que tu pensais avoir enfoui ça à jamais.

Dans ce documentaire, on parle notamment de Duttlenheim, ce village alsacien dont vous, Arsène, êtes originaire. En quoi cet environnement a participé à forger votre caractère ?AW : Le contexte émotionnel dans lequel on évolue jeune dicte notre vie. La vie d’un village de petits paysans à l’époque, c’était le culte de l’effort. L’éthique collective était présente, car les gens s’entraidaient beaucoup.CJP : Arsène sait ce que c’est que de se lever à 5 heures pour bosser dans les champs. Je viens du monde paysan et, pour moi, c’était fondamental de montrer cela, car quand tu le vis, que tu portes des trucs qui pèsent plusieurs dizaines de kilos à l’orée du jour, que tu en baves, mais que tu fermes ta gueule, tu as le sens de l’effort. AW : Ce sont des valeurs fortes, auxquelles il faut également rajouter le dépassement de soi. Le fait de savoir souffrir. Il faut recontextualiser : je suis né juste après la guerre, en 1949. C’était une période où les gens ne remettaient pas en cause la valeur travail, car tout était axé là-dessus. Et puis, l’influence du foot était déjà importante, car le restaurant de mes parents était le siège local du club de foot du village.CJP : Je dois dire que je savais Arsène polyglotte, – puisqu’il parle français, anglais, allemand, japonais et qu’il a même quelques notions d’italien -, mais j’ai découvert pendant cette séquence qu’il n’avait pas oublié ses racines puisqu’il maîtrise également l’alsacien. Dans le doc, il dit à un moment donné cette phrase : « C’est parce que l’on sait d’où l’on vient que l’on sait où l’on va » et je trouve qu’elle lui correspond vraiment. Cet attachement profond à l’Alsace, ce n’est pas du fake.

Je prends seulement un peu de recul maintenant, car je n’ai jamais pris d’année sabbatique. C’est une « One-way life » où la compétition te mange petit à petit. Cela fait un peu peur, parfois.

On voit à travers le documentaire que votre vie est une histoire de passion. Avec les joies, les peines, les excès, les failles qui en découlent. Qu’en pensez-vous ?AW : Je prends seulement un peu de recul maintenant, car je n’ai jamais pris d’année sabbatique. C’est une « One-way life » où la compétition te mange petit à petit. Cela fait parfois un peu peur. En plus, c’est un monde qui n’est fait que d’hommes. Tu es donc à la fois dans un monde unisexe et dans un univers où règne la compétition de haut niveau. Ce n’est pas la vie réelle.
CJP : Le but, c’était de montrer ce qu’était la vie d’un homme. Personne n’est infaillible, on a tous nos failles et nos faiblesses, mais on doit également tous être fiers de nos petits parcours. Même si ce ne sera pas à la hauteur de ce qu’a fait Arsène Wenger. Quand ces gens-là acceptent de se raconter avec cette pudeur, cela donne de vrais moments de vérité.AW : (Il marque une pause.) Tu te rends compte finalement que tout tient à très peu de choses. Je le dis dans le film : « Notre vie dépend de millimètres. » Un peu plus ou un peu moins, cela change nos vies.

Votre passage en Angleterre a marqué le football du pays qui l’a créé. À l’inverse, qu’est-ce que l’Angleterre a changé dans votre vie, Arsène ?AW : Qu’est-ce que l’Angleterre a changé chez moi ? Je n’en sais trop rien.CJP : La conduite à gauche ! (Rires.) Plus sérieusement, ce qui est fou, c’est qu’Arsène a eu une voiture autonome avant tout le monde : elle était programmée pour faire la maison-Highbury-le centre d’entraînement-la maison. Sa vie était faite autour du terrain d’entraînement, du stade et de sa baraque.
AW : Si, je crois pouvoir dire que mon passage là-bas m’a endurci, car j’ai dû me battre pour m’imposer. J’aime l’Angleterre, j’ai du respect pour la passion qu’ils ont pour le jeu. Ils sont tellement passionnés que cela peut faire naître en toi l’idée qu’il n’y a rien qui compte plus que le foot. C’est un pays qui a un profond respect pour ses traditions, qui est créatif, courageux et qui n’a pas peur d’afficher ses différences.

À Arsenal, vous avez formé un grand nombre de champions. Quelle est votre plus grande réussite ?AW : La réussite d’un entraîneur à ce niveau-là, par rapport aux joueurs, c’est de les amener le plus proche possible de leur maximum. De leur permettre de se développer. C’est là que le métier d’entraîneur est extrêmement beau : tu peux influencer la vie et la trajectoire des gens dont tu t’occupes. Quand on y arrive, c’est une très grande satisfaction.CJP : Un entraîneur doit être patient, et il faut laisser du temps au temps. On est dans un monde où l’on juge les gens de manière péremptoire. Il faut avoir du recul pour laisser du temps aux joueurs. Il faut que tout le monde prenne du recul : si on se fiait à la culture de l’instant, Patrick Vieira ne serait jamais devenu capitaine d’Arsenal, Robert Pirès aurait toujours eu les mêmes doutes, Thierry Henry ne serait pas devenu Thierry Henry… La grande leçon de tout ça, c’est qu’Arsène sait détecter les très gros potentiels. Derrière, il ne les lâche pas.

Il y a beaucoup de respect aujourd’hui entre Ferguson et moi, nous sommes apaisés et relâchés. Le voir dans le documentaire complimenter cette saison, c’est un compliment de premier ordre.

Comment mesurer l’impact de la rivalité avec Sir Alex Ferguson ? Que ce soit sur vous personnellement comme sur les succès de l’équipe au début des années 2000 ?AW : Elle était souvent très limite, cette rivalité. Avec le recul, je crois que le temps est un bon médecin. (Sourire.) Il y a beaucoup de respect aujourd’hui entre nous, nous sommes apaisés et relâchés. Nous ne sommes plus dans la compétition, donc tout se passe bien. Le voir dans le documentaire complimenter cette saison, c’est un compliment de premier ordre. Car lui-même était à la tête de grosses équipes, il sait ce que c’est.
CJP : Je trouve que cette rivalité avec Ferguson a fait sortir de lui son caractère primaire et animal. On présente souvent Arsène – à juste titre – comme un chantre du beau jeu, mais il ne faut pas se tromper : Arsène est un lion. Aujourd’hui, c’est un vieux lion, la crinière a un peu changé, c’est vrai. Mais il a un instinct de compétition terrible. Encore aujourd’hui, si tu es devant lui dans n’importe quel jeu, il va vouloir te bouffer. Son rapport à Sir Alex le montre bien : même quand il avait la presse contre lui, face à l’adversité, face à Manchester, il avait ce truc de ne rien lâcher. Il n’y a pas de place pour les faibles dans le sport de haut niveau.AW : Je crois que c’est la récompense de la constance. Le haut niveau, c’est la chose la plus compliquée à atteindre. On voit souvent qu’une équipe fait un exploit, puis qu’elle perd trois jours après. Ne pas céder le jour où l’on est moins bien, où les circonstances sont défavorables, c’est très important.

Parmi les nombreuses thématiques, il y a aussi celle de l’impact de cette équipe d’Arsenal sur la jeunesse française qui a grandi dans les années 2000. Vous en aviez conscience tous les deux ?AW : Pas du tout, je m’en rends compte aujourd’hui. C’est aussi le cas dans le monde entier. Je crois qu’Arsenal a marqué les gens à ce moment-là aussi, car c’était un club fondé sur des valeurs d’ouverture, qui donnait sa chance à la jeunesse. Je dirais que ce qui comptait plus, c’était d’engendrer ces valeurs plus que ce que vous alliez gagner.CJP : La trace laissée est indélébile. Arsenal était un club très populaire en Angleterre, il en a fait un club international avec de vraies valeurs. Je suis allé avec lui en Afrique du Sud, au Japon, dans des coins reculés, et Arsène incarne cet esprit lié à Arsenal.

On se rend compte de la beauté du métier quand la peur de perdre disparaît. C’est un sentiment que je suis reconnaissant d’avoir pu ressentir durant cette période.

Comment envisager le futur d’Arsène Wenger ?CJP : J’ai horreur de répondre à la place des autres, mais je vais faire un effort. J’ai une certitude : il a l’âme d’un joueur de 20 ans, il a les yeux qui brillent et il va faire encore de grandes choses dans le foot. Pour reprendre son expression favorite : c’est écrit sur la peau du lapin !AW : Aujourd’hui, je suis à la tête d’un programme qui s’appelle « À chacun sa chance » à la FIFA qui a pour but de développer le football dans certains pays. Vous savez, il y a toute une jeunesse dans le monde qui n’a pas le loisir de jouer dans un football organisé et de bénéficier d’un entraîneur. Je sais bien ce que c’est, car j’ai eu mon premier coach à l’âge de 19 ans. Cela a été un peu miraculeux pour moi quand on voit la suite de ma carrière et de ma vie dans le football, mais il faut prendre conscience que beaucoup de jeunes dans le monde n’ont pas la chance de jouer le samedi et le dimanche comme nos enfants ici, en France, peuvent le faire. C’est mon objectif numéro un.

Pour conclure et faire écho au titre du film, Arsène, vous êtes-vous déjà senti invincible ?AW : Jamais, mais j’étais heureux pendant cette période d’aller au stade voir jouer mon équipe sans aucune pression. On se rend compte de la beauté du métier quand la peur de perdre disparaît. C’est un sentiment que je suis reconnaissant d’avoir pu ressentir durant cette période. Tu n’as plus peur, le stress disparaît et tu te demandes même pourquoi tu es payé pour assister à cela. Entraîneur, c’est un métier où l’on est trop bien payé quand on gagne et pas assez quand on perd. Cela peut paraître paradoxal de ne plus avoir peur à ce moment-là, alors qu’au fil des mois l’exploit se rapproche. Mais, en réalité, cette peur n’était plus là parce que la cicatrice de la défaite avait disparu. Quarante-neuf matchs sans défaite (en championnat, NDLR), vous vous rendez compte ? C’est un an et demi. On dort mieux pendant cette période, je peux vous l’assurer.

Dans cet article :
Jack Porter, plus jeune joueur d'Arsenal à commencer un match
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Propos recueillis par Andrea Chazy

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