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Jonathan Varane : « Dans ma carrière, ça n’a pas été linéaire »
Centre de formation de Lens puis l’Espagne et enfin l’Angleterre... Jonathan Varane a quasiment tout fait comme son demi-frère, Raphaël. Sauf que lui n’est pas à la retraite, mais bien encore sur les terrains, à 23 ans, avec les Queens Park Rangers en D2 anglaise. Entretien fleuve avec un gars qui a la Martinique dans le sang.
Ton arrivée à Queens Park Ranger est encore toute fraîche. D’ailleurs, tu nous accordes cet entretien juste à la sortie d’Ikea…
Tout à fait. Je ne suis quand même pas dans les cartons, mais il faut meubler la maison maintenant. Et j’aime bien faire les choses petit à petit…
Comment se passe la vie à Londres, d’ailleurs ? C’est une ville que j’apprécie, sincèrement. Ma maison, je l’ai toutefois choisie en dehors de la ville. Il y a beaucoup de verdure autour de chez moi, c’est agréable. À Londres, tu sens qu’il y a de la vie. J’ai pas encore tout fait, ce n’est pas ma priorité, mais j’ai déjà vu quelques petites choses quand même : London Eye, Big Ben, Tower Bridge…
Comment tu t’es retrouvé dans ce club mythique des Queens Park Rangers ? J’avais cette envie de voir autre chose que l’Espagne. QPR était très intéressé et même depuis l’hiver précédent. Gijón n’était pas ouvert à ce moment-là pour me laisser partir… L’Angleterre m’attirait, il y a un très beau projet ici et ça s’est fait comme ça.
Il paraît que l’Atlético de Madrid s’était renseigné sur toi, c’est vrai, ça ? Je confirme. Il y a eu des contacts durant l’été 2023. Quand t’entends ça, t’es fier. Je suis resté lucide, il n’y avait rien de concret, mais ça t’encourage à travailler quand tu tapes dans l’œil d’un club comme ça…
En ce qui concerne QPR, vous êtes derniers du championnat. Qu’est-ce qui coince pour l’instant ? C’est vrai que c’est alarmant, mais sincèrement, j’ai beaucoup d’espoir. On a une bonne base ! Il a manqué beaucoup d’efficacité dans les deux surfaces, de la créativité et on a 9 ou 10 blessés, notamment dans la partie offensive. Contre Sunderland, qui est en tête du championnat, on peut gagner (0-0 finalement). Le premier but contre Leeds (0-2), c’est cafouillage. On n’est pas loin, la chance va tourner. L’entraîneur (Marti Cifuentes) est bon ! Je suis très, très positif, rien n’est joué…
Et au niveau de la langue, comment tu t’en sors ? Je n’ai déjà pas de problème à parler anglais. Et puis il y en a qui parlent français au club (Ilias Chair, Karamoko Dembélé, Michael Frey), dont Paul Nardi, bien sûr. C’est un très bon gars. Il a été là pour m’expliquer comment ça se passait au club. Il a un bon niveau d’anglais, mais en revanche, il faut qu’il bosse son accent, il fait pas d’effort. (Rires.)
C’est ta famille qui t’a initié au football ? Tout part de papa (Gaston, qui est aussi le père de Raphaël). On saignait le football avec mon père. On allait beaucoup au stade s’entraîner. On travaillait les bases, les passes, les contrôles. Si je ratais une passe vers lui, il ne bougeait pas. C’était à moi de courir pour récupérer le ballon. On s’entraînait aussi dans la maison. Je jonglais dans la cuisine. Il ne fallait pas casser les verres, maman surveillait. Mon père faisait les allers-retours pour m’emmener et me ramener. D’ailleurs, une anecdote, il a même choisi de travailler de nuit pour pouvoir m’emmener la journée. Il venait me chercher au collège. Je me changeais dans la voiture, j’avais mon pain, ma confiture aussi. (Rires.) Je me souviens aussi de ce qu’il mettait à la radio dans la voiture : du compas (un genre musical haïtien, NDLR) et Les Grosses Têtes de Philippe Bouvard. Ça a bercé mes jeunes années. On faisait des kilomètres. Il aimait ça. Je suis sincèrement reconnaissant. Et ma maman Laurence, elle était beaucoup derrière moi niveau école. Ça faisait un bon mix.
Quelles sont tes relations avec ton demi-frère Raphaël ? On n’a pas grandi ensemble, il était dans une autre maison que moi étant petit. C’est mon demi-frère, on a une relation normale. On était très concentré sur nos carrières respectives, donc on ne pouvait pas échanger plus que ça. Mais il y a toujours un petit œil, une petite attention.
Comme lui, tu as fait tes débuts à Lens. Comment ça s’est passé pour toi ? Ça n’a pas été linéaire. Je n’étais pas le premier qu’on attendait. Ça fait comprendre qu’il faut que tu travailles. Je n’ai jamais rien lâché. Tout ça m’a créé une force. Alors signer pro à Lens, c’était une petite victoire, une petite bataille supplémentaire. C’est grâce à Dieu !
Comment tu as appris que t’allais signer pro d’ailleurs ? Quelques semaines plus tôt, on m’annonce que je ne vais pas signer pro… On me proposait un contrat apprenti ou un truc comme ça. Ça a été une forme de désillusion. Je sors du bureau, j’étais un peu triste, mais je me fais à l’idée. J’ai une année de plus, il faut aller chercher les choses, comme d’habitude. Ce qui a tout fait basculer, c’est un amical contre Rennes avec la réserve, où je fais un super match. On me rappelle au bureau. On a discuté avec le coach (Franck) Haise et on me dit que je vais faire la reprise avec le groupe pro et, donc, il faut que je sois pro. Let’s go. C’est symbolique, tu passes à l’étape supérieure. C’était un événement, une récompense. Et la première fois qu’on m’a annoncé que j’étais dans le groupe pour un match, c’était une fierté aussi. J’avais même pas mon survêt du club, dis-toi. Quelqu’un a dû m’en prêter un pour que j’aille avec les autres dans le bus. J’étais trop heureux.
Ceci dit, toi aussi tu es champion du monde ! On a gagné la Danone Nations Cup en 2013 avec Lens. France-Brésil en finale ! C’était exceptionnel. Tu devais d’abord gagner une étape régionale ou genre être dans les trois premiers. Et on termine à la dernière place qualificative après une séance de tirs au but, au bout de 15 tentatives. Même les gardiens avaient dû tirer. Ensuite, gros voyage, on va à Marseille, au Vélodrome, pour l’étape nationale. Il fallait finir premier. Il y avait de belles équipes en face et on gagne grâce à Hugo Wicquart, qui nous met une reprise incroyable. Et puis, c’est alors le voyage à Wembley, on représente la France. Les Japonais, c’étaient nos potes. Il y avait Zinédine Zidane qui suivait la compétition. On l’a vu à deux reprises, notamment pour la remise de la coupe. Des super souvenirs. Et, tiens, c’est la première fois que j’ai ressenti la pression pour du foot. C’était quelque chose. On te dit Brésil, c’est fort, extraordinaire. Dans le couloir, je me souviens encore de l’adrénaline. Ils nous parlaient en portugais pour essayer de nous intimider. Je marque mon penalty, j’étais trop content, trop heureux. Clément Victor marque le tir au but vainqueur, on court tous vers lui. J’ai pleuré. C’était la première fois pour du foot. Ça fait partie de mes meilleurs souvenirs de footballeur. Quand j’ai un coup de nostalgie, je regarde ça sur YouTube (à 30 minutes 36 secondes).
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Après Lens, direction Rodez pour gagner en temps de jeu, c’est ça ? Il fallait aller chercher de l’expérience supplémentaire. Niveau football, ça n’a pas rempli toutes mes attentes. Mais ça m’a fait beaucoup de bien de sortir du cadre de Lens, de chez mes parents. Tu te construis en tant qu’homme. J’y ai fait de belles rencontres, Jordan Leborgne, Serge-Philippe Raux-Yao ou Mafuta Plamedi, mon frérot. On a passé beaucoup de temps ensemble, car on est de confession chrétienne et on allait prier ensemble.
La foi est très importante dans ta vie ? C’est la base de toute chose dans ma vie. S’il y a quelque chose qui passe en premier, c’est mon Dieu. Ça fait découler tout le reste. Ça doit être la base de ma vie. Les choses spirituelles conditionnent ta vie. J’aime bien lire ma bible. Avant les matchs, je ne mets que des musiques chrétiennes dans mes oreilles. J’ai toujours été très curieux, par rapport à la vie, à mon existence, qui je suis, où je vais… Qui est ce Dieu ? Je me suis posé toutes ces questions. C’est venu par révélation. Je ne crois pas pour croire. Du plus profond de mon cœur, j’ai vécu des choses… surnaturelles, spirituelles, qui m’ont démontré que Dieu existait.
Est-ce que t’as des hobbies en dehors du foot et de ta foi ? La pétanque ! C’est une passion qui vient de mon père. Il a été champion des Hauts de France, deux années consécutives. Et puis, la pétanque, c’est des moments conviviaux, je kiffe ça. Mon père, il peut regarder ça aussi à la télé, Quintais, Suchaud. C’est des snipers, eux. Je ne suis pas mauvais au tir, mais je peux pointer aussi. Comme au foot, je suis polyvalent ! (Rires.) Et en Espagne, à Gijón, avec Florentin Bloch, on s’est fait de ces parties… On jouait partout où on pouvait.
Tu parlais à l’instant de l’Espagne, ton passage là-bas, c’était comment ?
Je sors d’une année merveilleuse, exceptionnelle. On était une bande de Français ! Il y avait Yann Kembo, Pierre Mbemba, Haissem Hassan, Axel Bamba et donc Florentin (Bloch)… On passait beaucoup de temps ensemble, on faisait des barbecues. Ça faisait du bien de sortir de la pression du foot, de nous évader. T’oublies tous les tracas du quotidien. Je me souviens qu’on a voyagé dans le pays ensemble. On a été voir un Real Madrid-Bayern en Ligue des champions. On était comme des gosses à entendre la musique, à regarder le terrain. On était tout ébahis. Ça te motive.
Le Sporting Gijón, c’est un club qu’on connaît peu en France. Pourtant, il y a un énorme engouement là-bas… C’est une petite Bombonera, El Molinón ? Ce stade-là m’a marqué à vie. Il faut dire les choses ! L’amour des supporters, la manière dont ils nous recevaient au stade. Il y avait des fumigènes de partout, des marées de supporters, ils tapaient sur le bus. Le premier derby que j’ai fait contre Oviedo, c’était exceptionnel. Il y avait tellement d’amour, de soutien que je n’ai même pas ressenti la pression négative du derby. Tout était positif. Il y avait beaucoup de bienveillance. Ça m’a transcendé. À Gijón, tu ne pouvais pas marcher sans être reconnu. Ça m’a beaucoup rappelé Lens. Un jour, j’ai été remplacé pendant un match, tout le stade s’est levé pour m’applaudir. J’ai regardé à droite, à gauche, j’étais dans leur cœur !
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Tu as fêté il y a peu ta première sélection avec la Martinique, avec un derby face à la Guadeloupe. C’était comment ?
Je suis très attaché à ma terre martiniquaise, à mes racines, mes origines, et ça depuis petit… J’y vais tous les ans. Ça me fait du bien. Je viens de Morne rouge, dans le Nord, près de la montagne Pelé. Ça faisait un moment que je voulais faire partie de cette sélection. On m’a contacté il y a deux ans, mais Gijón n’était pas ouvert à cela, car il n’y a pas de trêve internationale en Espagne. C’est le seul pays à faire ça. Je comprenais, je respectais. Donc là, je suis trop content d’y aller. QPR était même plutôt ravi que j’y aille. J’ai découvert une super ambiance dans le groupe. Les Martiniquais sont comme ça. (Rires.) J’ai évidemment dû chanter pour mon bizutage. J’ai chanté un rap chrétien, c’était Merci pour les Orages de Conosko. Ça a été très bien reçu, c’était un bon moment convivial. Il y avait plusieurs nouveaux et on a été très très bien accueillis. J’étais avec mon cousin, Rudy Varane. Et en ce qui concerne le derby, j’ai des amis guadeloupéens, c’est presque des frères mêmes, mais je sais ce que c’est un derby. Là, il n’y avait pas d’autres solutions que de gagner, car les Antillais sont très chambreurs. On a réussi à l’emporter, c’est le principal.
En ce moment, dans l’actualité, on parle beaucoup de la situation aux Antilles avec les prix qui ne cessent d’augmenter… C’est quoi ton ressenti par rapport à cette situation ?
Ça m’attriste, tu te rends compte des inégalités, de l’injustice. L’aéroport a été bloqué durant notre rassemblement avec la sélection. C’est dommage que ça se traduise par de la violence. Mais il y a un ras-le-bol, cette pression de savoir comment tu vas t’en sortir… J’espère que des solutions vont être trouvées. Ça me touche, j’ai de la famille et des amis là-bas. Moi, je n’y vais qu’en vacances, mais le paquet de céréales à 10 euros, ce n’est pas normal. J’espère que le pays va pouvoir respirer.
Je sais que tu aimes bien la cuisine… alors pour mettre fin au débat en Martinique : tu es plus colombo de poulet ou lambi grillé ? Question compliquée… En fait, l’indémodable, l’incontournable, c’est le chocolat pays avec le pain au beurre. Tout le monde connaît là-bas. C’est un peu onctueux, avec des épices. La cuisine est très riche là-bas. (Rires.)
Propos recueillis par Tanguy Le Seviller