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Entre la pluie et l’anonymat
Le championnat d’Irlande de football reprend ses droits ce vendredi, à 21h45 (heure française). Peu connu et peu suivi au sein même de « l’île verte », il est le seul championnat d’Europe (qui ne soit ni de Scandinavie ni d’Europe de l’Est) utilisant un calendrier été allant de mars à octobre. Tentative d’explication sur place.
« Vous faite un article sur le championnat d’Irlande ? C’est bien ça car on en parle pas beaucoup, venez donc au Madison samedi soir à 21h, c’est un peu loin du centre-ville, mais on fait une fête avec les joueurs et le staff pour le début de saison, vous pourrez rencontrer du beau monde ! » , s’exclame avec son fort accent irlandais Tony Berney, la soixantaine, l’un des responsables du club des supporters des Shamrock Rovers (une des équipes de la capitale irlandaise.) Direction donc Tallaght, au sud-ouest de la ville, lieu où le club a ses quartiers depuis quelques saisons.
Entre une trêve trop longue et de l’auto-gestion
À peine le temps d’arriver que Tony est déjà là, et invite à prendre une Guiness, au comptoir du troisième étage de l’établissement. « Je suis content que ça reprenne, ça faisait un moment, ça fait plaisir de revoir toute l’équipe » , explique-t-il. Car si le championnat d’Irlande se caractérise par son calendrier été, il est aussi connu pour avoir une longue trêve, redoutée par les joueurs et les entraîneurs. Du début du mois d’octobre au début du mois de janvier, aucun match n’est en effet prévu par la Ligue. La plupart des joueurs, semi-professionnels, ne sont donc pas payés par leur club et en repos forcé. « Mais c’est une période qui nous demande du travail en amont, prévient Keith Long, l’entraîneur des Bohemians, le club du nord de Dublin. On est obligés de donner beaucoup de consignes aux joueurs avant qu’ils ne partent, de leur préparer des exercices précis pour qu’ils reviennent avec une bonne condition physique. Et puis des programmes pour éviter les blessures, car une longue période sans jouer, ça peut être dangereux. » Un propos que confirme Maxime Blanchard, le défenseur français des Shamrock Rovers, passé notamment par Laval : « Le défaut de ce calendrier, c’est que la trêve est trop longue. Alors oui, on a des programmes individuels. Mais honnêtement l’auto-gestion ça va cinq minutes. Au bout d’un mois, t’as envie de retourner sur le terrain. »
Ce retour sur le terrain s’avère souvent difficile, en plein cœur de l’hiver irlandais, connu pour être particulièrement redoutable. « Le problème ici, c’est que tu peux rien prévoir. C’est très dur pour les entraîneurs. Tu vas te lever le matin, le temps semble pas trop mal, tu prends ton petit-déjeuner, tu sors dehors et tu vois des trombes d’eau. Puis cinq minutes après, le soleil arrive et un quart d’heure plus tard, t’as de la neige. Donc il y a beaucoup d’entraînements en indoor dans les clubs lors de la préparation. Je pense que ça nuit à la qualité du jeu » , détaille Mick Byrne, ancienne gloire des Shamrock Rovers. « Nous, cette année, on a décidé de partir en Inde trois semaines pour la prépa. Au moins, t’es sûr du temps » , précise Pat Fenelon, l’entraîneur des Shamrock. « Nous, on n’a pas le budget pour ça, donc on s’est entraîné ici, à Dublin. C’est très dur avec ce temps, d’autant que tous mes joueurs ne sont que semi-pros. Mais même si c’est difficile, je refuse que l’on s’entraîne en indoor, ce n’est pas la même chose après quand tu arrives sur le terrain » , explique Keith Long.
Au revoir les vacances d’été
En repos une grande partie de l’hiver, les joueurs du championnat irlandais sont donc en pleine compétition au milieu de l’été, pendant que les autres footballeurs profitent des vacances. « Ça, c’est une situation étrange. Bien sûr que tu finis par t’y faire, mais c’est pas pareil. Il y a pas un match de Ligue des champions ou de Coupe de France à regarder en plein milieu de la semaine. T’as un peu l’impression d’être seul. Mais bon, ça permet aux copains que j’ai pas vu depuis longtemps de venir me voir jouer, et moi je vais les voir en hiver » , détaille Maxime Blanchard. Pour Roberto Lopes, vice-capitaine des Bohemians, ce calendrier n’est qu’une question d’habitude. « Moi, je joue sous ce format depuis que je suis gamin donc ce n’est vraiment pas un problème. Mais je pense que c’est pour ça que peu de joueurs étrangers viennent ici. C’est compliqué de s’adapter et les coachs recherchent des joueurs qui sont prêts rapidement. »
Ce calendrier reste pourtant ardemment défendu par la majorité des acteurs rencontrés. Et en particulier par Pat Byrne, présenté par Tony comme étant le meilleur joueur de l’histoire des Shamrocks, vainqueur quatre fois consécutivement du championnat de 1983 à 1986, et une dizaine de sélections en équipe nationale au compteur. « Pour moi, ce calendrier, c’est fantastique si on veut développer le Championnat. C’est la seule solution pour avoir des pelouses de qualité. Et il ne faut pas oublier une chose : l’été, nos clubs qui disputent les tours préliminaires de Coupe d’Europe sont en pleine compétition pendant que nos adversaires sont en phase de reprise. Vu que notre niveau est sans doute moins bon que beaucoup d’autres clubs en Europe, c’est le seul moyen pour nous de pouvoir espérer les battre. »
8 Irlandais sur 10 supportent une équipe anglaise
La question du niveau réel de la ligue, est elle, souvent tabou pour les joueurs et entraîneurs locaux. Ceux sont les joueurs étrangers et les observateurs qui se font le plus précis sur le sujet. « Comparer ce championnat avec la Ligue 2 française par exemple pour moi, c’est pas possible, se risque Max Blanchard. Il y a quand même des grands joueurs qui ont joué en L2. Non, je pense que c’est en dessous. » Robert Edmond, journaliste pour le site These Football Times, et observateur de la ligue depuis plusieurs saisons va dans le même sens, en plaçant le niveau en dessous de la D2 anglaise : « L’an dernier, le meilleur joueur du championnat Richie Towell, dès qu’il a pu, il s’est barré en L2 anglaise. Ça veut dire ce que ça veut dire. » L’Angleterre, l’ennemi héréditaire, est vu par beaucoup, comme l’une des principales raisons du désintérêt des Irlandais pour leur championnat local. Les derniers chiffres, datés de 2014, donnaient une moyenne de 1559 spectateurs par match. Alors qu’on estime à environ 120 000 par an le nombre d’Irlandais se rendant chaque saison assister à des matchs de Premier League. « Je dirai qu’environ 8 Irlandais sur 10 supportent une équipe de Premier League, avant de supporter un club irlandais. En même temps, c’est normal, à la télé, on ne voit que ça. Il y a qu’un seul match irlandais qui est diffusé par week-end, et les Higlights le lundi soir » , avoue Robert Edmond.
Et ce n’est pas Tony, qui n’a pourtant manqué qu’un seul match de son club dans sa vie, qui dira le contraire. « Moi aussi j’ai une équipe anglaise, c’est Liverpool, comme beaucoup ici. L’Irlande est un peuple de migrants. Beaucoup d’Irlandais sont partis en Angleterre pendant nos différentes crises économiques. Du coup, ça crée des liens, c’est sûr. » Pat Byrne ajoute un autre élément d’explication : « La culture des pubs est très forte ici, peut-être plus qu’ailleurs. Les gens préfèrent rester au pub au chaud à regarder la Premier League plutôt que se déplacer dans nos stades, qui sont de plus très peu accueillants. » Et en quittant le Madison quelques heures plus tard, l’avis de Pat Byrne, résonnait comme un écho aux chants des Irlandais chantant le « You’ll never walk alone » dans les rues de Dublin, à quelques heures de la finale de la Coupe de la Ligue Anglaise entre Liverpool et Manchester City.
Par Charles Thiallier, en Irlande