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Entraîneurs intérimaires : éloge du court-termisme
Grâce à quatre succès de rang toutes compétitions confondues, Pierre Sage prolonge la fête à la tête de l’OL. La saison dernière, c'est Will Still et Didier Digard qui s'étaient fait remarquer en tant qu'entraîneurs intérimaires. Remobilisation, chamboulements et découverte du haut niveau, voici les clés pour performer un mois... ou plus si affinités.
Casting :
Éric Bedouet : intérimaire cinq fois à Bordeaux, de 2005 à 2019.
Éric Hély : intérimaire à Sochaux en 2015-16.
Olivier Pantaloni : intérimaire à l’AC Ajaccio en 2004 et 2009 avant de devenir numéro 1.
Franck Passi : intérimaire à l’OM deux fois en 2015-2016 et à Monaco en 2018-2019.
Comment avez-vous appris que vous deveniez entraîneur principal ?
Passi : La première fois, c’était après la démission soudaine de Marcelo Bielsa. Là, c’était acté que j’y étais pour un seul match (défaite face à Reims, 1-0). Plus tard dans la saison, j’assiste à une réunion avec Míchel, Vincent Labrune et Margarita Louis-Dreyfus, pour que je reprenne le poste d’entraîneur pour les dernières semaines alors qu’on était à six points de la Ligue 2.
Bedouet : C’était presque toujours après des séries de mauvais résultats. En 2005, face à la situation du club, proche de la relégation, Michel Pavon est tombé malade, donc j’ai dû prendre la suite. Ensuite, je commençais à être habitué et j’étais toujours prêt à prendre les rênes, mais je n’ai jamais voulu remplacer un coach en lui savonnant la planche.
Pantaloni : Entre le départ de Dominique Bijotat et l’arrivée de Rolland Courbis, je devais assurer l’intérim. Je savais que c’était pour un court laps de temps, donc ça m’a permis de travailler sereinement en sachant que je n’avais rien à perdre.
Hély : C’était délicat, car je devais remplacer Olivier Echouafni, mais ma première expérience de numéro 1 deux ans plus tôt ne m’avait pas plu. J’ai alors décidé de faire un duo avec Omar Daf, il gérait notamment la relation avec la presse, et moi l’aspect technique.
L’idée est de mettre en place un projet de jeu ou simplement de remotiver les troupes ?
Bedouet : Le risque de relégation est tellement grand qu’il faut s’appuyer sur ce qu’on sait faire. On faisait des choses simples, du physique, presque du ludique, je n’étais pas là pour leur apprendre le football. Pour autant, il ne fallait pas avoir peur. En tant que formateur, j’ai toujours lancé des jeunes et ça n’allait pas changer en fonction des résultats.
Hély : Les joueurs et le staff de Sochaux nous connaissaient déjà, c’est plus simple d’être intérimaire lorsqu’on est déjà dans le club, ça permet de rester dans la continuité. On connaît les points forts du groupe, donc on joue forcément dessus. Notre but, c’est de redonner confiance au groupe, prendre les points le plus rapidement possible.
Bedouet : Plus tard, après le départ d’un entraîneur avec qui je n’étais pas d’accord sur le style de jeu, j’ai décidé de tout changer pour mon seul match en tant qu’intérimaire. Je passe en 4-2-3-1 pour mettre Malcom dans l’axe, j’ai intégré des jeunes comme Zaydou Youssouf et j’ai enfin fait l’équipe que je voulais.
La gestion du premier match est-elle particulière ?
Passi : Il y a un poil de pression en plus. J’étais surtout focalisé sur les détails. J’avais séparé les attaquants et les autres lors de la collation pour expliquer chaque rôle et j’avais tenté de rassurer tout le monde pendant la causerie pour éviter que ça soit un match qui inhibe.
Pantaloni : Ce qui a changé par rapport à mon poste de coach de la réserve, c’est au moment du coup d’envoi. Là, c’est la Ligue 1 et tu le ressens. J’étais un peu hésitant et c’est le président Michel Moretti qui m’a poussé à me lever du banc, à donner des consignes près de la pelouse. Ensuite, je parlais peut-être un peu trop, il fallait trouver le juste milieu.
Bedouet : En 2005, on va à Gerland pour affronter le grand Lyon. En face, ils arrivent avec des teintures rouge et bleu et mes joueurs avaient la haine, ils voulaient les défoncer. J’ai averti tous mes joueurs qu’il fallait absolument qu’on termine à onze. On mène 1-0, on est largement dans le match, mais, après un tacle scandaleux de Michael Essien, Cyril Rool va voir l’arbitre, je crie « calme, calme, calme » sur le banc. Cyril insulte l’arbitre et prend rouge, on perd 5-1…
Passi : J’avais pris l’équipe le mardi et on jouait la demi-finale de Coupe de France le lendemain à Sochaux. Là, on ne peut pas faire de miracle. J’étais son adjoint, donc j’ai appliqué la même chose que Míchel, ça ne servait à rien de tout changer en une journée avec un seul entraînement. Finalement, c’était un match piège, qu’on se devait de gagner pour aller au Stade de France et sauver la saison, on l’a fait (0-1), mais ce n’est pas grâce à une préparation idéale de l’événement.
On parle souvent d’électrochoc lors d’un remplacement d’entraîneur, ça passe par quoi ?
Pantaloni : Les joueurs se rendent compte qu’ils doivent prendre leur responsabilité, notamment ceux qui n’aimaient pas les méthodes de l’ancien entraîneur et qui se remotivent très rapidement. Je leur ai directement indiqué que je n’étais là que momentanément et que Rolland Courbis allait arriver. Donc, les joueurs doivent se montrer, se dépouiller, et ça change l’état d’esprit de l’ensemble du groupe.
Hély : J’avais décidé de mettre deux cadres sur le côté, Jean-Pascal Mignot et Mathéus Vivian, et de lancer Marcus Thuram. Ça montre aux joueurs qu’on sait où on va et qu’on a une idée bien précise. Par contre, il ne faut pas tout chambouler parce qu’on doit préparer le terrain pour quelqu’un d’autre.
Bedouet : Pour souder mon équipe avant le dernier match de la saison en 2005, quand on avait un pied en Ligue 2, on est allés faire un stage à Lacanau. Mon rôle était de tout remettre à plat, de leur donner confiance. Pendant le temps libre, on faisait du tir à l’arc, de la pétanque, c’était de la rigolade. Ça pouvait choquer au vu de notre situation, mais c’est ce qu’il fallait pour se changer les idées et jouer de manière décomplexée contre Marseille (3-3, match nul suffisant pour se sauver).
Parfois, l’intérim s’étend, comme Pierre Sage actuellement. Comment passer de cet électrochoc du début d’aventure à une vraie dynamique qu’il faut tenir sur la durée ?
Passi : La victoire appelle la victoire. Celle à Sochaux m’a permis de construire une dynamique sur laquelle surfer pour aller chercher le maintien en Ligue 1. Mais, là, ça ne peut plus se faire uniquement sur l’euphorie, il faut se remettre au travail avec des séances complètes. J’avais encore gardé certaines méthodes de travail de Míchel et on n’a perdu aucun des quatre derniers matchs de championnat.
Hély : Sur deux ou trois rencontres, tu peux te permettre de ne travailler que la rigueur défensive pour limiter la casse, l’essentiel est de garder tout le monde mobilisé. Si tu restes jusqu’à la fin de saison, comme j’avais fait en 2013, ce n’est pas du tout le cas, il faut avoir une tactique précise, comme tout numéro 1.
Pantaloni : Je pense que c’est plus simple de travailler sur du court terme parce qu’on joue sur des ressorts motivationnels. En 2009, je suis resté jusqu’à la fin de saison pour une « opération commando » pour sauver le club en Ligue 2. Là, je me suis mis dans la peau de l’entraîneur qui cherchait à durer.
Justement, y a-t-il eu un moment où le rôle de pompier de service ne suffisait plus ?
Pantaloni : Oui, cette expérience était le moment pour sauter le pas.
Passi : À la fin de la saison 2015-2016 où on se sauve, je voulais rester numéro 1, mais je ne savais pas si l’OM cherchait ailleurs. On était en pleine période de transition, budget divisé par deux, quatorze joueurs qui partent et Vincent Labrune destitué. Mon staff et moi avons ficelé tout le mercato pour remodeler l’effectif, je suis revenu travailler à l’été en prenant le stage en main. Un jour, Margarita Louis-Dreyfus est venue me dire : « Voilà, vous serez l’entraîneur cette saison. » Puis, il y a eu le nouveau projet et Rudi Garcia est arrivé en octobre.
Hély : Je n’ai jamais voulu rester numéro 1, ça ne me plaisait pas. Après la mauvaise expérience de 2013, j’ai accepté le poste avec Omar Daf pour rendre service, mais je voulais rapidement repartir au centre de formation.
Bedouet : Le président Jean-Louis Triaud m’avait dit : « Éric, si tu veux être entraîneur, dis-le moi parce que je ne te parlerai plus comme ça ! » En réalité, la seule fois où je me sentais prêt à basculer, j’aurais presque aimé le faire, c’est avant que Paulo Sousa n’arrive aux Girondins en 2019. Si on m’avait demandé de rester, je n’aurais pas dit non.
Par Enzo Leanni
Tous propos recueillis par EL.