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Saïd Chabane et le SCO d'Angers : l'indécence aux enfers
Angers SCO file tranquillement vers la Ligue 2. Pour Saïd Chabane, son président démissionnaire, la fin de saison pourrait être plus raide. Ses barrages, il les jouera en juin dans un procès pour agressions sexuelles. Au club, il a instauré un climat de paranoïa entre suspicion d’espionnage, intimidations et filatures.
Les stages d’avant-saison offrent pour toutes les équipes professionnelles une escapade ensoleillée avant le lancement des hostilités. Pendant longtemps, le SCO d’Angers a posé ses crampons sur la côte Atlantique, aux Sables-d’Olonne, dans un hôtel thalasso face à l’océan. Le séjour se termine par un traditionnel match amical entre le staff du club et le personnel de l’établissement, composé de serveurs, cuisiniers ou intendants. Le président Saïd Chabane participe à cette rencontre, avec un style bien à lui. Lunettes de soleil sur le nez, il fait parler sa technique balbutiante. « C’est un clown sur un terrain de foot. Quand tu le vois avec un ballon, tu te dis : “Ça va être long ce match.” Il est pas foutu de faire un contrôle », dépeint un participant. Avant un match, le président se blesse dès l’échauffement. Une autre fois, il tient sa place et plante un but. Par quel miracle ? Son staff fait tout le travail, un adjoint élimine la défense adverse avant de servir un caviar devant le but vide, Chabane n’a plus qu’à la pousser au fond. Tout heureux, le président félicite ses troupes pour l’offrande : « Merci pour la passe déf ! » Ses coéquipiers tiquent : « La passe quoi ? » Chabane insiste : « Bah, la passe défensive. » Il n’y a pas que balle au pied que Saïd Chabane est à la peine. Question sémantique aussi, la conduite est hasardeuse.
Charcuterie, papier toilette et surveillance
Il faut dire que personne ne l’avait vraiment vu venir à la tête du club. En 2011, il n’est qu’un actionnaire parmi d’autres au chevet d’un SCO déjà au creux de la vague. Le président d’alors, Willy Bernard, est accusé de malversations. En mai 2011, quelques semaines avant son procès pour diverses infractions financières qui lui vaudront finalement une condamnation à deux ans de prison avec sursis, il s’offre un dernier kif et organise son mariage à Marrakech. En marge de la réception, il convoque une poignée d’entrepreneurs et actionnaires, dont Bertrand Baudaire, le PDG des restaurants La Boucherie, pressenti pour reprendre les clés du club. Assiste à ce conciliabule un invité discret : Saïd Chabane. Il a alors 46 ans et dirige le groupe de charcuterie industrielle Cosnelle basé à La Ferté-Bernard, dans la Sarthe. Présent à la noce en tant qu’ami de Willy Bernard, Chabane prend part à toutes les discussions sur l’avenir du SCO. Il développe un intérêt croissant, assiste aux entraînements et suit même l’équipe en déplacement, comme ce 9 septembre 2011 quand Angers se rend à Monaco pour la 6e journée de Ligue 2 et s’impose 3-1 à Louis-II. « C’est là qu’il plonge. La lumière, l’ambiance, il est ébloui », note Anthony Tondut, ancien médecin du SCO en cours de procédure au conseil des prud’hommes. Le 24 novembre, il officialise sa prise de contrôle à hauteur de 60%, s’intronise président et promet un gros pressing sur ses équipes dès sa première conférence de presse en déclarant : « Dans mon groupe, il y a une seule chose que je ne contrôle pas, c’est l’achat du papier toilette. »
Comme promis, Saïd Chabane commence par mettre son nez partout. « Quand il rachète au début, il est omniprésent. Il vérifie tout. Les factures de pharmacie, les factures pour acheter des surligneurs chez les secrétaires. Il faut tout lui faire valider », se souvient un employé. Jusqu’ici, il n’affiche aucun état de service dans le football, mis à part une passion pour Le Mans Union Club qui sera placé en liquidation judiciaire et rétrogradé en Division d’Honneur en 2013. Pendant ses premières années dans le fauteuil présidentiel, il observe, laisse l’équipe dirigeante en place et apprend le fonctionnement d’un club de football. Une faiblesse lui saute aux yeux : la vétusté des infrastructures. Construit en 1989, le centre d’entraînement de La Baumette n’est pas digne d’un pensionnaire de Ligue 2. Dans les douches, l’eau chaude est intermittente, et les bureaux ne disposent pas de chauffage. Saïd Chabane et son manager général Olivier Pickeu visitent le Domaine de Luchin du LOSC et le dupliquent à Angers. Ils conçoivent un circuit de fonctionnement identique, avec un vestiaire agencé de la même manière, des casiers semblables et une salle de muscu similaire. Le centre est inauguré en février 2014. L’équipe est toujours en Ligue 2, mais ce complexe forme la première grande victoire du président Chabane. Ce lieu, il le fait construire et se l’approprie.
C’est là, aussi, que germe ce que certains décrivent comme de la « paranoïa ». Derrière le portail d’entrée du centre d’entraînement, il y a deux pylônes surmontés de caméras de surveillance. Une, à gauche, qui filme l’entrée des vestiaires et le terrain principal. L’autre, en face, saisit le moindre mouvement en direction de ce que tout le monde au club appelle « la fosse », à savoir un terrain synthétique. Plusieurs anciens salariés affirment que Saïd Chabane leur montre le retour vidéo de ces appareils qu’il consulte sur son propre smartphone. « C’est son grand jeu, il me l’a montré plusieurs fois. Il est sur son téléphone et il regarde ce qu’il se passe sur le terrain d’entraînement, il suit les joueurs, il voit les voitures. C’est : “Je veux tout contrôler, je veux veut tout voir” », estime un ancien salarié. Le siège social de l’entreprise Cosnelle et les locaux du SCO sont séparés de 140 kilomètres. Saïd Chabane n’est présent que quelques jours par semaine à Angers, le reste du temps, il observe à distance et fait savoir que rien ne lui échappe. Un ancien employé se souvient avoir reçu un texto du président lui demandant ce qu’il faisait à La Baumette un dimanche à 13 heures. Un autre jour, après un entraînement, une partie du staff se fait un petit match sur un terrain. Au coup de sifflet final, les téléphones chauffent pour un recadrage présidentiel. « Dès qu’on a fini, il nous appelle : “Les gars, c’est pas la fête ici. Vous n’êtes pas là pour jouer au foot, sinon je vous facture le terrain” », se rappelle un participant. Dans un reportage diffusé en 2011 sur France 3 Pays de la Loire, Saïd Chabane est interviewé dans les locaux de son entreprise de charcuterie. Sur le bureau, en arrière-fond, trône un écran qui retransmet en direct une vingtaine de caméras de surveillance. Une passion pour la VAR, probablement.
Une « paranoïa » totale et contagieuse
Dans les locaux du SCO, son bureau s’ouvre sur de larges baies vitrées qui donnent sur les pelouses. Des canapés en cuir meublent la pièce et, dans un coin, est installé un minifrigo dans lequel s’empilent des bouteilles de champagne Ruinart Blanc de Blancs, son petit plaisir à bulles. Il nous a été rapporté que quand un collaborateur entre dans la pièce pour une discussion qui s’annonce animée ou véhémente, Saïd Chabane ferme la porte et place le téléphone de son interlocuteur dans un frigo ou un placard afin de se prémunir des enregistrements clandestins. La méfiance va parfois plus loin. « On s’est demandé s’il n’y avait pas des micros dans les plafonds », s’interroge un ancien membre du staff. Des conversations tenues dans une pièce, en comité restreint, seraient souvent répétées mot pour mot par le président. Des ex-membres du staff racontent avoir eu des discussions dans le local à chaussures, un petit sas entre la sortie du bâtiment des pros et les terrains, « parce qu’ils craignaient les micros », remet un ancien employé.
Ce sentiment de méfiance généralisée, Stéphane Garson l’a vue monter année après année. Président du club des 100 Cravates, une association de 100 entrepreneurs partenaires du SCO, il a assisté à de drôles de scènes suivies d’étranges décisions prises en rétorsion. « Un fournisseur tient des propos et deux jours après, il n’est plus fournisseur. Des propos tenus dans le cadre de nos soirées privées sont immédiatement transmis au président. Il y a une espèce d’esprit malveillant. C’est un système de surveillance, de police militaire. C’ est devenu institutionnel dans le club. C’est de la paranoïa à la con avec des enjeux mineurs », tonne ce chef d’entreprise. Dans les bureaux du club angevin, on regarde les plafonds avec méfiance, comme si la hantise de voir des micros planqués contaminait les esprits. Des hommes auraient été aperçus en pleine nuit sur une échelle en train de manipuler des câbles dans les faux plafonds. « Quand on voulait négocier nos contrats, on parlait tout haut en regardant le plafond pour faire rire les autres : “Tiens, je vais aller demander une augmentation.” On n’a jamais eu les couilles d’aller démonter les plafonds pour voir s’il y avait quelque chose, tente d’en rire un ex-salarié. Est-ce que c’est nous qui sommes paranos ou est-ce qu’il se passe réellement des trucs bizarres ? »
« Tu sais, j’ai quatre femmes, tu pourrais être la cinquième »
C’est encore un déplacement à Monaco qui marque un tournant. Le 4 février 2020, Stevan Jovetić inscrit le seul but de la rencontre pour les Monégasques. Angers s’incline et s’enlise à la 13e place du classement. Une défaite peut parfois électriser Saïd Chabane. Dans le vestiaire, on craint une réaction colérique de sa part. Des témoins rapportent qu’il lui arrive dans des accès de fureur de faire valdinguer au sol tout ce qu’il croise sur son passage : « Il prend tout ce qu’il y a dans les placards, il fout tout par terre, il met des coups de pieds dedans. S’il y a de l’elasto ou des tubes de crème, il fait tout tomber, balance tout par terre. Comme un gamin en crise », décrit un ancien salarié. Cette fois-ci, rien. Le président est apathique. Sans réaction. Il semble éteint tout au long du voyage retour. Au milieu de la nuit, quand l’équipe se pose enfin sur le tarmac de l’aéroport d’Angers, le staff voit Saïd Chabane prendre à part son entraîneur, Stéphane Moulin, et son manager général, Olivier Pickeu. Il leur apprend que dans quelques heures, il sera placé en garde à vue pour des agressions sexuelles. « À partir de là, il a vrillé. Il y a une cassure. Ce n’est plus le même homme », rapporte un témoin.
Le procureur de la République d’Angers, Éric Bouillard, indique dans un communiqué que Saïd Chabane est mis en examen pour « agressions sexuelles commises par une personne abusant de son autorité que lui confèrent ses fonctions » et ajoute : « Quatre femmes travaillant ou ayant travaillé au club de football d’Angers étaient identifiées comme potentielles victimes », avant de conclure que « M. Chabane maintient qu’il n’a pas commis les sept faits ou séries de faits pour lesquels il est poursuivi ». Contacté par l’intermédiaire du responsable de la communication du club, Mohamed Sifaoui, Saïd Chabane, présumé innocent des faits qui lui sont reprochés, n’a pas souhaité répondre à nos questions. Il nous a indiqué par l’intermédiaire de son avocat Me Bernard Benaiem : « Les questions que vous entendez lui poser portent sur des faits d’une gravité certaine qu’il conteste intégralement et dont le caractère diffamatoire ne fait aucun doute. »
Avant ces accusations, son attitude avec les femmes suscitait l’étonnement d’une partie de son entourage. « Il est très tactile avec les filles, alors qu’il ne l’est pas du tout avec les hommes », relève un proche. « Aucune femme n’est à l’aise avec lui. C’est quelqu’un de puissant qui connaît tous les entrepreneurs du secteur. Se le mettre à dos, c’est se fermer pas mal de portes », redoute Hélène Chapelet, ancienne journaliste à Angers Télé, une chaîne locale rachetée par Saïd Chabane. L’ingénieur de formation a acquis plusieurs sociétés, dont Nivernoy, Valansot ou Prestige de la Sarthe, respectivement spécialisées dans le boudin, le saucisson et les rillettes. Depuis sa prise de possession du SCO d’Angers, il s’aventure hors de la charcuterie pour s’offrir des entreprises éloignées de son métier de base : L’Orfèvrerie d’Anjou et Angers Télé. D’après plusieurs témoignages, le président distillerait des phrases ambiguës et des gestes malaisants en direction du personnel féminin.
Une ancienne employée nous assure qu’il lui a pris les mains et qu’il ne les a pas lâchées pendant tout un entretien qui se serait déroulé sur le canapé de son bureau, portes fermées. Il lui aurait demandé : « Tu m’envoies des photos de ta chambre ? » et, d’après un autre témoin, aurait posé sa main sur sa hanche lors de photos. Il lui aurait lancé : « Tu sais, j’ai quatre femmes, tu pourrais être la cinquième. » Dans une requête de saisine du conseil des prud’hommes que nous avons consultée, une ancienne salariée soutient avoir reçu un SMS d’un très proche collaborateur de Saïd Chabane qui décrit le président comme « un prédateur » et précise que « ce genre de mecs ne doivent pas s’en sortir indemnes ». Hors des entreprises qui sont en sa possession, le président du SCO provoque le même inconfort. La direction d’un centre de remise en forme évoque une conversation avec une esthéticienne qui ne souhaite plus se retrouver seule avec M. Chabane. Même gêne à la thalasso des Sables-d’Olonne. « On sait qu’il y a un truc qui ne s’est pas bien passé sur place entre lui et les esthéticiennes et masseuses. Les nanas se sont plaintes. La directrice de la thalasso a interdit aux nanas de répondre à ses demandes », indique un ancien salarié. Contactée pour recouper ces informations, Sylvie Dubreuil, la directrice de l’établissement Côte Ouest, dégage en touche : « Nous avons eu effectivement le plaisir d’accueillir le SCO d’Angers, et ce, à plusieurs reprises. Nous n’avons aucun commentaire spécifique à ajouter. » Depuis, le SCO n’a pas remis les pieds aux Sables-d’Olonne, et le club effectue désormais ses stages d’avant-saison dans un hôtel sur l’île de Ré.
Conte de fées et guerre des clans
Avant 2020, la « paranoïa » du président, son goût pour les caméras, sa soif de contrôle et son attitude avec les femmes sont acceptés dans un club où tout va bien, sportivement parlant. La montée en Ligue 1 est acquise en 2015, la suite ressemble à un conte de fées. « On a la meilleure défense. On est 2es à la trêve, derrière le PSG. C’est du jamais-vu dans l’histoire du club. Tout marche. Les supporters suivent. La saison se termine en juin, mais on est presque tristes, parce qu’on quitte une famille. Quand on revient fin juin, on s’embrasse tous », rembobine Anthony Tondut. Le SCO fait mieux que se maintenir. Saïd Chabane est élu dirigeant de l’année 2019 par le magazine France Football. La cellule recrutement déniche chaque saison des joueurs de talent revendus à prix d’or (Nicolas Pépé, Karl Toko Ekambi, Baptiste Santamaria, Jeff Reine-Adélaïde). Avec des résultats constants, une trésorerie saine et une stabilité rare dans le staff, Angers est regardé avec envie par ses rivaux de Ligue 1. Cette success story est couronnée par une finale de Coupe de France contre le PSG en 2017. Tant pis pour la défaite 1-0. Pour Angers et son président, la récompense est ailleurs.
Sur la pelouse, il côtoie Nasser al-Khelaïfi et Emmanuel Macron. Pour lui, natif d’Algérie, arrivé en France à la fin des années 1980, cette reconnaissance par les hautes instances sportives et politiques serait un aboutissement, voire « une revanche » d’après Bernard Guérineau. Patron d’une entreprise familiale de charcuterie qui porte le même nom, c’est lui qui embauche Saïd Chabane à la surveillance des achats en 1993, séduit par « un homme extrêmement brillant en affaires ». Le charcutier sarthois détecte surtout une immense soif de reconnaissance chez Saïd Chabane, qui forme avec sa femme Isabelle, originaire de la Sarthe, un couple atypique. « C’est un bel exemple d’intégration, un couple mixte, c’était pas courant à La Ferté-Bernard. Ce n’est pas impossible qu’il ait été victime de racisme à son arrivée en France », suspecte Bernard Guérineau, qui se révèle lui-même assez maladroit dans ses premiers échanges avec son employé : « J’ai fait la guerre d’Algérie dans les parachutistes coloniaux, les bérets rouges, et son père était au FLN. Je lui ai dit que j’aurais pu rencontrer son père sur le terrain. » C’est une autre guerre de tranchées qui se prépare dans les couloirs du SCO à partir de 2020, entre le président Chabane et une partie de ses employés.
À ses proches, Olivier Pickeu résume souvent la journée du 10 mars 2020 de cette manière : « J’ai été viré en 5 minutes après 14 ans de travail. » Manager général historique du SCO, arrivé du temps de Willy Bernard, il est vu comme le cerveau du SCO, l’architecte du plan économico-sportif qui a catapulté le club dans l’élite du football français. Il est mis à pied à titre conservatoire ce fameux 10 mars 2020, quelques jours avant l’annonce du premier confinement, et ne l’apprend pas de la bouche de Chabane, mais de celle de Fabrice Favetto-Bon, nommé président délégué du club… la veille. « J’arrive à 8h30, on me dit : “T’es au courant ? Oliv’ vient de se faire virer.” Là, c’est le tremblement de terre, rapporte un proche. Le mec qui est arrivé la veille licencie celui qui a construit le club, et Chabane n’est pas là pour assumer. » Cette décision surprise marque la fin d’une relation devenue délétère entre deux hommes dont la haine couvait depuis quelques années, alimentée par un mélange de crise d’égos et de méfiance réciproque.
S’ensuit ce que Stéphane Garson qualifie « d’épuration sportive », à savoir le départ de tous les proches d’Olivier Pickeu : les adjoints, les recruteurs et le staff médical. Une bonne partie de la troupe se retrouve désormais au Stade Malherbe de Caen, club présidé par Olivier Pickeu. Le vide offre à Saïd Chabane les pleins pouvoirs. « Le football fabrique des monstres », observe un témoin. Se sentant pousser des ailes de directeur sportif, il se pique de recrutement. Cela avait débuté en septembre 2017 quand il avait promis l’arrivée d’un « super joueur » en la personne de Youcef Belaïli, aujourd’hui à Ajaccio, qui sortait à l’époque d’une suspension de deux ans après un contrôle positif à la cocaïne. « Chabane me dit : “Dans un mois, il est titulaire au Parc et il nous fait gagner contre le PSG”, rembobine un ancien membre du staff. Le mec arrive avec deux béquilles, un genou gros comme ça et un T-shirt avec des feuilles de cannabis dessus. » L’Algérien ne jouera qu’un match et quitte le club sans aucune autre apparition sous le maillot noir et blanc.
Une affaire de famille
Les deux autres « gros coups » de Saïd Chabane s’incarnent en la personne de Paul Bernardoni, recruté en juin 2020 pour 7,5 millions d’euros, « ce qu’aucun autre club n’aurait mis », assure un ancien employé, et de Sofiane Boufal, arrivé quatre mois plus tard avec cinq kilos de trop, une blessure et quelques caprices. « Boufal voulait une chambre individuelle à chaque déplacement. Moulin ne voulait pas », se souvient un ancien salarié. « Boufal, il n’y a personne pour lui couper la tête. On aurait pu le recadrer, sauf que non, Chabane le protégeait », assure un ancien membre de l’encadrement. Le président a conscience du pouvoir des joueurs, nous rapporte-t-on, et ne les traite pas forcément de la même manière que ses autres salariés, toujours selon un témoin. Au départ du clan Pickeu succède l’exode des proches des plaignantes qui accusent Saïd Chabane d’agressions sexuelles. Dans une procédure qu’elle a initiée aux prud’hommes contre le club, une ancienne salariée dépeint un climat de terreur : « Soit on soutenait le SCO, soit on était contre. » Elle prétend aussi que la direction « a exigé d’elle qu’elle fournisse une liste de tous les joueurs de l’équipe professionnelle avec lesquels une plaignante aurait eu des relations sexuelles (…) cherchant manifestement à dénigrer et discréditer les plaignantes ». S’il s’engage dans un premier temps à prendre de la distance le temps de l’instruction, Saïd Chabane n’en fait rien. Il reste au club et pratique un management autoritaire. « Il adore l’humiliation publique. Il m’a déjà dit : “T’as pas le droit de t’expliquer. C’est moi qui parle, toi tu te tais” », rapporte un ancien salarié. Un autre va plus loin : « Il mettait la pression à tous les salariés. Il espionnait les gens qui venaient chez moi, c’est dire le malade que c’est. »
Cette « paranoïa » ressentie en interne augmente avec l’arrivée d’une nouvelle personne dans l’organigramme : Salim Chabane, frère de, parachuté directeur des installations sportives et de la sécurité. « Il est ultradangereux, il est super agressif. Il te dit : “Tel jour t’es allé au restaurant, à telle heure, avec telle personne, tu as dénigré le président. Tout ce qui se passe à Angers, je suis au courant, sache-le.” À des mecs du club, il balance le lundi matin : “Je sais que tu étais en boîte de nuit samedi soir, que tu étais bourré et que tu as même déchiré ta chemise.” C’est un vrai malade », détaille un ancien employé atterré par ces agissements. Un autre ex-salarié du club raconte avoir reçu un SMS d’intimidation envoyé par un numéro inconnu. La conjointe d’un de ses collègues affirme avoir été suivie dans la rue tous les jours. Elle finit par reconnaître Salim Chabane, l’apprenti espion portant régulièrement le survêtement du club.
Le nombre des hommes de confiance du président suit la même trajectoire que les résultats sportifs de l’équipe : en chute libre. Parmi eux subsistent Morgan Potier, directeur adjoint, et Abdel Bouhazama, entraîneur qui a assuré l’intérim après le départ de Gérald Baticle en décembre 2022 et qui n’a pas répondu à notre demande d’interview. À cet attelage s’adjoignent des personnes au profil étonnant, comme Jalal Benalla, ancien judoka reconverti « accompagnateur » de joueurs et à l’origine des venues de Mohamed-Ali Cho, Batista Mendy ou Bilal Brahimi. En septembre dernier, il intègre officiellement la cellule de recrutement du SCO, trois mois après avoir été entendu dans une enquête de transferts douteux, qui avait valu une perquisition des locaux du club angevin et dans laquelle aucune charge n’avait finalement été retenue contre lui. « En matière de loi, j’ai le droit de travailler avec n’importe quel club », nous précise Jalal Benalla, qui assure avoir collaboré dans le cadre d’une « convention avec Angers, un peu comme le fait Luis Campos avec le PSG ». Pourtant, une personne proche du club nous raconte que l’ancien amateur de kimonos aurait passé un coup de fil à plusieurs joueurs pour leur faire comprendre qu’il avait désormais le rôle de directeur sportif et qu’il fallait passer par lui plutôt que par Laurent Boissier pour signer ou quitter le club. Ce qu’il nie fermement : « On a travaillé en collaboration avec Laurent et ça se passait très bien. » Là encore, l’aventure tourne court : il quitte le SCO en janvier dernier. « C’est moi qui suis parti, j’ai voulu voir autre chose », assure-t-il.
En championnat, Angers SCO pointe à la dernière place et devrait faire partie de la charrette des quatre relégués. Mauvais karma. Saïd Chabane avait fait partie des votants au passage à dix-huit clubs en Ligue 1. « Tous ses copains de Ligue 2 le traitent d’enculé, se marre un ancien proche du président. Le problème de Chabane, c’est que tout lui a réussi. Chaque année il a performé. Il n’a jamais pris une porte dans la gueule. On n’a jamais joué la relégation. Il n’a jamais eu à virer un entraîneur. » La saison 2022-2023 lui offre un condensé de tout ce qu’il n’a pas connu plus tôt. Ce mardi matin, il a été placé en garde à vue dans les locaux du SCCJ de la police judiciaire de Nanterre, où il aurait dû répondre aux questions des policiers « dans le cadre d’une enquête ouverte par le parquet de Bobigny des chefs de “blanchiment en bande organisée” et “exercice illégal d’agent de joueurs” », selon les informations publiées par LCI et Le Parisien. À chaque jour suffit sa peine : la semaine dernière, Saïd Chabane a finalement démissionné (tout en restant actionnaire du club à hauteur de 99%) et placé à la tête du club son fils Romain. Une bien belle passe déf.
Par Pierre-Philippe Berson et Clément Gavard
Tous propos recueillis par PPB et CG.