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De l’eau dans le Gazélec
Dans les bas-fonds du football amateur depuis plusieurs saisons, le Gazélec Ajaccio se retrouve de nouveau au bord de la faillite. Ses supporters tentent de trouver des solutions.
Juillet 2022. Les clubs français retrouvent le chemin de l’entraînement. Les gradins du stade Ange-Casanova se garnissent pour la reprise du Gazélec d’Ajaccio. Pensionnaire de National 3 depuis sa rétrogradation administrative en juin 2020, l’ex-membre de l’élite (2015-2016) compte bien retrouver le monde professionnel un jour ou l’autre. Pour mener à bien ce nouveau projet, un certain Johann Carta vient de s’installer à la présidence du club ajaccien. L’homme d’affaires de 48 ans, spécialisé dans l’immobilier, annonce ses ambitions : « Je veux que le GFCA soit une référence au niveau social, éducatif et sportif. Il faut que le club soit un acteur majeur de l’inclusion sociale. » L’objectif est clair : retrouver la Ligue 2 dans les cinq prochaines années.
En bande organisée
Johann Carta a décidé de miser sur un staff 100% corse. L’ancien propriétaire d’une paillote au sud d’Ajaccio a même convaincu Louis Poggi, 38 ans et quinze apparitions lors de la saison en Ligue 1, de rechausser les crampons. Sur les terrains, les Ajacciens enchaînent les bons résultats et s’installent à la tête du classement de National 3 (Corse-Méditerranée) en restant invaincus lors des onze journées. Tout semble se passer pour le mieux, jusqu’à ce que ressurgissent de vieux démons. Quatre jours avant les fêtes de Noël, le club se retrouve une nouvelle fois en situation de cessation de paiement. En cause, la saisie des comptes du club, opérée par les JIRS (Juridictions interrégionales spécialisées dans la lutte contre la criminalité et la délinquance organisées) de Marseille. Ces dernières s’intéressent aux activités de Johann Carta, accusé d’extorsion de fonds et de blanchiment d’argent.
Ajoutez à cela de supposés liens étroits entre d’anciens dirigeants du Gazélec et la bande criminelle corse du « Petit Bar » et vous obtenez un club au bord de l’implosion. L’avenir du club se jouera désormais lors de trois dates cruciales. Première échéance le 30 janvier. Le tribunal de commerce d’Ajaccio doit rendre ce jour sa décision quant à la liquidation judiciaire de la société du GFCA. Les 8 et 9 février, ce sont d’anciens dirigeants et actionnaires du Gaz’ qui passeront à la barre à Marseille pour des faits commis entre 2018 et 2021. Dernière date importante pour le club, le 14 février. Cette fois, c’est au tribunal judiciaire d’Ajaccio que se décidera la dissolution de l’association du Gazélec, distincte de la SAS (société par action simplifiée) du club. « Cette situation est d’une grande tristesse, déplore Jean-Jules Miniconi, président de l’Amicale des anciens du GFC Ajaccio. Surtout que cette année, un staff technique insulaire s’était véritablement mis au travail avec l’arrivée de plusieurs joueurs corses. Tout cela ponctué de superbes résultats. En plus, les gradins étaient copieusement remplis, avec plus de 2000 spectateurs de moyenne. »
Une usine à Gaz’
Pour comprendre la descente aux enfers du club corse, il faut remonter à l’origine de ses problèmes juridico-financiers. L’enquête pour laquelle d’anciens dirigeants du Gazélec seront jugés les 8 et 9 février à Marseille concerne des faits d’abus de biens sociaux et de travail dissimulé. Elle découle d’une autre enquête plus vaste, visant l’organisation criminelle présumée du Petit Bar, qui porte sur le blanchiment de 48 millions d’euros. Bon nombre des dirigeants mis en cause lors du procès à venir sont suspectés d’être liés à l’organisation criminelle. Le 19 octobre 2021, les anciens présidents du club insulaire sont interpellés : Olivier Miniconi (2012-2019), Mathieu Messina (2020-2021) et Christophe Ettori (président intérimaire entre la fin du mandat de Miniconi et la prise de fonction de Messina). Le premier volet de l’enquête des JRIS de Marseille incriminant le Gazélec porte sur une somme de 1 124 350 d’euros, qui aurait été versée en liquide comme primes et avantages en nature à des joueurs et des salariés. Le préjudice pour l’État en matière de cotisations sociales est estimé à 300 000 euros. À la suite de cette enquête, les avoirs du club corse, estimés à 200 000 euros, sont gelés. Le président Messina et les actionnaires du club, Antony Perrino et Pierre Anchetti, démissionnent. D’après l’avocat du Gazélec Franck Devita, le dépôt de bilan semble inéluctable. Le club dénonce alors une « volonté de l’éradiquer ».
Les enquêteurs se sont penchés sur les finances du GFCA en raison des activités suspicieuses d’Antony Perrino. L’ancien actionnaire des Gaziers a depuis cédé ses parts à Mathieu Messina, avant que celui-ci ne les revende à Johann Carta. Dans cette affaire ce serait lui le principal lien entre le Gaz’ et l’enquête pour blanchiment du groupe criminel présumé. Antony Perrino, magnat de l’immobilier local, est suspecté d’avoir aidé certains membres du Petit Bar à blanchir l’argent sale par des investissements immobiliers. En 2016, l’ancien PDG de Corse-Matin avait déjà été condamné par la justice pour abus de biens sociaux, à la suite de la location d’un appartement à un tarif « très largement inférieur au prix du marché » à Pascal Porri, membre présumé de la bande du Petit Bar. Pascal Porri, Christian Ettori et Antony Perrino seraient les acteurs clés du réseau de blanchiment incriminé.
Carta, l’homme à tout faire du Petit Bar
À l’été 2022, le président Messina et les actionnaires, dont Antony Perrino, laissent place à Johann Carta. Cet ancien gérant d’une paillote au caractère bien trempé travaille dans le tourisme. Il est tout sauf un inconnu pour les anciens propriétaires. Carta est considéré comme l’homme à tout faire du Petit Bar, l’intendant, le financier du groupe. Présenté comme le « pivot » des affaires immobilières de la bande, il est étroitement lié à Mickaël Ettori et Pascal Porri. Johann l’ambitieux n’a pas attendu de reprendre la gestion du Gaz’ pour s’intéresser au monde du football. En janvier 2019 déjà, il tentait d’embrasser une carrière d’agent, en créant la société Agency Sport Consulting. Trois ans plus tard, il est poursuivi pour exercice illégal de la profession d’agent. Cette année-là, il avait tenté de vendre un espoir corse au Paris Saint-Germain, se vantant auprès de ses compères Mickaël Ettori et Pascal Porri d’avoir un rendez-vous avec le directeur sportif parisien de l’époque, Antero Henrique. Une information judiciaire était ouverte à son encontre en 2020 pour enquêter sur ses différentes activités. Son influence s’étend également au domaine politique, comme lorsqu’il fait pression pour éviter une candidature dissidente contre le maire sortant d’Ajaccio (Laurent Marcangeli, actuel président du Groupe Horizon à l’Assemblée nationale, NDLR) lors des élections municipales de 2020. En septembre dernier, le parquet d’Ajaccio ouvre une information judiciaire contre Johann Carta pour « pressions ou menaces envers les membres d’une juridiction », à la suite de la découverte sur son téléphone d’une liste des jurés destinés à juger une affaire d’assassinat en mars 2021 à Ajaccio. Le procès s’est soldé par un acquittement général, et des soupçons de pressions extérieures, dont il serait le principal responsable, pèsent sur cette décision. Le parquet général a d’ailleurs fait appel de la décision, et demandé à ce que le prochain procès soit délocalisé, pour éviter que le groupe mafieux puisse influer sur la décision du jury.
Placé en garde à vue le 30 novembre dernier, Carta est soupçonné « d’extorsion en bande organisée, de blanchiment en bande organisée et association de malfaiteurs ». Mis sous écrou après 96 heures sous observation policière, Carta a vu son domicile perquisitionné en même temps que les bureaux de la mairie d’Ajaccio. Le Gazélec Ajaccio est donc la victime collatérale des déboires judiciaires de Johann Carta. Dans le cadre de l’enquête, le club a vu ses comptes saisis. Endettée à hauteur de 600 000 euros, la société (SAS) du club ajaccien se retrouve en défaut de paiement. L’institution est en péril. Cette décision judiciaire interroge Jean-Jules Miniconi, président de l’Amicale des anciens du Gazélec : « Nous n’avons pas à commenter une décision de justice, mais nous nous interrogeons sur les moyens et les risques… Mettre en danger une structure avec plusieurs salariés et plus de 340 jeunes qui pratiquent leur activité favorite en bloquant ces comptes et ces avoirs nécessaires à son activité… Est-ce que la période du milieu de championnat était bien choisie ? Jeter l’opprobre sur une structure de près de 60 années d’existence… »
Touche pas à mon GFCA !
Le 14 février prochain, l’association du Gazélec Ajaccio fêtera la Saint-Valentin en passant sur le gril. Les supporters gaziers verront l’avenir de leur club se jouer au tribunal. « Soit l’association est liquidée, entraînant la tragique disparition du club, soit elle est mise en redressement judiciaire, explique Christophe Graziani, président de l’association des socios du Gazélec. Le tribunal va demander à l’association du GFCA des garanties sur sa pérennité, c’est ce qu’essayent d’apporter les socios et les autres associations autour du club. » Depuis que cette tempête juridique s’est abattue sur Ange-Casanova, les mobilisations ne cessent de se multiplier. À commencer par celle des parents de joueurs du GFCA. « Ils ont créé cette cagnotte pour aider le club. Cette action est complémentaire de celle de l’amicale des anciens joueurs et dirigeants du GFCA, d’I Diavuli 1910 et de l’Association des socios du GFCA Football, acquiesce Christophe Graziani. Toutes les associations travaillent inlassablement au quotidien pour réussir le sauvetage du club en assurant son fonctionnement courant dans cette période plus que compliquée. Concernant la cagnotte Leetchi, la totalité des fonds récoltés sera reversée à notre association qui fera un don global à la nouvelle Association GFCA Football. À ce jour, le montant des dons est de 10 000 euros. » Jean-Jules Miniconi a quant à lui souhaité mobiliser l’ensemble des membres de son association : « Nous avons adressé des SMS à des adhérents afin de demander un versement de don de 10 à 100 euros. Des dons qui ont notamment permis de financer aux U18 du club un déplacement sur Marseille qui comprenait un aller-retour en avion, les déjeuners et les petits-déjeuners de la délégation. »
C’est justement avec sa jeunesse que le Gazélec Ajaccio compte bien se relancer. « Le Gazélec a toujours été l’une des meilleures écoles de football de Corse. À l’heure actuelle, on a près de 350 enfants qui jouent au club avec des U17 nationaux, les U19 se sont qualifiés pour les seizièmes de Gambardella (ils affronteront Clermont Foot ce dimanche, NDLR). Un gros travail est réalisé par le club au sein de ces catégories jeunes qui se montrent performantes, se vante Christophe Graziani. Sans cette jeunesse, le Gazélec perd son identité. Si on veut passer les étapes pour retrouver le statut professionnel, le projet ne passera pas sans que la jeunesse soit au centre de celui-ci. » Souvent touché, mais jamais coulé, le Gazélec compte bien repartir de nouveau avec un projet viable et transparent. « Ce projet devra également se baser sur les supporters du club en les associant au fonctionnement du club. Le GFCA est un club historique et emblématique et reste le club le plus populaire d’Ajaccio », estime Christophe Graziani. Pour le président des socios du GFCA, ce nouveau projet ajaccien devra se montrer innovant, particulièrement au niveau financier : « Cela permettra au club d’être plus costaud et transparent à l’avenir. L’Association des socios du GFCA porte depuis sa création en 2008 un projet d’actionnariat populaire pour permettre aux supporters d’être actionnaires du club, d’être des socios. Cela fera l’objet de discussions avec les futurs dirigeants du club. » Tout se jouera donc le 14 février prochain pour l’association du GFCA, qui peut compter sur le soutien sans faille de ses fidèles supporters et membres : « Si le GFCA arrive à retrouver une structure performante, imaginative et transparente, si les bonnes décisions sont prises, si de nouveaux investisseurs locaux, nationaux et étrangers sont prêts à participer au renouveau du club, l’avenir du Gazélec sera fait de sérénité et d’ambitions. Il renaîtra de ses cendres », conclut Christophe Graziani. En tout cas, on le leur souhaite.
Par Baptiste Brenot et Tristan Pubert
Propos de Miniconi et Graziani recueillis par BB et TP.