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Enki Bilal : « Imaginez le Dynamo de Belleville, le Montparnasse FC ou le RC Bastille »

Propos recueillis par Eric Carpentier
Enki Bilal : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Imaginez le Dynamo de Belleville, le Montparnasse FC ou le RC Bastille<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

À l'occasion de la sortie de son dernier album, Bug, Enki Bilal revient sur son rapport au foot. Entre Belgrade, Mexico, Bordeaux et même Belleville. Sans oublier de jeter un œil au futur.

Dans Hors Jeu, avec Patrick Cauvin (1987), vous imaginiez un futur assez sombre pour le football. Pourquoi ? Les éditions Autrement nous contactent en 1986 pour faire un truc sur la Coupe du monde. Je pars quinze jours au Mexique, je fais des photos, je regarde… C’est super, mais en même temps, je me dis : « Qu’est-ce que je vais pouvoir raconter ? » Je reviens un peu à sec, on se voit avec Claude Klotz (nom d’état civil de Patrick Cauvin, ndlr) et on se dit qu’on va faire un truc bien déjanté. Je ferai d’abord un dessin, lui inventera à partir de là, à l’inverse du travail d’illustration classique. Je me sens libre, donc je fais un truc sur ce que devient le football du futur, au coup par coup, plutôt des scènes un peu extrêmes, de violence, de robotique, de foot mixte, il n’y a pas de spectateurs dans les stades, le jeu se joue dans des univers très carcéraux… C’est une vision de la violence. Évidemment, on dénonce, ce n’est pas ce que l’on souhaite.

Hors Jeu a-t-il été bien reçu ? Je vais vous raconter une anecdote : il y a une image avec un joueur qui sort sur une civière, jambe cassée, avec des fils, c’est un robot. L’image a été instrumentalisée au moment du conflit entre Bez et Tapie ! Avec une équipe de dessinateurs, le Mickson FC, on avait été invités en lever de rideau d’un Bordeaux-Marseille, le dessin avait été publié dans la revue des Girondins. Et ça a fait un sac de nœuds, parce que le joueur portait le numéro 8 et que ça avait été perçu comme une incitation à casser Giresse !

Vous avez également fait le portrait de Zidane. Comment ça s’est passé ?Après la Coupe du monde 2006, L’Équipe me contacte pour faire un portrait de Zidane. Je dis OK, que je vais prendre une photo, la repeindre… J’avais fait ça aussi avec Cantona. Je termine le travail, leur envoie, bon. Tout d’un coup, je me dis : « Merde ! J’aurais dû faire ça ! » J’appelle la rédaction… C’est trop tard, c’est parti à l’impression. Quelque temps après, mon galeriste me dit qu’il voudrait refaire un grand tirage en offset. Alors je prends mon original et je mets un petit pansement, là (il montre son front). Quelque temps après encore, un ami me dit qu’il va voir Zidane, qu’il voudrait lui offrir une affiche dédicacée. Bien sûr ! Quand je revois ce mec, alors ? Il me dit que Zidane l’a prise, qu’il l’a regardée et qu’il a dit : « C’est quoi, ça ? » (Il remontre son front.) Pas un sourire, rien. Bon. J’espère qu’il a de l’humour…

À Belgrade, il y avait des fêtes où on faisait des tableaux vivants dans les stades. Moi, je faisais partie d’un bout d’oreille de Tito ou je ne sais quoi…

Vous jouez au foot ?Je n’ai pas joué en club en France, j’ai plutôt fait de l’athlétisme. Je n’ai repris le foot qu’avec cette équipe du Mickson FC, avec les copains dessinateurs. C’était en 1982, à l’occasion de la Coupe du monde en Espagne. L’idée est venue de Frank Margerin, le dessinateur de Lucien. Tous les samedis après-midi, on allait au parc de Sceaux. Quand les festivals ont su qu’on avait ça, pour faire venir la plupart des dessinateurs, ils disaient : « On vous organise un match de foot ! » Et on y allait tous. Ça a duré quinze ans, c’était drôle.

Vous suivez le foot actuel ?Je supporte Paris, mais… Il n’y a pas un Parisien dedans ! Il y a des Brésiliens, des Allemands… Ce sont surtout de grosses machines de guerre financières. Et puis le PSG est une grande équipe, mais elle est trop seule. Imaginez le Dynamo de Belleville, le Montparnasse FC ou le RC Bastille, ce serait génial ! (Rires.) Traverser la Seine pour aller voir un match ! Je ne sais pas pourquoi on n’arrive pas à avoir un autre club. Peut-être que c’est moins enraciné dans les gênes qu’en Angleterre.

Quel est votre premier souvenir lié au foot ?À Belgrade, il y avait des fêtes où on faisait des tableaux vivants dans les stades. Moi, je faisais partie d’un bout d’oreille de Tito ou je ne sais quoi. (Rires.) À cette occasion, j’ai croisé des vrais footballeurs qui me faisaient rêver, j’étais très impressionné de les voir en grand ! Quand je suis arrivé en France vers l’âge de dix ans, mon père connaissait Miloš Milutinović, un international yougoslave de cette époque dont le frère est Bora Milutinović, un aventurier qui a entraîné partout dans le monde, un type très coté. Mon père m’a emmené un jour au Parc voir un match avec Miloš qui jouait au Racing. Il m’a présenté Safet Sušić aussi… Tout ça, c’est des choses de gamin. C’est ça qui est assez joli avec le foot, c’est un sport qui prend ses racines dans l’enfance. On naît presque avec une gêne : un truc rond, on tape dedans, on joue au foot.

Vous étiez plutôt Partizan ou Étoile rouge ?Un jour, un type m’a abordé en disant que je jouais bien, il était de l’Étoile rouge. Mais mon père était à Paris depuis cinq ans et il y avait une paranoïa compréhensible : ma mère avec ses deux enfants, le mari qui n’est pas là, qui avait été proche de Tito, avait été son tailleur, s’était battu à ses côtés… Ma mère a vu le type du balcon, elle a dit : « Non, non, on ne veut pas ! » Elle savait qu’il ne fallait pas créer de lien, surtout qu’on attendait le feu vert pour partir. Un mois après, on quittait la Yougoslavie. Mais j’aimais bien le Partizan, le côté noir et blanc, les rayures. Et puis parfois l’Étoile rouge, ça dépendait des joueurs, s’il y en avait que j’aimais particulièrement… En 1991 contre l’OM, j’étais pour l’Étoile rouge ! Maintenant, c’est plus compliqué, parce que la Yougoslavie n’existe plus. Je regrette la Yougoslavie. Sur le plan intellectuel, sur le plan humain, je trouve que c’est un gâchis absolu. Alors je suis un peu tiraillé. Mais il y a une empathie naturelle pour ces pays-là. Quand c’est France-Serbie, je suis quand même pour la Serbie, pareil pour la Croatie. C’est des trucs d’enfance, encore une fois.

Le foot fait partie de l’intelligence collective ! En Yougoslavie, tous les intellectuels sont parfaitement à l’aise avec le sport. J’arrive en France, je tombe sur des intellectuels qui méprisent le sportif. Je ne comprends pas.

Vous êtes nostalgique du football yougoslave ?Autant je suis contre les frontières, autant je suis contre tout nationalisme, autant le nationalisme lié au foot, c’est un nationalisme d’enfant, je dirais. Le côté national me va uniquement sur le terrain. Et à ce moment-là, en Yougoslavie, il y avait une école, un style, un mélange de Croates, de Serbes, de Macédoniens, de Slovènes, de Monténégrins, de Bosniaques… Tout ça créait un melting-pot assez détonnant, il y avait une belle équipe.

Mais il y a aussi les considérations géopolitiques.Belgrade a été bombardée en 1999 par l’OTAN sans l’accord de l’ONU, un truc incroyable. Les Américains ne savaient même pas où était Belgrade, le Kosovo les intéressait pour des raisons stratégiques vis-à-vis de Moscou. Il y a trois ans, le Serbie-Albanie m’a choqué. Le match commence, important pour les points, peu de temps avant la mi-temps un drone arrive, il porte le drapeau de la grande Albanie. Un joueur serbe réussit à l’arracher, les joueurs albanais foncent sur lui et l’attrapent, un truc de folie. Pour les crétins dans les tribunes, les ultras pro-Serbes, nationalistes, c’est une provocation hallucinante. Et à la fin, c’est quand même la Serbie qui est punie. Là, il y a un truc qui m’a toujours choqué. Imaginez à Tel Aviv, Israël-Palestine, un drapeau palestinien qui serait apporté par un drone, que se passerait-il ? C’est très politique, il y a deux poids, deux mesures. Il ne faut pas être serbe dans ce cas-là, parce que la Serbie est proche de la Russie. On est dans un système géopolitique hérité de la défaite du communisme, et cette tension politique existe à travers le sport en général et le foot en particulier.

Pourquoi le foot en particulier, selon vous ?Le foot est le sport emblématique ! Il y a toujours cette dimension du politique, de l’idéologique, du financier. Mais c’est pour ça aussi que c’est fascinant. Je ne comprends pas les gens qui disent : « Le foot, c’est con. » On ne peut pas le mettre de côté, le foot fait partie de l’intelligence collective ! En Yougoslavie, tous les intellectuels sont parfaitement à l’aise avec le sport. J’arrive en France, je tombe sur des intellectuels qui méprisent le sportif. Je ne comprends pas.

Dans Bug, il n’y a pas de place pour le football. J’ai souvent montré le sport dans mes récits, parce que je considère qu’il est le reflet du monde. Toujours des trucs un peu excessifs. Comme le chess boxing que j’ai inventé ! Dans Froid Équateur, de la trilogie Nikopol, il y a ce sport qui allie à la fois intelligence suprême, l’esprit des échecs, et la finesse et la force physique du noble art. Depuis, il a vraiment été inventé ! Il y a d’ailleurs un événement le 15 décembre prochain à Berlin (Intellectual Fight Club IX, ndlr). Pour en revenir à Bug, un truc comme ça qui arrive, trois jours après, c’est le chaos. L’homme redevient un loup pour l’homme, déjà qu’il l’est, ce serait terrifiant. Je n’ai pas voulu rentrer là-dedans, je suis donc resté sur cet homme, quelque chose d’identifiant. Mais le foot existerait toujours ! On reviendrait aux bases, après avoir d’abord pillé tous les magasins. Le foot peut se passer du barnum financier. Il redeviendrait le sport populaire qu’il a toujours été. Après, est-ce que les gens auront toujours à cœur de jouer au foot, privés de toutes leurs addictions et de tous leurs outils ?

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Propos recueillis par Eric Carpentier

Bug, livre 1, d'Enki Bilal, Éditions Casterman. 18 €.

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