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En Roumanie, la solidarité avec l’Ukraine est plus forte que la rivalité

Par Alexandre Lazar
En Roumanie, la solidarité avec l’Ukraine est plus forte que la rivalité

Pas spécialement liées d’amitié en raison de crispations ethniques et territoriales enfouies dans leurs récits nationaux, Ukraine et Roumanie se sont réveillées dans un cauchemar, il y a dix jours. La première est attaquée par la Russie, envahie pour avoir eu l’audace de revendiquer sa souveraineté, la seconde est sur le qui-vive et a mis ses antagonismes au placard pour donner un coup de main à des ressortissants déboussolés. Au milieu, le football, ses acteurs au garde-à-vous, et le plus pur principe de solidarité envers un voisin menacé par les missiles thermobariques du Kremlin.

« Le nord de la Bucovine a été occupé par les Roumains en 1918 », glissait sans broncher Volodymyr Zelensky en 2020, lors d’une allocution à la nation le jour « de l’unité et de la liberté de l’Ukraine », à propos de cette terre qui n’est placée sous le signe du Tryzub – les armoiries ukrainiennes – que depuis l’éclatement de l’URSS (qui l’avait elle-même annexée en 1940), et dont la partie sud est roumaine. Nouvelle coqueluche des Internets, l’ancien comédien devenu bien malgré lui un charismatique chef de guerre prenait alors le parti d’exalter une foule, la sienne, et de choquer l’opinion publique de la Roumanie voisine, dont la minorité en Ukraine constitue le troisième groupe ethnique (410 000 personnes). Depuis deux ans, cette minorité roumaine n’a plus le droit d’enseigner sa langue à l’école, une manière de rappeler pourquoi – entre autres – la demande d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne demeure lettre morte. C’est dans ce contexte déjà lancinant, dans lequel il faut englober l’île des Serpents, un lieu stratégique en mer Noire au large des deux pays assis sur du pétrole et du gaz, que la jeune nation ukrainienne subit l’invasion russe. Et alors que la crise humanitaire est en marche, avec des masses de réfugiés affluant vers la Pologne et les autres pays frontaliers, le monde du football roumain est en train de se plier en quatre pour cette Ukraine qu’il a, à la base, tant de mal à porter dans son cœur.

Mes pensées et mon cœur sont à Kiev. J’espère pouvoir un jour y retourner pour finir ce que j’ai commencé, même si cela paraît utopique.

Bucarest pas les bras croisés

Depuis les premiers coups de canon tirés sur l’Ukraine, les messages « Arrêtez la guerre » et « F*ck Poutine » garnissent les terrains et les tribunes roumaines. Mais la solidarité va au-delà d’une banderole au marqueur ou d’un tifo bien senti. Pour Mircea Lucescu, rentré en Roumanie après un trajet harassant pour éviter la Transnistrie, c’était une évidence : « Mes pensées et mon cœur sont à Kiev. J’espère pouvoir un jour y retourner pour finir ce que j’ai commencé, même si cela paraît utopique. En attendant, il faut aider qui on peut du mieux possible. » Non seulement Il Luce a facilité le transit des joueurs étrangers du Dynamo Kiev (qu’il entraîne depuis juillet 2020, NDLR) et du Shakhtar Donetsk en Roumanie, mais il a aussi loué deux cars pour extraire les familles de son staff technique de la capitale ukrainienne, encerclée par les colonnes de blindés ennemis. Aujourd’hui, ces familles se trouvent à Iași, dans un centre de réfugiés de fortune monté… dans un stade. L’équipe locale, Poli Iași, n’a d’ailleurs pas hésité à reverser l’intégralité de la recette de son dernier match de seconde division contre Brașov à ces réfugiés ukrainiens.

Située à moins de 200 kilomètres au sud-est de la vama Siret, poste frontière par lequel passent quotidiennement les Ukrainiens pour entrer en Roumanie, cette ville étudiante suit un ample mouvement de fraternité démarré à Bucarest. Le 25 février, soit un jour après le lancement de la pseudo « opération spéciale » décrétée par Vladimir Poutine, le maire de la capitale Nicușor Dan se disait prêt à accueillir un maximum de réfugiés à l’Arena Națională, théâtre du France-Suisse au dernier Euro. « Nous disposons d’au moins 20 000 places d’hébergement d’urgence à l’Arena, donc s’il faut se préparer à une arrivée massive de personnes, les ressources sont là », livre Lucian, un des responsables de la sécurité du stade national. « Des lits et des sacs de couchage sont prêts, le maire a également parlé de 5000 repas minimum distribuables chaque jour. Il y aurait une assistance médicale 24 heures sur 24 en partenariat avec les hôpitaux, et 150 places pour les femmes avec enfants en bas âge. Le problème, c’est plutôt que le stade n’est pas des plus faciles d’accès par la route », ajoute-t-il.

Les autorités de la capitale offrent déjà le gîte et le couvert aux joueurs et au staff du Desna Chernihiv (septième du championnat), et ont proposé à la Zbirna, l’équipe nationale d’Ukraine, de jouer son barrage pour le Mondial à Bucarest. Toujours au sud, les deux volcans que sont Craiova et Ploiești ont eu des initiatives originales. Le CSU Craiova a joué contre Mioveni avec le nom des villes ukrainiennes visées par les missiles russes floquées au dos de ses maillots, avant de les mettre aux enchères. Le leader de deuxième division, Petrolul Ploiești, a lui sondé Ihor Surkis, le patron du Dynamo Kiev, dans une lettre ouverte. Objectif, accueillir deux catégories de jeunes pousses des Bilo-syni (et leurs parents) dans ses installations, tous frais payés, pour leur permettre de continuer à tâter le cuir. Une lueur au bout du tunnel, même si le retour des matchs officiels, quelle que soit la catégorie d’âge, n’est pas la priorité des Ukrainiens.

L’Ukraine n’a jamais été un pays ami, mais alors la Russie… L’agression actuelle nous met face à nos responsabilités.

Faire front

Du côté des ultras, engagés par essence, on a aussi pris le problème à bras-le-corps, avec spontanéité. Pendant que l’un de ses sous-groupes (DNL) exhortait ses homologues du Dynamo Kiev à être « fiers de leurs combattants de fils », le virage nord des ultras du Dinamo Bucarest (PCH) lançait le 28 février dernier une levée de fonds urgente destinée à acquérir du matériel médical pour les Ukrainiens sur le front. La Peluza Nord du FCSB – sur les nerfs en ce moment – a elle signé une courte trêve avec le manager Mihai Stoica et surtout l’inénarrable Gigi Becali. Plusieurs camionnettes pleines de vivres et de produits de première nécessité sont ainsi parties pour Tulcea, sur les rives du Danube, à cinq heures et demie au sud d’Odessa. Le fantasque patron du club, en fidèle du mont Athos, a même accepté d’ouvrir indéfiniment la base du club à 500 déplacés, et de les loger dans un bâtiment flambant neuf du côté de Berceni.

À Timișoara, ville martyre de la révolution de 1989, on évoque l’impossibilité de demeurer les bras ballants. « L’Ukraine n’a jamais été un pays ami, mais alors la Russie… L’agression actuelle nous met face à nos responsabilités. On a toujours redouté cet état d’alerte, lâche d’un ton déterminé Andrei, ultra de la Peluza Sud Timișoara, rangée derrière Politehnica. Si demain, la Bessarabie(nom historique de la Moldavie indépendante, largement roumanophone et menacée par les troupes russes du GOTR cantonnées en Transnistrie, NDLR)est attaquée, c’est la guerre ici aussi. Donc même si des différends existent, il faut faire la part des choses et tendre la main à des femmes en pleurs et à des gamins dont les écoles sont bombardées. On prie pour les hommes, ils sont forts et ils tiendront face aux Soviétiques. »

Une lecture qui fait écho à un morceau du groupe de folk rock Phoenix, monument de la scène musicale roumaine. Intitulée În umbra marelui urs (Dans l’ombre du grand ours), cette charge frontale contre le communisme roumain et l’expansionnisme idéologico-territorial de l’URSS, devenu hymne des soulèvements étudiants, renferme une interrogation applicable au combat de l’Ukraine pour sa liberté : « Vous m’avez jugé, condamné, mais pour qui vous vous prenez ? »

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Par Alexandre Lazar

Tous propos recueillis par AL, sauf ceux de Mircea Lucescu, tirés de la Gazzetta dello Sport.

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