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En quoi Messi a-t-il changé les critères du Ballon d’or ?
Ce n’est un secret pour personne : Lionel Messi va remporter ce soir un quatrième Ballon d'or d’affilée. Bien malgré lui, l’Argentin a modifié implicitement les critères d’attribution. C'est-à-dire ?
L’histoire est assez incroyable. Fabio Cannavaro a remporté le Ballon d’or en 2006. Mais Andrea Pirlo, Xavi, Iniesta, Buffon et Casillas ne le gagneront jamais. Non pas que l’ancien capitaine de la Squadra Azzurra n’ait pas mérité un tel trophée pour l’ensemble de sa carrière. Mais force est de constater qu’en 2006, Fabio Cannavaro remporte le trophée pour un mois de compétition, une Coupe du monde où il a été tout simplement monstrueux. Aujourd’hui, ce genre de choses n’arriverait plus. Car il y a Lionel Messi. L’Argentin est tellement sur une autre planète qu’il semble intouchable. En 2008, après une bonne saison avec le Barça, il termine deuxième, derrière Cristiano Ronaldo, qui remporte cette année-là la Ligue des champions. L’année suivante, revanche. Messi gagne tout avec le Barça et empoche logiquement le trophée. Mais en 2010, c’est le changement.
Alors que le trophée est attribué depuis toujours par un jury international composé de journalistes spécialisés, le Ballon d’or fusionne en juillet 2010 avec le titre de Meilleur footballeur FIFA de l’année et devient le FIFA Ballon d’or, décerné par des journalistes, mais aussi des capitaines de sélection nationale et des sélectionneurs. En ce même mois de juillet, l’Espagne remporte le Mondial, avec des joueurs au sommet, comme Xavi, Iniesta ou Casillas. Quelques mois plus tard, le Ballon d’or est pourtant attribué à Messi, qui n’a gagné « que » la Liga cette saison-là. Le monde du football comprend alors : le Ballon d’or ne sera désormais plus attribué au meilleur joueur de l’année, mais au meilleur joueur du monde dans l’absolu.
Casillas, Xavi, Iniesta, les bannis
Rebelote en 2011. Messi gagne, encore. Logique, finalement, puisque le Barça est toujours aussi souverain en Espagne et en Europe. Vient 2012. Une année où les Catalans sont éliminés de la C1 par Chelsea, et devancés en championnat par le Real Madrid. Cristiano Ronaldo fait gagner le Real Madrid, au même titre que Drogba pour Chelsea en Ligue des champions. Cet été, l’Espagne gagne à nouveau l’Euro, avec toujours les mêmes protagonistes : Casillas, Ramos, Xavi, Iniesta. L’Italien Pirlo, vainqueur de la Serie A, réalise également un Euro magnifique. En toute logique, le Ballon d’or aurait dû se jouer entre ces six joueurs-là. Parce qu’ils ont fait gagner leur club et leur sélection. S’il avait réalisé la même année civile il y a quatre ans, Casillas l’aurait probablement gagné. Parce qu’il a pratiquement tout gagné en 2012, et pour récompenser l’ensemble de sa carrière. Loupé. Le portier madrilène n’est même pas dans les trois derniers.
Tout simplement parce que, désormais, ceux qui votent n’arrivent pas à passer outre les prestations personnelles et les records de Messi. Et tant pis s’il n’a gagné qu’une Coupe du Roi cette année. Il a inscrit 91 buts, il a régalé, il a offert des pions. Or, puisque ce sont désormais les capitaines et les sélectionneurs qui votent, Messi ne peut pas ne pas le gagner. Car tout le monde est impressionné. Les journalistes, eux, auraient tendance à raisonner. Certains l’adoubent, d’autres l’aiment moins, lui reprochant son manque de charisme, son côté « Je me la joue gentil, alors qu’au fond je ne le suis pas autant que ça. » Probablement que les journalistes, pour cette quatrième année, n’auraient pas voté pour Messi. Parce qu’il l’a déjà gagné trois fois. Parce que cette année, il n’a rien gagné d’important. Et qu’il aurait encore eu le temps de garnir sa collection de Ballons d’or à l’avenir… Mais les joueurs et les sélectionneurs, eux, n’arrivent pas vraiment à prendre du recul. Ils voient Messi, ils jouent avec Messi, ils tremblent face à Messi. Bref, ils votent Messi.
Maradona et Belanov
Un problème, toutefois, se pose. Quel intérêt va avoir le Ballon d’or puisque, même si un joueur gagne tout, il ne gagnera pas le trophée ? Ne serait-il donc pas temps de changer formellement la récompense, puisque, de toute façon, les critères ont été modifiés implicitement depuis l’avènement de Messi et la fusion avec le meilleur joueur FIFA. Puisque, depuis 2010, le Ballon d’or récompense également l’équipe type masculine de l’année, la meilleure joueuse de football féminin, les meilleurs entraîneurs (masculin et féminin) et l’auteur du plus beau but de l’année, pourquoi ne pas fractionner le trophée ? En remettant un Ballon d’or par poste, par exemple. Car aujourd’hui, on a surtout l’impression que le Ballon d’or récompense le mec qui marque le plus de buts. Et forcément, lorsqu’un type tourne à plus de 90 buts par an (et qu’il ne se blesse jamais, en plus), cela va être compliqué de faire mieux.
Casillas aura beau tout gagner, Pirlo aura beau être le joueur qui a réussi le plus grand pourcentage de passes en 2012, Xavi et Iniesta auront beau être à un niveau ahurissant depuis plusieurs années, ils ne l’auront jamais. Parce que d’un point de vue strictement personnel, Messi sera toujours au-dessus. Comme Maradona a, en son temps, été au-dessus pendant cinq ou six années. Sauf qu’à l’époque, le Ballon d’or n’était remis qu’à un joueur européen. Le Pibe n’a donc jamais pu le remporter, donc pas de points de comparaison possibles avec Leo. Bref, sans le vouloir, Messi, incontestablement meilleur joueur du monde, a imposé une sorte de dictature à une récompense qui, justement, avait cela de magique qu’un Oleg Blokhine (1975), un Allan Simonsen (1977), un Paolo Rossi (1982), un Igor Belanov (1986) ou un Matthias Sammer (1996) pouvait la remporter. Nostalgie.
Par Eric Maggiori