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En pleine lucarne…
Le 18 juin 2013, Duško Krtalica, gardien de but amateur de 51 ans, a joué un match de football avec une balle de revolver dans la boîte crânienne. Un plomb reçu pendant la partie et sans même qu'il s'en rende compte. Retour sur un miracle.
Le cerveau humain est un mystère. Étudié depuis de nombreuses années par tous les chercheurs et médecins du monde entier, il est pourtant encore loin d’avoir livré la totalité de ses secrets. Très loin même. Oui, l’encéphale, comme l’appellent les scientifiques, est capable de choses qui sortent de l’ordinaire. Comme permettre à un homme de jouer au football avec une balle de pistolet dans la boîte crânienne. Par exemple. C’était il y a deux ans, à Boljakov Potok, dans la banlieue de Sarajevo, capitale de la Bosnie-Herzégovine. La tour de l’Horloge – monument historique de la ville – indique alors quatorze heures. Le moment pour Duško Krtalica, gardien de but, de débuter avec son équipe un tournoi amateur organisé par la mairie, sur fond de buvette et barbecue géant. Une compétition qui restera à jamais gravée dans l’esprit du quinquagénaire. Mais également dans sa chair.
Trois mariages, pas d’enterrement
Alors que les matchs s’enchaînent, c’est au tour de Duško et des dix autres joueurs de sa team de fouler la pelouse de l’un des petits terrains bordés de poteaux en ciment abîmés par le temps. La partie se lance, le cuir passe de pied en pied. Le portier bosniaque, lui, rentre peu à peu dans la rencontre, défendant bravement ses cages, quand, après quelques minutes de jeu seulement, une douleur vive à la tête le déconcentre. Croyant s’être blessé après un faux mouvement, l’homme reste sur le pré, réalise quelques parades et va même au bout de son match. Mais la douleur persiste et pousse les participants à faire appel à une équipe médicale. Peu de temps plus tard, après des examens de sa boîte crânienne, le diagnostic est aussi stupéfiant que sans appel : Duško a une balle de calibre 9 millimètres au niveau de l’hypothalamus. Rien que ça. Pas de temps à perdre, le bougre est transféré en salle de chirurgie et se fait retirer l’objet de la caboche. Dans un état stable, il se remettra sans mal de l’opération.
Mais alors, comment ce type a-t-il bien pu prendre une bastos en jouant au ballon ? Une fois le tournoi terminé, les forces de l’ordre de la ville, informées de ce qui aurait pu être un drame, viennent enquêter et ne mettent pas longtemps à élucider le mystère. En questionnant le voisinage, les policiers découvrent que plusieurs mariages se sont déroulés dans les environs et que lors de l’un d’eux, quelqu’un a eu la bonne idée de tirer des coups de feu en guise de célébration. Pour preuve, la douzaine de cartouches retrouvée à quelques mètres des terrains utilisés pour la compète. Duško Krtalica aurait donc pris une balle perdue. Le comble pour un gardien de but, et sans doute le type le plus chanceux et malchanceux à la fois de toute la région.
« Le cerveau est insensible »
Pourtant, une question demeure : comment est-il humainement possible de continuer à bouger, sauter, réfléchir, ou plus simplement faire du sport avec une balle dans la tête ? Jérôme Blin, neurologue parisien qui officie à la clinique de la Mémoire, apporte quelques éléments de réponse : « S’il a pu continuer à jouer et aller au bout de son match, c’est parce que le cerveau est insensible. Par exemple, lorsque l’on touche un cerveau pendant une intervention neurochirurgicale, le patient ne ressent pas de douleur. Autre exemple, dans la série Hannibal, il y a cette situation horrible durant laquelle Hannibal Lecter mange le cerveau de sa victime vivante. Et cette dernière n’a pas mal. C’est une fiction, mais elle est fidèle à la réalité. D’ailleurs, en neurochirurgie, les patients peuvent être opérés conscients. » Une analyse confirmée par Philippe Boulu, également neurologue au centre neurologique Paris Duroc : « Il y a des zones du cerveau qui sont cliniquement muettes. Quand elles sont touchées, elles n’entraînent pas de symptôme. Dans le cas de ce joueur, touché au niveau de l’hypothalamus, c’est le cas. C’est une zone qui commande les glandes et qui n’est impliquée ni dans la motricité, la sensibilité, la vision, le langage ou la compréhension. »
Un heureux hasard pour Duško, qui n’a d’ailleurs pas saigné lors de l’impact. Étonnant, mais possible. « Il aurait aussi très bien pu mourir sur le coup s’il avait reçu la balle à un autre endroit du cerveau, notamment à cause des saignements, il a eu beaucoup de chance. S’il n’y a pas eu de sang, c’est tout simplement parce que la balle est passée entre les vaisseaux et non à travers » explique Jérôme Blin. Et si Duško Krtalica n’avait pas ressenti de douleur si forte pendant son match ? Et s’il n’avait pas été emmené à l’hôpital ? « Il aurait pu rester longtemps avec cette balle dans le crâne. Cela aurait même pu passer inaperçu, même si c’est rarissime. Il aurait très bien pu continuer à vivre normalement sans même se rendre compte de ce qui lui était arrivé. Il y a des cas similaires de gens qui ont vécu avec une balle dans la tête, notamment chez les soldats pendant les deux Guerres Mondiales. » Un soldat qui aurait bien aimé porter le casque de Petr Čech, mais en kevlar.
Par Maxime Nadjarian