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En Palestine, la paix au bout du pied ?
Il y a quelques jours, Gianni Infantino, président de la FIFA, déclarait lors d'une conférence à Bahreïn que le football pouvait « jouer un rôle, petit en apparence, mais essentiel en réalité » dans la résolution du conflit israëlo-palestinien. Pour vérifier l'assertion, retour sur la place du football en Palestine, à base d'affiches publicitaires, de pelouses artificielles et d'équipe des héros.
En ce 26 juin 2019, la conférence bat son plein, en plein cœur de Bahreïn, quand s’avance vers l’estrade un intervenant à l’identité insoupçonnée. Étant donné la portée et l’importance géopolitique de l’événement, mené par Jared Kushner (conseiller diplomatique de Donal Trump) et destiné à présenter un plan de règlement du conflit israélo-palestinien, la présence de Gianni Infantino, président de la FIFA, peut en effet soulever quelques interrogations, voire certaines méfiances. Le dirigeant de la plus grande instance footballistique du monde a néanmoins bien conscience de son influence, voire de sa puissance, au moment de déclarer, sans sourciller, que le football peut « jouer un rôle, petit en apparence, mais essentiel en réalité » , dans la résolution du conflit israélo-palestinien, qu’aucune politique n’a pourtant réussi à régler, pas même à endiguer.
Un facteur d’unité dans un pays divisé
Si les mesures proposées par Gianni Infantino (construction de terrains de football, pour susciter « des rêves et de l’espoir » ) peuvent paraître dérisoires par rapport aux immenses enjeux soulevés dans la région par le conflit, le président de la FIFA ne surévalue pas le poids du football en Palestine, auquel l’organisation qu’il dirige n’est d’ailleurs pas étrangère. En effet, depuis la reconnaissance par la FIFA de la Fédération palestinienne en 1998, et grâce à son aide directe, symbolisée par l’envoi sur place, en 2008, de l’un de ses cadres, Jérôme Champagne, le football a connu un essor inexorable. Avec l’élection à la tête de la Fédération du très controversé Jibril Rajoub, emprisonné par Israël pour des faits de terrorisme et libéré dans un échange de prisonniers, les instances ont très largement œuvré au développement du football. Comment ? En relançant le championnat masculin dès 2008, en créant un championnat féminin la même année, ou en construisant de nouvelles infrastructures et des pelouses artificielles partout dans le pays.
Si bien que depuis quelques années, le football est devenu de plus en plus populaire en Palestine. « Pour les matchs du championnat palestinien, le public vient en nombre, confie Haitham Dhib, défenseur de la sélection nationale, dans un article du Point. Les médias ne voient pas le championnat comme une compétition d’amateurs. » Dans les villes fleurissent des affiches publicitaires représentant des joueurs les plus connus du pays ; dans les stades s’amassent de plus en plus de supporters. La sélection nationale, formée, selon les mots de Bassil Mikdadi dans un entretien au Guardian, « de Palestiniens venant des quatre coins du pays et de représentants de sa diaspora » , passionne les foules. Ceci car elle représente un facteur de rassemblement dans un pays divisé géographiquement (entre la Cisjordanie et la bande de Gaza). « Je crois que le football est le sport le plus populaire en Palestine, rapporte Djibril Rajoub dans un reportage réalisé par la FIFA. La passion et l’affluence témoignent de son importance pour nous. Voilà pourquoi le football est devenu une force unificatrice. »
« Une composante du projet de libération »
À cet égard, Gianni Infantino ne semble pas divaguer lorsqu’il affirme l’importance du football en Palestine. Les doutes subsistent cependant quant à la possibilité de le penser en tant que facteur de paix dans la région. En effet, s’il stimule un sentiment national, il peut également être récupéré politiquement, si ce n’est être instrumentalisé au profit de velléités nationalistes. « Le sport est désormais une arme majeure en politique » , déclarait le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, aux 23 joueurs sélectionnés pour la Coupe d’Asie des nations en 2015, dans des propos relayés par L’Humanité. « Pour le reste du monde, le sport, ce sont des coupes et des médailles, abondait alors Jibril Rajoub, toujours pour le quotidien français. Mais en Palestine, c’est une composante du projet de libération. »
Il est en effet bien difficile de vouloir faire sortir le football du spectre du conflit entre Israël et la Palestine, tout d’abord car il peut en être symboliquement le reflet. Ce sont les cas d’Ahed Zaqout, ex-international tué à Gaza le 6 août 2014 dans un bombardement, ou de Mahmoud Sarsak, footballeur emprisonné par Israël pendant trois ans, jusqu’en 2012. Ensuite car Israël entrave physiquement l’exercice du football, par exemple en refusant d’attribuer des visas aux joueurs devant se déplacer pour disputer une rencontre. Il y a quelques jours, Israël refusait ainsi l’accès à son territoire à une équipe de Gaza souhaitant se rendre en Cisjordanie pour disputer le match retour de la Coupe de Palestine. Symbole parmi les symboles, a été créée en 2018 une « équipe des héros » rassemblant des amputés de Gaza, dont la plupart ont été blessés lors des violentes oppositions qui se sont déroulées il y a un an à la frontière de l’enclave palestinienne. Loin d’être effacés par le ballon rond, les stigmates du conflit peuvent plutôt s’imprimer directement dans la chair de ceux qui le font s’animer : la paix semble encore bien loin, même sur les terrains de football.
Par Valentin Lutz