- Interview
- Getafe
« En Liga, les Arabes sont bienvenus »
Après Malaga, Getafe est le deuxième club espagnol à passer aux mains de capitaux arabes. En attendant que les dubaïotes débarquent en banlieue madrilène, le président Angel Torres fait le point sur cette étrange révolution footballistique.
Qui est venu chercher qui dans le deal ?
Nous étions intéressés mais je pense qu’ils étaient encore plus intéressés que nous. Je sais qu’ils ont regardé les possibilités d’acheter un club en Allemagne et en Angleterre avant de négocier avec nous. Getafe, pour eux, c’était la meilleure option. Nous n’avons pas de dettes insurmontables, nous sommes à Madrid, dans l’un des championnats les plus prestigieux du monde et il y a de quoi faire une bonne équipe à moyen et long terme.
Quel est leur objectif en rachetant Getafe selon vous ? On a un peu de mal à comprendre l’intérêt des qataris à investir dans le football…
Pour tout le monde le Qatar rime avec pétrodollars. Je crois qu’ils ont envie de changer leur image, montrer qu’ils sont modernes, ouverts sur le monde. C’est un moyen pour eux de faire de la pub pour leur pays et de se diversifier un peu. Ils ont des actions et des sociétés dans énormément d’entreprises à travers le monde, mais aucune ne procure autant de publicité que le football. Quand vous êtes un acteur important dans le football, vous êtes importants. Aujourd’hui, ils sont importants, riches et même considérés comme des héros aux yeux de certains supporters dont les clubs ont été rachetés par des capitaux venus du Moyen-Orient.
Qu’est-ce que ça vous fait d’être le deuxième club espagnol à passer aux mains de capitaux arabes?
Déjà ce n’est pas fait. On a signé un accord qui ne prendra véritablement effet qu’à partir de l’année prochaine si tout se passe bien. Et sinon pour Getafe et pour moi, ça représente un énorme soulagement économique et sportif. On aurait pu faire sans le Royal Emirates Group, mais Getafe est un club qui a besoin de grandir, de jouer l’Europe et de lutter pour être dans les huit premiers du classement. Jusqu’à présent nos petits moyens suffisaient à nous maintenir et à avoir des comptes équilibrés, mais pour accrocher l’Europe c’était trop juste.
Vous n’avez pas peur de vendre votre club à Royal Emirates Group ?
Non, pas du tout. En Liga, les arabes sont les bienvenus. Je sais qu’il y a des présidents espagnols qui essaient par tous les moyens de trouver des investisseurs à Dubaï, au Qatar ou à Abu Dhabi. Pour beaucoup, ils représentent la bouée de sauvetage de la Liga et Getafe a eu la chance qu’on s’intéresse à lui. Il faut comprendre que Getafe est un petit club, dans une ville où il y a le Real Madrid et l’Atletico et dans un pays où il y a le FC Barcelone. Les catalans et le Real sont économiquement trop puissants pour le reste des clubs espagnols. Et il faut ajouter à cela que les droits de télévision sont partagés de façon inéquitable. Autrement dit, le Barça et le Real se servent en premiers des très grosses parts et ne laissent que des miettes à leurs concurrents. Pour nous, l’arrivée des arabes est une aubaine. Ca va nous permettre d’avoir de l’argent frais, de faire rentrer des capitaux et d’assainir les caisses du club. Les trois premières années, je vais rester au club pour les accompagner. Et surveiller que tout est bien géré. Si à un moment donné ils décident de partir parce que ça ne les motive plus, ce ne sera pas non plus un drame. Quand ces gens-là arrivent ils absorbent la dette d’un club et injectent l’argent suffisant pour que le club ne soit pas dans le rouge économiquement. Pour l’instant, je sais qu’ils ont envie d’investir dans le football. Dubaï va accueillir des matchs de Coupe du Monde et pour eux c’est un moyen de gagner en visibilité, ensuite on verra, c’est comme tout dans la vie : chaque chose à une date de préemption. Il faut espérer qu’il continue à aimer le football encore longtemps. Ce serait une bonne chose pour la Liga.
La Liga a aujourd’hui 4 milliards d’euros de dettes. Vous pensez que les cheikhs vont pouvoir absorber tout ça ?
Pendant des années on s’est menti en se disant que tout allait bien. Mais maintenant il faut en finir avec les mensonges : le football est en ruines. Et pas seulement en Espagne. En Angleterre et en Italie, c’est pareil. La crise s’est installée dans le foot et tout le monde le sait depuis longtemps. Celui qui dit le contraire est un menteur ou un imbécile. Aujourd’hui, il faut arrêter les conneries, se retrousser les manches et prendre des mesures drastiques. Il faut que l’UEFA mette en place un organisme de contrôle économique qui interdisent aux clubs qui vient au-dessus de leurs moyens de participer à des compétitions européennes. Je vais même aller plus loin : si une équipe n’est pas capable de tenir correctement ses comptes il faut la reléguer. C’est un combat que nous devons mener aujourd’hui pour ne pas nous retrouver comme des cons dans un futur plus ou moins lointain. Aujourd’hui la masse salariale des clubs est tout simplement affolante. Si on continue à payer des sommes aussi astronomiques encore longtemps, je ne donne pas cher du football. Et le pire dans tout ça, c’est que c’est nous, les présidents de clubs, qui sommes en train de creuser notre propre tombe. C’est nous qui payons des salaires indécents aux joueurs. C’est nous qui mettons en difficulté nos institutions. Il faut qu’on en prenne conscience et vite.
Pour beaucoup, le rachat d’un club par les cheikhs ou des capitaux du moyen orient représente le rêve de voir son équipe tutoyer les plus grandes écuries européennes avec l’arrivée de grands joueurs. Vous en avez conscience ?
Oui bah ceux qui prennent ses raccourcis-là peuvent se mettre un bon doigt dans l’œil. Les arabes, les cheikhs, appelez-les comme vous voulez ne sont pas des gros cons comme nous. Ils ne vont pas jeter la maison par la fenêtre pour nous faire plaisirs. Ils vont investir les premières années pour mieux couper le robinet par la suite. Quand ils prendront conscience que le foot est un véritable gouffre financier ils arrêteront d’investir dans des stars. A part le Sheikh d’Abu Dhabi, qui est prêt à perdre de l’argent tous les ans sans que cela le fasse frémir je ne pense pas qu’il y aura d’autres mécènes qui supporteront de voir leur argent dilapider bêtement. Personne ne jette des pierres contre son propre toit.
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Quel doit être selon vous la ligne à suivre pour les clubs rachetés par les cheikhs ?
Les cheikhs ne sont pas là pour vous rendre plus riche mais pour vous mettre à l’abri financièrement. Par exemple, Malaga a investi dans des installations et dans des bons joueurs, mais maintenant il ne leur reste plus qu’à se mettre en pilotage automatique. La Liga doit apprendre le sens du mot “gestion”. Malaga a fait une bonne équipe et a dépensé beaucoup d’argent et j’espère pour eux qu’il seront en coupe d’Europe sinon ça va être très difficile.
Qu’est-ce qui se passera si les objectifs ne sont pas atteints ou pire si le cheikh décide de partir ?
Je leur souhaite vraiment de réussir parce que c’est important pour les institutions mais aussi pour les villes. Il y a des villes en Espagne qui sont complètement mortes à cause du football. Les pouvoirs publics, les mairies et les régions ont tellement dépensé de fric pour leurs clubs que leur budget ne leur permet même plus de subvenir aux besoins quotidiens des administrés
Getafe a été communiste pendant des années. L’arrivée d’arabes capitalistes peut-elle être un problème ?
Tout a changé désormais. Dans les années 60 et 70 les banlieues madrilène et barcelonaise étaient effectivement rouges mais aujourd’hui avec la crise les gens sont perdus. Ce n’est pas un facteur qu’il faut prendre en compte.
Le fait que l’Espagne connaisse une véritable crise économique a selon vous attiré les Cheikhs ?
Paradoxalement oui, parce que malgré la crise la Liga est sans doute le meilleur championnat du monde. En Espagne ils peuvent faire de bonnes affaires en comparaison d’autres pays. Et surtout, les clubs espagnols ont lancé un SOS. Quand l’acheteur potentiel et le vendeur s’y retrouvent, c’est plus facile.
Vous pensez qu’ils aiment l’étiquette de sauveur qu’on leur colle en ce moment ?
Je pense que oui quelque part c’est ce qu’ils recherchent en investissant dans le football. Ils veulent donner du rêve, envoyer des ondes positives. Et ça en football c’est très facile à faire quand il y a un peu d’argent. C’est bon pour leur image, ça leur fait de la pub, de la visibilité et ça leur donne même une image plutôt sympathique. Ils ont voulu la coupe du monde parce que c’est la meilleure publicité mondiale possible. Leur pays va être au centre de toutes les attentions pendant un mois. Le fait qu’ils investissent dans des grands championnats ou dans des villes au rayonnement mondial comme Paris n’est pas anodin. Ca fait partie de leur plan et il faut dire qu’il est plutôt réussi. Aujourd’hui, il n’y a pas un jour sans qu’on parle d’eux. Ils sont devenus indispensables et ça, il y a quelques années encore, ça aurait été inconcevable. Ils ont fait le pari stratégique d’investir des sommes colossales dans le sport le plus populaire qui soit. Pour eux comme pour nous, c’est un nouveau départ. Il faut en profiter et ce qu’on doit faire désormais c’est d’arrêter les guéguerres et les conneries pour redonner un élan à notre football et à notre société. Les arabes sont en train de créer des richesses, il faut les suivre. Ca sera bénéfique pour tout le monde.
Combien de temps va durer cette mode des rachats selon vous ?
Je pense qu’on est rentré dans une nouvelle ère. Le Qatar est un petit pays avec énormément de richesses. Quelque part c’est assez sain qu’ils ne se contentent pas de vivre en autarcie. S’ils veulent être influents mondialement il faut qu’ils s’ouvrent vers les autres. Non seulement pour leur image, mais aussi pour leur business. Les gisements de pétrole et de gaz sont importants mais le jour viendra où ils se tariront. Quand ils prennent un club, ils investissent aussi dans la ville, Ils travaillent pour préparer le futur, ce sont des gens intelligents. Personnellement, je trouve ça normal. Tout le monde est gagnant-gagnant.
Si je vous dis que le rachat du PSG est avant tout une affaire politique vous en pensez quoi ?
Ca ne me surprend pas, mais je n’aime pas que les politiciens viennent s’immiscer dans un domaine qui n’est pas le leur. Ils n’ont aucune compétence dans le football ou sa gestion. Leur politique c’est de ruiner tout ce qu’ils touchent, c’est tout. Le mal du football c’est d’avoir des politiciens qui jouent aux présidents de clubs. En Espagne, les clubs qui ont eu à faire avec eux ont tous disparu. J’en sais quelque chose puisque Getafe a disparu à l’époque ou la mairie était l’actionnaire du club…
Vous n’avez pas eu de politicien à vos cotés lors du deal avec Royal Emirates Group ?
Non, non, non. Je laisse la politique aux politiques pour qu’ils nous laissent gérer tranquillement le football. C’est le mieux qu’ils puissent faire.
Dernière question : est-ce que Getafe sera rebaptisé Getafe team Dubai ?
Pas du tout. S’il y a une chose qui ne changera pas c’est bien le nom du club. Le reste…
Propos recueillis par Javier Prieto Santos
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