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En hiver, le mercato de trop
Le mercato d'hiver est un moment encombrant dont les entraîneurs, les joueurs et tous les acteurs du foot pourraient se passer pour le bien du jeu.
Le week-end de Terem Moffi devrait débuter sur un terrain de football, ce vendredi soir au Moustoir, lors du derby breton entre Lorient et Rennes pour lequel il a été convoqué. La semaine de l’attaquant nigérian s’est pourtant jouée en coulisses, où il a été question de négociations, de gros sous et de coups de bluff. Les candidats sont nombreux à se bousculer au portillon pour attirer le joueur de 23 ans (12 buts en 18 apparitions cette saison) : des clubs de Premier League, bien sûr, mais aussi Nice et l’OM, les deux prétendants les plus sérieux ces derniers jours. Un grand flou pour Moffi comme pour Lorient, passé minoritairement sous pavillon américain et qui a déjà laissé filer Dango Ouattara chez son grand frère, Bournemouth. « Le mercato d’hiver n’est pas un marché facile. On ne sait pas sur quoi on va atterrir à la fin, mais on y travaille, expliquait Régis Le Bris ce jeudi. J’ai confiance dans les équipes qui bossent pour renforcer notre effectif. Est-ce qu’on y parviendra ? Je ne sais pas. Et dans quelles conditions ? Je ne sais pas non plus. Rendez-vous le 1er février. » Ce sont beaucoup de questions parasites dans la tête d’un entraîneur en plein mois de janvier. Le club breton n’est pas une exception, mais la norme. La preuve que le mercato hivernal est un moment encombrant dont on pourrait se passer.
Grands écarts et inégalités
Il n’y a rien de nouveau sous la grisaille, et les débats reviennent sur la table chaque année au même moment depuis l’instauration de cette fenêtre d’hiver en 1997, moins de deux ans après l’arrêt Bosman qui avait déjà tout changé. En 2023, le foot est toujours plus mondialisé, le marché toujours plus déréglé et les inégalités toujours plus creusées. Le sujet fait causer jusqu’en Ligue 2, où Saint-Étienne, dans une situation critique (18e avec 18 points), a pu attirer cinq recrues, fort de l’argent touché via CVC, quand ses concurrents en bas de tableau n’ont pas ces moyens. Une activité pouvant rappeler celle de Monaco en 2019, à une époque où le club de la Principauté, alors en position de relégable, avait sorti le chéquier pour chambouler son effectif avec huit arrivées et huit départs. C’est un exemple parmi tant d’autres pour rappeler qu’il ne s’agit plus d’un mercato d’ajustement, comme il est souvent qualifié, quand il peut permettre de rebattre les cartes à ce point.
« Si on se trompe au mois de juin, on assume les erreurs qu’on a faites et on ne devrait pas avoir un mercato qui permet de recruter quinze joueurs pour en faire partir huit. À la limite, qu’on nous permette d’avoir un joueur ou deux pour compléter car il y a des blessés oui, mais là c’est n’importe quoi, s’agaçait Bruno Genesio cette semaine. Ça perturbe tout le monde, les joueurs, les clubs. On fait un mercato qui dure trois mois pendant l’été. Si on se trompe, on se trompe. Permettre de modifier les trois quarts d’une équipe, ça ne correspond pas à l’idée que je me fais de ce sport. » Les intérêts, les rumeurs, les approches peuvent avoir un impact sur les joueurs, et par conséquent sur les performances sportives d’une équipe. Guy Roux ne disait pas autre chose en 2010 dans Le Parisien : « Le championnat est une course transatlantique, et on ne change pas l’équipage au milieu de l’océan. Le mercato d’hiver abîme les finances des clubs et peut même casser l’ambiance d’une équipe. »
De l’autre côté de la Manche, où les frontières de l’indécence ont été repoussées depuis longtemps, c’est Noël après l’heure avec des dépenses déjà records : près de 500 millions d’euros dont un peu plus de 200 millions claqués par les dirigeants de Chelsea et leur stratégie abracadabrantesque. Le mercato est devenu le cœur du réacteur, stimule parfois plus que le terrain, et ce n’est pas le sens que l’on veut donner à l’histoire du foot. Il fallait s’en indigner l’année dernière et il faudra recommencer l’année prochaine pour conserver l’espoir d’une évolution positive pour le bien du jeu. « Nous, les entraîneurs, on ne compte pas, tout le monde s’en fout des entraîneurs, ironisait Genesio. Plein d’autres choses sont plus importantes que les entraîneurs. Vous le savez bien. » Les technocrates dirigent le foot, pas les coachs ni les joueurs (pour la plupart), et d‘autres qui ont été au service de ce sport, comme Arsène Wenger, sont passés de l‘autre côté de la barrière. Ceux-là ne connaissent peut-être même pas Terem Moffi, dont l’avenir proche n’est pas encore établi. Rendez-vous le 1er février ? Vivement le 1er février, plutôt.
Par Clément GAVARD