- Guinée
En Guinée, le drame de N’Zérékoré comme triste symbole
Le week-end dernier, plusieurs dizaines de personnes ont trouvé la mort lors de très graves incidents lors d’un match disputé à N’Zérékoré, la seconde ville de Guinée. Ce drame s’inscrit dans un contexte tendu depuis le coup d’État de la junte militaire du général Mamadi Doumbouya.
Depuis dimanche dernier, toute la Guinée ne parle que des très graves incidents ayant éclaté lors du match entre N’Zérékoré et Labé, à l’occasion de la finale du Trophée Mamadi Doumbouya, du nom du général à la tête de la junte militaire depuis le coup d’État du mois de septembre 2021. Des faits d’arbitrage, un carton rouge finalement annulé après l’intervention d’un des ministres présents dans les tribunes, puis un penalty accordé à l’équipe locale ayant provoqué la colère des supporters de Labé. Le terrain a été envahi, des projectiles, notamment des cailloux, ont été lancés, et les forces de l’ordre sont alors intervenues en utilisant des gaz lacrymogènes.
Un bilan appelé à s’alourdir
De nombreuses personnes ont alors essayé de fuir par tous les moyens, et beaucoup, dont des enfants, ont été piétinées. Officiellement, ce drame a fait 56 morts et de nombreux blessés, mais ce bilan laisse dubitatif de nombreux Guinéens, désormais habitués aux méthodes musclées du colosse de Conakry. « On peut vraiment en douter. Le bilan est bien supérieur aux chiffres officiels. Des organisations, comme celle des Droits de l’homme parle de 135 morts au minimum. Le Conseil supérieur de la diaspora forestière avance un bilan d’au moins 300 morts. Le Barreau de Conakry a demandé au gouvernement de communiquer le vrai bilan », estime Souleymane Souza Konaté, en charge de la communication du parti d’opposition de l’Alliance nationale pour l’alternance et la démocratie (ANAD) et conseiller de Cellou Dalein Diallo, l’ancien Premier ministre en exil. « Les informations que j’ai pu avoir vont toutes dans le même sens, continue-t-il. Il y a beaucoup plus de 56 morts. Il y a également des centaines de blessés. Et des familles sont toujours à la recherche des corps de leurs proches. Beaucoup d’enfants et d’adolescents sont morts. »
C'est l'une des pires catastrophes survenues pendant un match de football. En Guinée, près de 60 personnes sont mortes piétinées et étouffées lors d'un mouvement de foule. Tout est parti de la contestation d'une décision de l'arbitre. pic.twitter.com/eN5r9ABRm9
— TV5MONDE Info (@TV5MONDEINFO) December 2, 2024
Communications restreintes et menaces
Face à cette situation explosive, le général Doumbouya a décrété un deuil national de trois jours, pris en charge l’hospitalisation de nombreux blessés dans des hôpitaux, notamment à Conakry, la capitale, et envoyé à N’Zérékoré le Premier ministre Amadou Oury Bah, ainsi que le secrétaire général de la présidence. « Mais ils ne sont restés que deux petites heures sur place, ce qui a été très mal vécu par la population locale. Dans de telles circonstances, après un tel drame, les gens auraient aimé que ces officiels restent au moins deux jours », poursuit Souleymane Souza Konaté. Le ministère de la Justice a par ailleurs annoncé l’ouverture de plusieurs enquêtes afin de faire la lumière sur ce drame et d’établir les différentes responsabilités.
Mais là encore, l’homme politique ne se fait pas trop d’illusions sur les conclusions de ces enquêtes : « Les Guinéens n’ont plus vraiment confiance en l’appareil judiciaire. » Depuis le drame du 1er décembre, l’attitude de la junte militaire est dans la droite ligne de la dérive autoritaire du gradé et de son gouvernement, qui s’est accélérée ces derniers mois. « L’accès à internet, qui n’est pas toujours facile en Guinée, a été un peu plus restreint depuis dimanche, notamment à N’Zérékoré, reprend Konaté. C’est une pratique habituelle du pouvoir, afin de limiter au maximum la communication, surtout avec l’étranger. Un journaliste a été arrêté après s’être exprimé sur le drame. Moi-même, on m’a menacé de venir m’arrêter après que j’ai donné une interview. Le régime ne veut pas que la vérité sorte sur ces terribles évènements. » Parallèlement aux premières mesures prises par le pouvoir pour venir en aide aux victimes, des forces de l’ordre ont pris position à N’Zérékoré, « essentiellement dans les quartiers qui sont des bastions de l’opposition. Il règne un calme précaire dans la ville, où les gens sont en colère. La tension reste élevée. » Des questions se posent également sur les conditions de sécurité pour ce match.
La question du stade et de la sécurité
Pour Souleymane Souza Konaté, le compte n’y était pas : « C’est un stade vétuste qui peut accueillir 2 500 personnes, et dont les travaux de rénovation n’ont pas été achevés. Ce dimanche, il y avait au moins 4 000 personnes. L’entrée était libre, aucun contrôle n’a été effectué. Il y avait tout au plus une dizaine de policiers, mais essentiellement mobilisés pour assurer la sécurité des officiels. Quand les incidents ont éclaté, beaucoup de personnes ont cherché à fuir. » Des vidéos ont montré des spectateurs tentant de quitter le stade en escaladant des murs. D’autres ont été pris au piège en raison du nombre trop faible de portes de sortie.
Communiqué de la CEDEAO sur le Drame de N'zérékoré en Guinée. pic.twitter.com/GIpEpemMkL
— Ecowas – Cedeao (@ecowas_cedeao) December 5, 2024
Pour de nombreux Guinéens, des incidents étaient à craindre, non seulement en raison de la configuration du stade, mais aussi de son contexte. « Quand l’annonce de ce match a été rendue officielle, des gens ont fait savoir qu’ils y étaient opposés, car ils estimaient qu’il s’agissait d’une manifestation dédiée à Mamadi Doumbouya. Il doit en théorie abandonner le pouvoir le 31 décembre prochain, comme il s’y était engagé, mais tout semble confirmer qu’il veut se présenter à la prochaine élection présidentielle », poursuit le membre de l’ANAD. Le général Doumbouya n’a pas prévu à ce jour de se rendre à N’Zérékoré. « Le gouvernement ne fait que multiplier les éléments de langage tout en faisant le maximum pour éviter que les gens témoignent, conclut Konaté. Ceux qui le font s’exposent à des menaces, des arrestations ou au kidnapping, qui est devenu un mode de gouvernance en Guinée. »
Par Alexis Billebault
Propos recueillis par AB