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« En Espagne, nous avons une culture de l’instant »

Propos recueillis par Antoine Donnarieix
14 minutes
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Depuis son fief valencien où il prépare un déjeuner en famille, la légende Santi Cañizares reste toujours intacte malgré ses 46 bougies soufflées fin 2015. Pour débuter cette nouvelle année civile, le portier revient sur son passé en Liga et en Europe, au FC Valence et au Real Madrid, avant le choc de cette fin de journée. Entretien en blond peroxydé.

Bonjour Santiago. Comment se passe la vie pour toi ? Je suis à Valence aujourd’hui. Je travaille en tant que commentateur sportif pour Movistar Plus, une filiale de Canal Plus en Espagne, ainsi que pour la Cadena Ser. Je suis toujours dans le football, mais maintenant, je suis passé du côté des analystes. Cela fait maintenant sept ans et demi, je trouve cela très agréable. Je suis ici avec ma femme, nous vivons de beaucoup d’amour et de beaucoup d’enfants (rires) !

Puisque l’on parle de ta moitié, l’an passé, tu es passé avec elle chez A Bailar ! (version espagnole de Danse avec les Stars, ndlr) pour danser sur « The Time of my Life » de Dirty Dancing. Tu as fait un vrai carton… Comment as-tu vécu la chose ? C’était une expérience originale… En réalité, ma femme m’a beaucoup poussé à passer dans cette émission, je ne l’aurais pas fait de mon propre chef. Je l’ai fait par amour pour elle (rires) ! Je n’avais jamais dansé avant… C’était une expérience complètement nouvelle. Franchement, je ne me sentais pas super bien quand on s’est lancés, ce n’est vraiment pas simple…. Mais au final, l’expérience était plutôt bonne. L’enseignement des professeurs était fondamental pour progresser pas à pas. Le faire à la télévision, c’est autre chose que de t’amuser chez toi. Je disais toujours au chef de production que le moment où il annonçait le « 3,2,1, musique ! » , ça me stressait encore plus que d’entrer sur le terrain pour une finale de Ligue des champions…

Tu avais reçu des messages de soutien de l’équipe d’Espagne, ils te suivaient comme des fous… Ah ça, je pense qu’ils se sont tous bien détendus à me voir depuis leur télévision (rires) ! C’était aussi un bon moment pour eux… L’émission avait connu la meilleure audience de toute la communauté de Valence, tu imagines un peu la chose… Des amis très proches étaient derrière leur écran pour me voir pendant le show, la pression était immense.


En France, beaucoup assimilent Santiago Canizares au FC Valence, alors qu’en réalité, tu passes neuf années sous contrat au Real Madrid. Comment se sont passées tes premières années dans la Fabrica ? Ces cinq années m’ont permis d’apprendre cette profession, c’était une façon de faire mon éducation dans ce milieu professionnel, au milieu de mes coéquipiers, de mes premiers entraîneurs… Je suis arrivé au centre à 15 ans. Cela peut paraître anodin maintenant, mais à l’époque, c’était beaucoup plus rare d’arriver si jeune. Au Real Madrid, j’ai tout de suite senti l’obligation de se surpasser. Tu dois jouer à ton meilleur niveau, sinon tu n’existes pas. Cela m’a vraiment servi pour la suite de ma carrière. J’ai remporté l’Euro des moins de 16 ans avec la sélection de jeunes, c’était très formateur.

Ton explosion arrive en 1993-1994 au Celta Vigo, où, à 24 ans, tu remportes le trophée Zamora (meilleur gardien de la saison avec 30 buts encaissés en 36 matchs, ndlr). Là, le Real reconsidère ton cas et décide de te racheter. Tu t’es senti plus respecté quand tu es retourné au Real ? Vigo, c’était une excellente expérience. J’arrive en 1992 là-bas, je reste deux ans, et ma dernière saison me permet d’être appelé avec la sélection nationale pour la première fois. Tout cela a poussé les dirigeants madrilènes à valider l’option de rachat qu’ils avaient conservé. Quand je termine mon année avant de partir au Mondial, le FC Barcelone et le Real Madrid souhaitaient tous les deux me faire signer. J’ai décidé de revenir à Madrid, parce que les conditions me semblaient bonnes : le gardien de l’époque, Paco Buyo, avait 37 ou 38 ans. Le club recherchait un gardien pour passer le témoin, donc j’y suis retourné.


Tu deviens titulaire progressivement, la concurrence avec Bodo Illgner est rude, mais tu finis par prendre le dessus. Et là, tu signes ce pré-contrat à Valence en cours de saison 1997-1998. Pourquoi décider de partir à Valence plutôt que de rester au Real ? Au Real, je sentais que ma continuité en tant titulaire n’était pas assurée. Parfois, on me faisait confiance, et d’autres fois non. Au moment où je devais renouveler mon contrat chez eux, je n’ai pas senti assez de confort, pas assez de sécurité pour mon avenir sportif. Quand l’offre de Valence est arrivée, j’ai donc préféré partir. Je voulais profiter à fond de mes meilleures années de footballeur, dans un club qui me donne une entière confiance. C’est ce que me donnait le président du FC Valence, l’entraîneur et le public du Mestalla. C’était mon choix.

Cela t’a coûté cette finale de C1 1998 remportée contre la Juve… Les dirigeants madrilènes se sont sentis trahis en cours d’année ?C’était la polémique à Madrid. Les gens voyaient que je tardais à renouveler chez eux, mais cela était aussi dû aux dirigeants du club. Il ne faut pas omettre le grand travail d’Illgner, un magnifique gardien avec de bonnes garanties. Même si j’étais titulaire pour le début de la Liga et dans les phases de poules de cette Ligue des champions, l’entraîneur (Jupp Heynckes, ndlr) a souhaité m’écarter du groupe… Je pense que cet événement prouvait bien que ma place n’était pas au Real Madrid. Si je ne me sentais pas en confiance au Real, c’est peut-être parce que le club ne me l’avait jamais vraiment donnée…

Au vu de tes années à Valence, tu ne t’es manifestement pas trompé dans ton choix. Qu’est-ce qui fait que les années 2000 resteront liées à ce club ? Clairement, je ne me suis pas trompé ! Ces années étaient les plus belles de ma carrière. Nous avions eu la chance de travailler tous les jours avec des personnes ultra compétentes. Cela touchait tout le monde : les joueurs, les entraîneurs, les physiothérapeutes, le staff technique… Quand je suis arrivé à Valence, cela faisait 30 ans que le club n’avait plus rien gagné. En dix ans, nous avons remporté des titres majeurs : deux Ligas, deux coupes du Roi, une Supercoupe d’Espagne, une Coupe d’Europe, une Supercoupe d’Europe… Nous souhaitions casser cette malédiction le plus vite possible, et cela est arrivé très vite, avec notre victoire en Coupe du Roi, en 1998-1999. Des joueurs d’expérience composaient l’équipe, cela nous aidait à grandir plus vite. Au début, j’étais un joueur parmi d’autres, je bénéficiais plus que je ne donnais. En Europe, nous avions cette force intérieure pour concurrencer les meilleures équipes du monde. Et nous parvenions à faire venir les meilleurs joueurs du monde.

Mestalla à l’époque, c’était une vraie fournaise pour n’importe quelle équipe en Europe…Nous jouions aussi avec un facteur de surprise envers les autres équipes, parce que nous nous surpassions contre les gros. La Lazio de 2000 par exemple, c’était la meilleure équipe d’Italie. Ils devaient se dire : « Valence est une bonne équipe, mais nous sommes meilleurs. » De fait, nous les avons surpris par notre présence constante sur un match. Physiquement, nous étions capables d’exercer un pressing pendant tout le match, c’était très fort. Cela compliquait la chose pour n’importe qui.

Là-bas, tu as connu des coachs à la pelle : Ranieri, Cúper, Benítez… Qu’ont-ils apporté ? C’était aussi ça, la clé de notre réussite : tous les entraîneurs à cette époque profitaient du travail antérieur. Ranieri arrivait après Valdano, il a vraiment fait un travail fantastique. Il savait que nous étions prêts à travailler durement, que nous avions l’expérience suffisante pour conserver une rigueur au quotidien. Il savait que nous pouvions aller très vite en contre-attaque. Après son travail, Héctor Cúper est arrivé. C’est un homme qui privilégie la discipline et la rigueur sur le terrain, il s’est tout de suite identifié à l’équipe. Il est parvenu à hausser encore notre auto-exigence, tout en gardant un immense respect envers ses joueurs. C’est un entraîneur qui nous donnait une énorme confiance. Ensuite, Rafa Benítez est arrivé. C’était la meilleure période pour entraîner le club, la colonne vertébrale était déjà construite, et Rafa nous a transmis son savoir tactique. En plus de cela, les préparateurs physiques étaient parmi les meilleurs du pays, comme Pako Ayestarán. Nous avions remporté deux Liga grâce à notre volonté, notre préparation et notre discipline. Parce qu’en qualité pure, le Real Madrid ou le FC Barcelone étaient bien au-dessus de nous. Mais nos entraînements duraient plus longtemps que toutes les autres équipes d’Espagne…

D’ailleurs, tu penses que l’Atlético Madrid a les épaules pour être le Valence des années 2010 ? Complètement, c’est le reflet total du Valence des années 2000. De bons joueurs sans être d’immenses stars, avec un entraîneur très charismatique et travailleur. Leur philosophie de jeu et leur culture du travail, c’est exemplaire. Si l’entraîneur est bon, s’il continue son travail et fait progresser l’équipe, il n’a aucune raison de s’en aller. À Valence, Ranieri ne voulait pas continuer au sein de l’équipe et préférait partir, Cúper pareil, Benítez pareil. Pourquoi ? Parce que Valence ne pouvait pas offrir des contrats aussi importants que l’Inter Milan ou Liverpool.

Qu’est-ce qui a tué ce Valence 2000, finalement ? Un homme est arrivé dans le club pour faire du business, il a racheté une partie des actions sans aucun critère ni aucune directive, et il a commencé à dévaluer ces actions dans une période de crise profonde. Il fallait transférer les joueurs les plus importants, le club attirait de moins en moins. Cet homme, c’est Juan Soler. Il a gaspillé beaucoup d’argent dans la gestion du club, dans un projet de construction de stade… Cela mettait en péril l’avenir sportif du club.

Quand on parle de Santiago Cañizares à Valence, on pense directement à tes cheveux teints en blond. C’est ton passage à Valence qui t’a conduit à changer de style ? En vrai, c’est très simple : je m’étais fissuré le tibia dans un match de Ligue des champions contre le PSV, dans un duel contre Ruud van Nistelrooy. J’en avais pour deux mois sans jouer. Pour passer le temps, je suis allé voir un ami coiffeur à Madrid. Il m’a vu un peu déprimé, et sans rien me dire, il a changé mon style capillaire. À partir de là, j’ai récupéré de ma blessure, je me suis senti mieux. En plus, à chaque fois que je changeais de coupe ensuite, il m’arrivait des problèmes de santé. Aujourd’hui, c’est plus une question… Une question de foi (rires) ! Même si j’ai la quarantaine aujourd’hui, je garde mes cheveux en blond, parce que je ne veux pas qu’il m’arrive une mauvaise nouvelle !

Quel sera le plus beau souvenir de ton passage à Valence ? C’était cette Liga gagnée en 2001, après 31 ans d’attente. J’étais le capitaine, et j’avais ce privilège de soulever cette coupe devant tout le stade Mestalla, rempli de supporters. Ce soir-là, nous avons transmis une immense joie à toute la ville, à tous les supporters du FC Valence. C’était quelque chose d’exceptionnel, je m’en souviendrai toute ma vie. Sur la photo où on me voit soulever le trophée, c’est visible : je suis très heureux !

Après la joie, la tristesse. As-tu vécu un moment plus difficile dans ta vie que cette fin de séance de tirs au but à Milan, en 2001 ? Honnêtement, ce n’était pas un moment difficile. C’était dommage de ne pas gagner cette Ligue des champions, mais il faut aussi se rappeler qu’avant, on voyait la finale de Ligue des champions à la télé ! J’étais très heureux de disputer cette finale, c’est le match de l’année. Quand tu perds, c’est forcément très décevant. Tu te marques toujours des objectifs à atteindre avant la saison, et quand tu vois qu’il ne manque rien pour y arriver, c’est rageant. Perdre une finale, ce n’est pas agréable. Mais la satisfaction d’avoir gagné tant de matchs pour arriver jusque-là, c’est une chose qui te reste aussi à l’esprit. Jamais cela ne doit se transformer en échec. Cela doit rester une grande fierté.

Vidéo


Tu as reparlé de ce moment avec Oliver Kahn, venu te consoler ?Oliver Kahn n’a rien dit de particulier, il ne parle pas espagnol (rires) ! Mais il savait ce que l’on ressent dans ces moments. Contre Manchester United en 1999, il avait connu la même destinée. Au Real Madrid, j’ai appris à gagner des matchs et à viser le meilleur, c’est-à-dire gagner une Ligue des champions. J’y suis parvenu en 1998, mais ma participation n’était pas tout à fait aboutie. Je n’avais pas eu beaucoup d’importance. Là, l’ambiance était différente : j’étais gardien de but titulaire, nous avions mené au score pendant le match, nous menions aussi pendant les tirs au but. C’était sûrement le plus beau moment du FC Valence dans son histoire. Ces larmes, c’était aussi ce sentiment : avoir travaillé si dur, avoir rêvé si fort, et finalement voir la coupe t’échapper sur la fin.


Vous vous êtes bien rattrapés en finale de Coupe UEFA 2004 contre l’OM en revanche… Quel est ton avis sur l’expulsion de Fabien Barthez pendant la rencontre ? Dans ces finales européennes, tu es toujours en concurrence avec les meilleurs gardiens du monde. Fabien en faisait partie, il était vraiment fabuleux. Et puis en face, il y avait aussi Didier Drogba. Très franchement, il me faisait peur avant le match, il était en feu. Beaucoup de clubs souhaitaient le faire signer. De notre côté, nous souhaitions faire tomber la malédiction des finales de Coupe d’Europe, afin de prouver à nos supporters et à nous-mêmes que nous pouvions gagner ce type de compétitions. Cette expulsion de Barthez change le match, même si nous dominions à ce moment. Si l’on se tient à la norme, l’arbitre a parfaitement appliqué le règlement. Barthez était dernier défenseur, le carton rouge est la sanction. C’est dur, c’est discutable, mais c’est la règle.

Tu as décidé de quitter Valence en 2008, et de ne pas jouer derrière. Tu termines ta carrière à 39 ans et 416 matchs sous le maillot de Valence. Une dernière expérience aux États-Unis ou au Qatar, ça ne te tentait pas ? J’ai eu cette possibilité. Je pouvais jouer en Angleterre à West Ham, à Everton… J’avais aussi d’autres propositions plus exotiques de Fluminense ou Boca Juniors. Mais pendant cette période, ma situation personnelle était instable. Je venais juste de me séparer, j’avais trois enfants, et décider de repartir pour un nouveau challenge à ce moment, de laisser mes enfants seuls avec leur mère, je trouvais cela trop compliqué. J’avais besoin de leur affection, et eux aussi avaient besoin de leur père. Physiquement, j’étais prêt à tenter le coup, parce que j’avais la condition pour. Mais je préférais laisser le football de côté et privilégier l’aspect familial. Si j’avais été en difficulté financière, peut-être que mon choix aurait été différent. Mais là, je pouvais me permettre le luxe d’arrêter et de commencer ma reconversion dans les médias.

Iker Casillas était ton grand rival dans la fin de ta carrière, comment vois-tu son évolution depuis ? Iker détient une carrière sportive exceptionnelle, c’est l’un des meilleurs gardiens actuellement et sans aucun doute le meilleur gardien espagnol de l’histoire, pour tout ce qu’il a remporté. Parfois, on peut discuter de certaines choses, il y a du débat. Là, il n’y a aucun débat, le palmarès est là. Aujourd’hui, Iker doit profiter des années restantes et continuer à jouer au football avec plaisir. Sa décision de quitter le Real Madrid est selon moi la meilleure chose qu’il avait à faire, d’autant que son expérience à Porto lui plaît bien.

Cette façon de quitter le Real Madrid après tant d’années, n’est-ce pas symbolique d’une mauvaise gestion chez les Blancos ? Ce type de gestion n’est pas forcément lié au Real Madrid, il est lié à tout le football espagnol. Quand on pense à cela, on se souvient des adieux de Hierro, de ceux de Raúl plus récemment, mais ils ne sont pas les seuls. Au Barça, Xavi a eu le droit à des adieux exceptionnels, c’est vrai. Mais de manière générale, les joueurs vétérans n’ont jamais été pris en considération. Guardiola n’a pas connu de même adieux au Barça, Luis Enrique non plus… Albelda ou moi-même n’avons pas eu d’immenses adieux à Valence. Cela existe depuis toujours. On peine à donner le respect dû aux légendes de son club. Si tu gagnes et que tu t’en vas, tu auras un bel adieu, parce que les gens sont heureux et sont reconnaissants. En Espagne, nous avons une culture de l’instant. Le passé ou le futur, personne n’y pense. Nous vivons en permanence dans le présent. Ce qu’il s’est passé hier s’oublie vite, ce qu’il se passera demain sera demain. C’est notre culture.

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