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En Égypte, regarder le Mondial n’est pas gratuit
BeIN Sports est l'acteur suprême des droits TV sportifs au Moyen-Orient. Si bien qu'en Égypte, aucune rencontre ne sera diffusée sur les chaînes gratuites. Le Caire essaie de hausser le ton, mais ni le diffuseur ni la FIFA n'ont pour le moment cédé d'un pouce.
Serait-il possible que la majorité des 100 millions d’Égyptiens ne puissent suivre les performances des Pharaons, après 28 ans d’abstinence en Coupe du monde ? C’est bien le drame national que l’Autorité égyptienne de la concurrence essaie d’éviter, après avoir sommé la FIFA d’autoriser la diffusion en clair de 22 matchs du Mondial. À l’origine de la lutte, une plainte dont les autorités égyptiennes n’ont pas révélé la source, qui accusait les dirigeants du football mondial d’avoir enfreint les règles de la concurrence. Ce qui, concrètement, revient à accuser beIN Sports, détenteur exclusif des droits au Moyen-Orient, d’avoir pu s’offrir toutes les affiches de la Coupe du monde de façon déloyale.
La moitié de son salaire pour voir beIN
Le problème, pour les Égyptiens, c’est que la filiale d’Al-Jazeera coûte cher. « Le coût mensuel de beIN, environ 2000 livres égyptiennes (près de 100 euros), c’est la moitié du salaire moyen d’un Égyptien » , souligne Ahmad Youssef, journaliste pour Kingfut, l’un des principaux médias footballistiques égyptiens. Si l’on ajoute à la facture les 78 euros d’installation du décodeur, on comprend bien qu’un Égyptien qui veut voir Mohamed Salah sur les pelouses russes devra se couper un bras. Littéralement. À moins de se tourner « vers les cafés équipés, cela se passera beaucoup dans les rues donc » , ou de se résoudre au « streaming illégal, ce que vont faire une partie des habitants. »
L’Arabie saoudite se moque de beIN
Entre beIN Sports et l’Égypte, les tensions ne datent pas du Mondial 2018. Le groupe qatari a déjà écopé d’une amende de 18 millions d’euros pour violation des lois de la concurrence. « C’est le plus grand acteur de l’audiovisuel sportif dans le Moyen-Orient, donc il écrase facilement ses concurrents. » Ce qui devrait pousser à une tolérance envers onSport, « la plus grande chaîne sportive égyptienne » , qui diffuse en général les matchs de l’équipe d’Égypte et devrait diffuser les matchs des Pharaons gratuitement sur YouTube. Une péripétie à laquelle le groupe beIN est habitué, et qui n’est pas étrangère aux tensions diplomatiques entre Doha et certains de ses voisins comme l’Égypte, mais aussi Bahreïn, les Émirats arabes unis et surtout l’Arabie saoudite. Si la chaîne qatarie a récemment trouvé un accord de sous-licence pour les droits du Mondial avec Abu Dhabi, les communications avec Ryad sont en revanche coupées.
Selon beIN, les dirigeants saoudiens refuseraient même tout dialogue et favoriseraient le piratage de leurs images par le bouquet Be-Out-Q, qui non seulement diffuse les droits licenciés de beIN, mais parodie également sa ligne éditoriale. Ahmad Youssef en est convaincu, les victimes sont économiques en Égypte, mais l’origine du problème est, comme en Arabie saoudite, bien politique : « Il y a énormément de tensions depuis les jours de la Révolution, quand le gouvernement égyptien avait accusé Al Jazeera de travailler avec les terroristes pour déstabiliser le pays. beIN n’est que le nouveau nom d’Al Jazeera Sports, donc finalement, c’est un problème 100% politique. » Un problème politique qui pourrait prendre des proportions encore plus grandes dans quatre ans, quand le Mondial se jouera au Qatar…
Par Nicolas Jucha
Propos de Ahmad Youssef recueillis par Nicolas Jucha