- Coupe de France – Finale – Stade rennais/EA Guingamp
En Avant Trincamp !
Bien installé depuis presque deux décennies dans le paysage footballistique français, l'En Avant Guingamp reste pour beaucoup une énigme. Comment cette sous-préfecture grosse comme un bourg et située dans la cambrousse de la Bretagne rurale s'est-elle hissée parmi les meilleurs ? Les origines remontent à la fameuse épopée de 1973, quand une bande de jeunes copains présidée par un jeune trentenaire nommé Noël Le Graët avait dézingué quatre formations pro. Une aventure retentissante à l'époque, qui inspirera quelques années plus tard Jean-Jacques Annaud pour son film Coup de Tête, avec le regretté Patrick Dewaere dans le rôle principal.
Hiver 1973 : les États-Unis sont embourbés au Viêt Nam, le Chili vit ses derniers mois sous la présidence d’Allende, le monde vit ses derniers mois d’avant la crise pétrolière, 1,5 milliard de téléspectateurs assistent au concert d’Elvis Presley à Hawaï, Claude François cartonne avec Le Lundi au soleil, le mange-disque Lansay a été l’un des cartons de Noël et la R12 est élue voiture préférée des Français. C’est dans ce contexte qu’une bande d’irréductibles Bretons fait parler d’elle dans les journaux nationaux, de L’Équipe au Monde, en passant par France Foot et le journal télévisé. Il se raconte qu’une équipe d’amateurs à peine sortis de la majorité, avec à sa tête un entraîneur de 22 ans et un président de 31 ans, passe les tours de la mythique Coupe de France en éliminant tout sur son passage, y compris des formations pros bien plus huppées. Le club en question s’appelle En Avant Guingamp et personne à l’époque au-delà des Côtes du Nord – l’ancêtre des Côtes d’Armor – n’en a jamais entendu parler. Il a été fondé en 1912 dans une Bretagne alors très divisée sur la question religieuse. Dans chaque bourg, il y a les laïcs d’un côté, les cathos de l’autre. Choisis ton camp camarade ! L’EA Guingamp est dans celui des antis cléricaux. L’appellation si particulière « En Avant » est d’ailleurs inspirée d’un cri de ralliement du mouvement international socialiste de l’époque, qui a aussi donné son nom notamment au journal allemand Vorwärts (littéralement « En Avant » ) qui existe encore aujourd’hui au format mensuel.
Le Graët le grossiste en électroménager
Évoluant au niveau régional, Guingamp réussit dès les premières décennies de son existence quelques jolis parcours en Coupe de France, avec des confrontations face à des formations pros (le CO Billancourt et le RC Paris dans les années 30, Sochaux dans les années 50), chaque fois en se faisant sortir. Mais dès l’après-Guerre, le club se distingue de la concurrence chez les amateurs en attirant un grand nombre de bons joueurs du coin, grâce à son président Hubert Couquet, par ailleurs responsable des usines Tanvez, un très gros employeur de la région avec son millier d’ouvriers travaillant dans le domaine des machines agricoles. Les joueurs ont un emploi garanti sans forcément trop se fouler et, en échange, ils portent la liquette rouge et noire. Un deal qu’utilisera à son tour le nouveau président à partir de 1972, un certain Noël Le Graët, alors jeune grossiste en électroménager. Un gars du coin, ancien moniteur des colos d’été de l’En Avant. Un ambitieux aussi, qui arrive à la tête du club alors que celui-ci voit débarquer en équipe première une génération exceptionnelle de jeunes talents. Des copains qui s’appellent Yvon Schmitt, Jean-Yves Le Coz, Jean-Michel Cozic, Yvan Le Quéré, Bernard Reyt, Michel André, Yvon Allain ou encore Sylvestre Salvi. Ce dernier, représentant en vins et spiritueux dans la vie, n’a que 22 ans, mais il est entraîneur-joueur d’une formation qui s’était distinguée chez les juniors en se hissant jusqu’en quarts de finale de la Gambardella 1969-1970, perdant de peu contre le Saint-Étienne de Santini, Sarramagna, Revelli and co. Trois ans plus tard, la jeune génération a été promue en équipe première et évolue en DSR, le sixième échelon de l’époque. En Coupe de France, elle débute son parcours en éliminant son grand rival, le Stade Charles-de-Blois, les cathos de Guingamp. Puis deux équipes du coin sont facilement écartées malgré le fait qu’elles évoluent en DH, l’étage au-dessus : Louannec et Lamballe.
Debout sur les pylônes
Au tour suivant, Guingamp doit se rendre au stade Francis-Le-Basser pour rencontrer Laval. Les pros prennent leurs adversaires de haut et se font surprendre, tout comme Brest au tour suivant, puis Le Mans à celui d’après. En tout, trois équipes de D2 ont déjà été terrassées, quand le tirage au sort des 16es de finale donne aux Guingampais l’occasion de se frotter encore à des pensionnaires de ce niveau : Lorient. L’engouement populaire autour de cette bande d’amateurs est sans précédent et la presse nationale commence à s’y intéresser de près. Le 18 février 1973, l’En Avant « reçoit » Lorient au stade de l’Armoricaine de Brest (futur Francis-Le Blé), faute de disposer d’une enceinte suffisamment grande pour accueillir une telle affiche (le stade de Roudourou ne verra le jour que bien des années plus tard). Les images du match montrent une foule impressionnante, dans les tribunes, mais aussi partout où il était possible d’apercevoir un bout de pelouse, y compris en se hissant sur les pylônes ! Et comme dans tout album d’Astérix, le scénario de la rencontre se termine par une victoire des petits sur les gros, suivi d’un banquet pantagruélique. Car si les Guingampais s’avèrent bons balle au pied – Lorient est vaincu 2-1 –, ils s’avèrent aussi excellents en troisième mi-temps, profitant à plein de leur notoriété aussi soudaine qu’inattendue. « Guingamp, une leçon pour les grands » , titre en grand Le Miroir du football du 21 février.
Face à Rouen devant 26 000 spectateurs route de Lorient
Les joueurs sont sollicités de toutes parts et se fatiguent avant d’affronter Rouen en 8es de finale. Encore une D2, avec à ce stade de la compétition un système de matchs aller et retour. Pour recevoir à l’aller, L’Armoricaine n’est même plus assez grande face à l’engouement populaire entourant l’En Avant. C’est donc au stade de la route de Lorient qu’a lieu le match, devant plus de 26 000 spectateurs, la cinquième plus grosse affluence de l’histoire de l’enceinte à l’époque. Mais cette fois, les pensionnaires de D2 sont prévenus du danger qui les guette et ils font respecter la hiérarchie face à des Guingampais épuisés physiquement et surtout nerveusement. Ils sont corrigés 0-5, puis 0-3 au retour. Fin de la belle aventure. Mais son épopée permet au club d’obtenir 800 000 francs de gains, une très grosse somme qui lui donnera les moyens de grandir les saisons suivantes en conservant tous ses meilleurs joueurs, qui obtiendront par la suite plusieurs montées pour se hisser jusqu’en D2 en 1977. L’En Avant prend le statut pro quelques années plus tard et monte une première fois en D1 en 1995. La bourgade de Guingamp s’est fait durablement une place dans le paysage footballistique français. Merci les petits gars de 73. Leur épopée a d’ailleurs directement inspiré le cinéaste Jean-Jacques Annaud pour son film Coup de Tête, sorti en 1979 avec l’immense Patrick Dewaere dans le rôle titre. L’histoire se passe dans une petite ville nommée… Trincamp.
Par Régis Delanöe