- Angleterre
L'affaire Gary Lineker fait trembler la BBC
Présentateur star du principal programme footballistique de la BBC, Gary Lineker a été mis hors jeu par sa direction après un tweet polémique envers le gouvernement conservateur. L'émoi suscité met en porte-à-faux la chaîne publique.
437 matchs professionnels et 24 ans de reconversion télévisuelle : il aura fallu du temps pour voir Gary Lineker averti pour la première fois de sa carrière. Le présentateur vedette de la principale émission de football anglaise, Match of the Day, diffusée sur la BBC, quatrième meilleur buteur des Three Lions et deuxième au Ballon d’or 1992, s’est retrouvé suspendu ce vendredi à cause d’un tweet. La démonstration qu’à 60 ans, le striker formé à Leicester n’a rien perdu de ses qualités offensives, ni de son sens de la formule.
Mr. Nice contre l’Establishment
C’est un véritable tacle d’attaquant envoyé par Mr. Nice sur les réseaux sociaux à la ministre de l’Intérieur britannique Suella Braverman. Cette dernière détaillait dans une vidéo son plan pour « arrêter les bateaux » de migrants arrivant illégalement au Royaume. L’objectif étant d’emprisonner systématiquement les passagers clandestins dès leur arrivée, enfants compris, pour les expulser au plus vite. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a lui-même dénoncé un projet de loi contraire au droit d’asile. Une atteinte aux droits de l’homme que n’a pas apprécié le progressiste Lineker : « Nous accueillons moins de réfugiés que la majorité des pays européens. C’est une politique incommensurablement cruelle, dirigée contre les personnes les plus vulnérables, et dans un langage qui n’est pas différent de celui utilisé par l’Allemagne des années 1930. » Un fact-checking suivi d’un point Godwin qui n’a pas amusé la BBC. La décision de suspendre le présentateur de Match of the Day « jusqu’à ce que soit trouvé un accord sur l’usage de ses réseaux sociaux » pour avoir enfreint son devoir d’impartialité a suscité à son tour la polémique.
There is no huge influx. We take far fewer refugees than other major European countries. This is just an immeasurably cruel policy directed at the most vulnerable people in language that is not dissimilar to that used by Germany in the 30s, and I’m out of order?
— Gary Lineker 💙💛 (@GaryLineker) March 7, 2023
Un week-end de silence à la BBC
Ce sont tout d’abord ses partenaires à l’antenne, les autres buteurs stars des 90’s Ian Wright et Alan Shearer, qui ont lancé la fronde, annonçant boycotter l’émission en solidarité avec Gary. Sans voix, MOTD s’est trouvée réduite au format de simple compilation YouTube d’une durée de 20 minutes, au lieu des 80 habituelles. L’émission de ce dimanche a même été sobrement rebaptisée « Premier League Highlights ». « La BBC ne proposera qu’une offre sportive limitée ce week-end », s’est excusée la chaîne publique. L’intégralité des émissions sportives du samedi est ainsi passée à la trappe à la dernière minute : Colin Murray a refusé de présenter son émission Fighting Talk ; de son côté le commentateur Mark Chapman a déclaré forfait pour ce week-end ; et enfin Focus Football, au menu le samedi midi avec Alex Scott, a été déprogrammée à son tour, tout comme Final Score.
Réaction en chaîne oblige, le PFA (Professional Footballer’s Association), syndicat des joueurs outre-Manche, a décliné les interviews d’après-match en signe de protestation. Une tempête médiatique dont se serait bien passée la ministre de l’Intérieur anglaise, actuellement en visite en France. Hasard du calendrier, elle a donc rencontré en parallèle de la polémique son homologue Gérald Darmanin, lui-même promoteur d’un projet de loi Asile et Immigration très décrié en décembre dernier.
Impartialité, liberté d’expression ou pressions politiques ?
Attaque contre la liberté d’expression pour certains, propos indignes pour les politiciens et éditorialistes conservateurs, l’affaire déchaîne les passions. Pour Greg Dyke, l’ancien directeur général de la BBC (2000-2004) aujourd’hui affilié au Labor Party, la BBC a « sapé sa crédibilité en donnant l’impression de céder aux pressions du gouvernement ». Mis en cause, Tim Davies, actuel directeur général et ancien membre du parti conservateur, a démenti pour sa part une éventuelle démission. « L’impartialité, ce vieux concept épineux », écrit le Guardian en rappelant que le boss de la chaîne publique, Richard Sharp, nommé sur conseil du gouvernement britannique, a été la cible de critiques en février dernier pour avoir aidé Boris Johnson à obtenir un prêt de 800 000 livres peu avant que ce dernier soutienne sa nomination.
La polémique s’inscrit aussi dans un contexte marqué par le plan social qui touche la chaîne. Tributaire des subventions publiques accordées par le gouvernement conservateur, la BBC est également accusée de censure envers un épisode de la nouvelle série documentaire du naturaliste David Attenborough sur l’état de la biodiversité au Royaume-Uni, jugé trop critique contre l’agriculture extensive. Le Guardian évoque une victoire du lobbying et des pressions des conservateurs, version démentie par la chaîne, contrainte à un délicat numéro d’équilibriste. Le présentateur maison Nihal Arthanayake résume le problème : « Il est demandé à Gary de prendre du recul. Mais alors, pourquoi un homme qui aurait fait un don de 400 000£ au parti conservateur est-il toujours président de la BBC ? » L’autre Gary, Neville, présentateur star chez le rival Sky Sports et soutien du parti travailliste, n’a pas manqué d’user de sa liberté d’expression dans un tweet fustigeant les « Tories et le système », avant d’inviter son confrère à profiter de son temps libre pour aller boire un verre en sa compagnie. En vue d’un éventuel transfert ? Cette fois, ce ne serait pas une première dans la carrière de Gary Lineker.
Par Baptiste Brenot